Archéologie.
Rassemblant près de 500 pièces couvrant quinze siècles
d’histoire, l’exposition « Trésors engloutis d’Egypte » a
rencontré dès sa première semaine à Paris un succès énorme.
L’opiniâtreté de Franck Goddio et son équipe se voit
récompensée par une mise en scène magistrale.
Résurrection d’une civilisation
au Grand Palais
Paris,
De notre envoyée spéciale —
Le
8e arrondissement à Paris a vécu la semaine dernière un
événement exceptionnel. Après 10 ans de fermeture pour des
travaux de restauration, la nef du Grand Palais a accueilli
l’une des expositions les plus éblouissantes, celle des «
Trésors engloutis d’Egypte ». Inaugurée par les présidents
Chirac et Moubarak, l’exposition, qui a fait la une de presque
tous les journaux français, invite le visiteur à faire un
voyage songeur et une plongée dans le passé de cette partie
riche de l’Egypte antique. Près de 500 pièces sont exposées,
montrant une partie minime des vestiges découverts lors des
fouilles archéologiques menées depuis 1992 par l’Institut
européen d’archéologie sous-marine sous la direction de Franck
Goddio et en coopération avec le Conseil Suprême des
Antiquités (CSA). Les objets présentés à Paris retracent
quinze siècles d’Histoire, des dernières dynasties
pharaoniques à la conquête arabe, en passant par les
souverains ptolémaïques, la domination romaine et l’Empire
byzantin. Pour Goddio, ces découvertes ne représentent qu’une
partie minime de ce qui se trouve sous les eaux. « On n’a
fouillé que 1 % des plans qu’on a faits », a-t-il confirmé.
En fait,
chaque pièce de l’exposition apporte un éclairage nouveau sur
l’époque, ses habitants, ses souverains, ses relations
commerciales, ses rites et ses croyances.
Le puzzle
du naos
Des
mystères vieux de deux mille ans sont levés, tandis que des
pièces uniques révèlent leurs secrets, comme le Naos des
Décades, qui est une pièce majeure de l’exposition. Cette
pièce est en fait un extraordinaire puzzle qui a été assemblé
particulièrement à l’occasion de cette exposition pour la
première fois depuis sa destruction au IVe siècle de notre
ère. Ce naos est en fait un fragment de chapelle sacrée,
dédiée à Shou, dieu de l’air et de l’atmosphère ; il comporte
un calendrier égyptien et le récit de la création du monde. Si
Goddio a réussi à exposer cette pièce, cela ne lui a pas été
facile. Bien qu’il ait réussi à ressortir les fragments
principaux de cette pièce des eaux d’Abouqir, le reste se
trouvait ailleurs : la base et le dos, lesquels étaient
découverts par le prince Omar Toussoun qui avait effectué des
fouilles dans la baie d’Abouqir autour de 1940, se trouvaient
au musée gréco-romain d’Alexandrie, le toit du naos était
découvert en 1776 et conservé au musée du Louvre à Paris
depuis le XIXe siècle. Goddio a dû prêter ces pièces des deux
musées pour s’en servir pendant l’exposition. Tâche facile à
comparer aux défis rencontrés par la mission. « La grande
stèle dite de Ptolémée VIII était la pièce la plus difficile à
travailler, ça nous a pris un an et demi pour la desceller.
Elle est faite de granit rose très délicat et il fallait
l’injecter avec des seringues millimètre par millimètre,
surtout que l’on a trouvé des fissures à l’intérieur »,
explique Franck Goddio.
C’est en fait
la pièce la plus monumentale de l’exposition. Du haut de ses
6,10 mètres, elle se dressait autrefois à proximité du temple
de l’Amon du Gereb, à Héracleion. L’immense pierre est
retrouvée brisée en de multiples morceaux. L’érosion a rendu
illisibles les trois quarts des textes gravés en hiéroglyphes
et en grec. Bien que cette stèle ait une grande importance
historique, la petite stèle noire est la plus chère pour
Goddio. « La stèle noire… Elle est belle, chaque hiéroglyphe a
une beauté exceptionnelle. En plus de sa beauté, elle a une
importance sur le plan historique, puisqu’elle résout une
énigme », reprend-il. Cette stèle de 2 mètres de haut a été
découverte par l’équipe en 2001.
Quand
l’égyptologue Jean Yoyotte l’a étudiée sur photo, il a
découvert qu’il s’agissait d’une réplique quasi conforme d’une
stèle trouvée un siècle plus tôt à Naucratis, au Delta. Les
deux textes sont des documents de douanes par lesquels le
pharaon Nectanebo Ier énonce les taxes dues par les marchands
grecs.
Les travaux de
restauration ont aussi été une tâche difficile et compliquée,
selon Olivier Berger, responsable des travaux de restauration
et qui opère avec la mission il y a 7 ans. La stèle en granit
était l’une des missions les plus difficiles. « Elle était
faite de 17 fragments dont une seule pesait 5 tonnes et
c’était difficile à manipuler et compliqué à connecter »,
explique-t-il.
« L’on ne
pouvait pas se permettre de travailler directement sur un
objet ; une fois une pièce découverte, on devait faire d’abord
tous nos calculs : comment on va la transporter, la connecter,
les travaux de restauration dont elle aura besoin, etc. »,
reprend-il.
Une
conception originale
Si
le visiteur est ébloui par la grandeur et la richesse des
pièces exposées, la conception et l’installation originale ont
aidé à créer cette atmosphère exceptionnelle. « C’est un
parcours dans le temps et l’espace. La notion de l’espace
permet au public de voyager avec des moments entourés ou des
moments très ouverts et cela en fonction des pièces »,
explique Philippe Délice, scénographe de l’exposition. Ce
dernier a essayé de retourner dans le passé pour avoir une
conception originale de l’exposition. « Les grandes statues
étaient dans le temps faites pour être placées dans des
endroits ouverts et en plein air. J’ai essayé de m’imaginer ce
que voulait l’artiste et c’est ce qui m’a aidé à faire
l’espace », reprend-il. Le fait de choisir de mettre un
panorama du fond de la mer à l’entrée de l’exposition n’est
pas simplement pour la beauté de la photo, mais Délice a voulu
par cela mettre la baie d’Abouqir dans le grand palais pour la
situer dans l’espace. Il a conçu un parcours qui mène de
canope à Alexandrie en passant par Héracleion. Les immenses
images sous-marines qu’il a utilisées créent une atmosphère
onirique tandis que résonnent aux oreilles de visiteurs
d’étranges mélodies aquatiques. L’exposition présente ces
trois sites, Alexandrie, Canope et Héracleion, dans une
scénographie très évocatrice, films d’archéologues en plongée
projetés sur les murs, écrans sonores reflétant les
différentes phases des opérations de sauvetage, le tout
plongeant les salles dans une lumière de fonds marins.
Enveloppé de son et de musique sur ce monde dont la puissance
s’exprime dans les plus délicates boucles d’oreilles comme
dans les statues sculptées dans le granit au grain. Le
visiteur sera emporté dans le passé et dans les fonds
sous-marins. « Il faut aider le visiteur à voir une ambiance
spéciale, il faut organiser l’espace, la lumière et le son
pour que le public rencontre ces objets et les comprenne. Pour
lui, une exposition c’est physique ; ce sont des gens qui se
déplacent entre des objets et il faut que le visiteur soit en
relation avec l’œuvre », reprend Délice. Même conception pour
Goddio qui pense qu’il a eu de la chance d’exposer les pièces
au Grand Palais. « C’est plus spacieux que Berlin. Je prévois
dans les trois années qui viennent des découvertes encore plus
spectaculaires même », a-t-il dit.
Si après dix
ans de fouilles, les découvertes de la mission sont
incalculables et leurs moissons inégalables. Il est certain
que leur travail ne s’arrête pas là. La mer cache encore
beaucoup de mystères à cette mission qui continue toujours ses
fouilles, souligne Goddio. « Il y a des endroits qui nous
intriguent beaucoup. Je vais commencer à fouiller entre le Cap
Lochias et le port militaire de même qu’au Timonium. A Canope,
je vais étendre les fouilles là où je présume que le temple
trouvé est celui du Sérapium, alors que sur le site de
Héracleion, je compte finaliser son plan et je pense qu’il y
aurait beaucoup de surprises au nord. Plus on se dirige vers
le nord, les choses deviennent plus anciennes », a-t-il
expliqué. « Les découvertes remontent à des époques très
étendues. L’on a déjà fait des découvertes à Canope comme à
Héracleion de 4 dinars en or islamique dont la pièce la plus
récente remonte au VIIIe siècle », assure-t-il. Les fouilles
ont également permis d’identifier le monastère chrétien de
Metanoia. Si les vestiges architecturaux reposent dans l’eau,
de nombreux bijoux, des croix et des sceaux témoignent de la
présence chrétienne à Canope.
Si
l’exposition de Paris est la deuxième après celle tenue à
Berlin, il est très probable qu’elle ne soit pas la dernière.
Goddio a déjà pris une autorisation verbale de Zahi Hawas,
secrétaire général du CSA, de l’organiser dans deux autres
villes européennes après Paris : probablement Madrid et Bonn.
« Rêvons
ensemble que ces trésors puissent être présentés un jour
prochain non plus sous cette verrière, mais dans le musée
sous-marin d’Alexandrie dont vous avez le projet », a dit
Jacques Chirac lors de son discours inaugural de l’exposition.
Au premier jour de l’ouverture de l’exposition pour le public,
samedi, ils étaient 6 000 à se rendre au Grand Palais.
Hala Fares