Homme fort
du Fatah et ancien chef de la sécurité préventive à Gaza,
Mohamed Dahlane, qui
vient d’effectuer une visite en Egypte, considère que la marge
de manœuvre des Palestiniens reste toujours large en dépit des
difficultés actuelles.
« Quand le cheikh devient politicien, les choses se
compliquent »
Al-Ahram
Hebdo : Quel était l’objectif de votre visite en Egypte ?
Mohamed
Dahlane :
Mes visites en Egypte ne sont pas occasionnelles, elles sont
plutôt périodiques. Mais cette fois-ci, j’étais chargé par le
président Mahmoud Abbass de mettre les Egyptiens au courant
des derniers développements entre le Fatah et le Hamas,
surtout après la récente visite de Omar Souleiman, chef du
service des renseignements en Israël. La situation est bloquée
comme l’a exprimé Abou-Mazen. J’ai également discuté avec les
responsables égyptiens des moyens de relancer le programme
d’entraînement des forces de sécurité palestinienne.
— Quels
sont alors ces derniers développements ?
— On
s’approche d’un règlement dans la question des échanges de
prisonniers, ceci pourrait juste prendre quelque temps. Ce
retard est dû en particulier aux Israéliens et à leur nature
dans les discussions. Ils sont de très durs négociateurs que
j’ai déjà testés par le passé. Aujourd’hui peut-être la
situation est un peu différente, car les négociations se font
à travers une partie tierce qui est l’Egypte.
— Pourquoi
un accord échoue-t-il toujours ? Est-ce que c’est le nombre de
prisonniers ou l’idée de libération en parallèle ?
— Non, ce
n’est ni l’un ni l’autre. Le différend porte sur la méthode
elle-même. C’est-à-dire les critères d’un tel échange. Par le
passé, Israël refusait de libérer par exemple les habitants de
Jérusalem. Il ne l’a fait qu’une seule fois. Nous espérons que
ces prisonniers eux aussi feront partie de cet éventuel
échange. Je crois que la capture d’un soldat israélien est un
facteur en faveur des Palestiniens.
— Les
négociations entre le Fatah et le Hamas sur la formation d’un
gouvernement d’union sont aussi bloquées ...
— Sur la scène
palestinienne, il n’y a jamais eu d’absolu. C’est vrai le
président Abbass est arrivé à l’impasse avec les Hamassites.
Il leur a donné tout ce qu’ils demandaient, les a aidés sur la
scène internationale et arabe, mais il s’est rendu compte que
ce chemin ne mène à rien. L’idée n’est pas le gouvernement ou
les portefeuilles en conservant tel ou tel poste, mais la
levée du blocus économique qui tue les Palestiniens.
— Cela
voudrait dire quoi, il leur a accordé ce qu’ils voulaient ?
— C’est-à-dire
qu’il a accepté la formule d’un gouvernement d’union et a
forcé le Fatah à être présent dans ce gouvernement, mais le
Hamas souhaite un changement de pure forme, un gouvernement
dit d’union, mais où il maintiendrait le monopole. Le
différend est sur la méthode et le fond à la fois.
— Et vers
où les Palestiniens pourront-ils se diriger après cette
impasse ?
— Au sein du
mouvement Fatah, nous avons fait connaître notre position.
Nous reconnaissons les accords internationaux, en ce qui
concerne la forme et le fond, sur lesquels se fondent les
relations internationales. Le Hamas, lui, ne le fait pas.
Alors, il n’a qu’à trouver des solutions par lui-même et sans
aller dire que puisque le peuple résiste au blocus, nous
allons persévérer sur cette voie.
— Khaled
Mechaal a cependant fait des déclarations historiques en
acceptant un Etat palestinien dans les frontières de 1967.
N’est-ce pas là une reconnaissance implicite des accords
internationaux ?
— Comment
reconnaît-il les accords alors que le Hamas ne reconnaît même
pas l’OLP et la considère comme une organisation impie ? C’est
avec une forte hésitation que le Hamas a accepté de participer
au processus politique. En 1996, le mouvement a refusé alors
de prendre part aux législatives. C’est après dix ans qu’il
l’a fait. Aujourd’hui, il faut encore du temps au Hamas pour
parvenir à la maturité politique. Nous passons par une phase
charnière, une phase de reconstruction alors que la société
est divisée. Aucun n’accepte l’autre. Le Hamas continue à se
comporter en tant qu’opposition et le Fatah n’a pas encore
assimilé sa défaite après des années au pouvoir. La réussite
était une catastrophe pour le Hamas et la défaite était
également une catastrophe pour le Fatah. Aujourd’hui, soit les
deux sortiront gagnants, soit les deux sortiront perdants.
— Mais
comment peut-on reprocher au Hamas sa victoire aux élections ?
— Ce n’est pas
un reproche mais un constat. Le Hamas ne pourra pas faire
marche arrière et redevenir ce qu’il était avant le
scrutin. Et le Fatah non plus. Il ne pourra plus monopoliser
le pouvoir. Les erreurs commises par le Fatah peuvent être
discutées. Nous sommes la résultante des régimes arabes au
pouvoir et d’une occupation agressive. Mais quand on a remis
le pouvoir au Hamas, les Hamassites ont cru qu’ils sont venus
suite à un coup d’Etat et non à travers les urnes, et donc ils
se sont comportés comme tel, en éliminant les autres et
limogeant les Fatahistes. Il y a une grande différence entre
diriger une résistance et diriger un gouvernement sous
occupation. Le Hamas, qui se présentait comme un mouvement
pieux, militant, a perdu son éclat une fois au pouvoir. Quand
le cheikh devient politicien, les choses se compliquent.
Peut-être la situation actuelle pousserait-elle le Hamas à
plus de pragmatisme et réduirait le fossé entre nous. Ce
volcan donnera naissance à un régime politique bien établi.
— La tenue
d’élections anticipées serait-elle une solution selon vous ?
—
Personnellement, je suis contre la tenue d’élections en ce
moment. La loi n’autorise pas le président Abbass à les tenir
et ne l’empêche non plus de le faire. Il n’y a pas de texte.
Nous avons encore 3 ans devant nous, et il faudrait tenter de
parvenir à un compromis. Au sein du Fatah, nous avons dit à
Abou-Mazen que nous sommes prêts à un vote de confiance, mais
à condition qu’il ne choisisse pas des ministres du Fatah mais
des indépendants.
— Pourquoi
les Palestiniens sont-ils arrivés à cet état de confusion,
est-ce un conflit d’intérêt ?
— Il y a une
différence entre la confusion et le désordre. Et je crois que
toute la région souffre du désordre, en Iraq, au Liban et en
Palestine. Mais nous représentons le modèle flagrant. C’est dû
surtout à Israël et son influence sur la scène internationale.
Il y a derrière lui des institutions partout dans le monde
pour l’aider. Vous voyez si un colon meurt, tout le monde se
soulève pour condamner les Palestiniens. L’autre problème est
que la deuxième Intifada a été lancée sans véritable objectif,
était-ce la fin de l’occupation ? La création d’un Etat
palestinien ? Porter plus haut le plafond des négociations ?
Ou le tout ensemble ? Personne n’est en mesure d’y apporter
une réponse. Parallèlement se développe dans la région un
courant régional dit nationaliste, chiite, résistant,
opportuniste, sans qu’il n’y ait un courant opposant. Le
résultat en est une rue arabe qui se trompe en croyant que
l’issue viendra des mouvements religieux. C’est le plus grand
piège. Nos peuples ont une courte mémoire et ont souvent
tendance à oublier que le Fatah était le mouvement de lutte et
qu’un demi-million de Palestiniens ont croupi alors dans les
prisons israéliennes. Si c’était un autre régime, il aurait dû
s’écrouler depuis longtemps. Aujourd’hui, on nous accuse de
trahison, car nous avons des contacts avec les Américains et
les Israéliens.
— Mais
n’est-ce pas Washington qui a poussé vers cette situation avec
la montée des islamistes ?
— J’ai
tendance à croire que l’Administration américaine est
ignorante, car si c’était le contraire elle n’allait pas
s’engouffrer dans la région comme c’est le cas. Oui, les
Américains nous avaient conseillé de tenir des élections, mais
je crois qu’ils n’avaient pas de vision claire. Ils ne
prévoyaient pas les résultats des urnes. Je crois que c’est
une blague de parler de démocratie sous occupation.
— Ce statu
quo est-il donc voué à se poursuivre ?
— Ceux qui
peuvent lire en profondeur la société israélienne comprennent
bien que notre marge de manœuvre est large. Il nous faut juste
de l’audace, des idées hors du commun. La vision est peut-être
présente, mais les mécanismes manquent. Que veut Israël ? Il
ne veut rien donner et il ne fera rien sans pression. Il faut
leur renvoyer la balle, les Israéliens n’arrêtent pas de
répéter par exemple que les Egyptiens rejettent la
normalisation avec eux, mais est-ce qu’eux l’acceptent ?
Sont-ils prêts à accueillir des Egyptiens ou des Arabes chez
eux, des Arabes qui achèteront des maisons, des terres ou des
entreprises ?
Juste l’idée
les panique.
Samar Al-Gamal