Lutte salariale .
Les 11 000 ouvriers de Kafr
Al-Dawar, qui ont déclenché une
grève pour protester contre leurs mauvaises conditions de
travail, ont obtenu gain de cause.
Et à la fin, ils gagnent
Kafr
Al-Dawar,
De notre envoyée spéciale
Jeudi
8 février. Il est midi à Kafr
Al-Dawar dans le gouvernorat de
Béheira. Onze mille ouvriers
envahissent les locaux de l’entreprise de textile
Kafr
Al-Dawar. La joie apparaît sur les visages las et
exténués. Dans l’enceinte de l’usine, les ouvriers lancent
des youyous et s’embrassent. Après une semaine de sit-in et
de grèves, ils ont réussi à faire valoir leurs droits. «
Certains d’entre nous sont tombés malades et ont été
transférés à l’hôpital. Toutefois, nous avons résisté en
supportant le froid et la faim pour revendiquer nos droits
légitimes dont nous avons été privés depuis des années »,
raconte Mohamad Abdel-Samie, un
des ouvriers. Le gouverneur de Béheira
vient d’annoncer aux ouvriers grévistes la décision de la
ministre de la Main-d’œuvre, Aïcha
Abdel-Hadi, qui a promis de
régler tous les problèmes salariaux en leur versant une
prime représentant 21 jours du salaire de base, et
d’augmenter les primes mensuelles et annuelles.
Abdel-Hadi a aussi promis de
résoudre le problème de l’endettement de l’usine, évalué à
3,2 milliards de L.E. et cumulé à travers les années, avec
des intérêts vertigineux.
Les événements avaient commencé le 4 février lorsque les
ouvriers, exaspérés par la baisse des salaires, les
conditions de travail précaires, la détérioration des
services médicaux et du transport,
ont réclamé le renvoi du PDG, Ali
Ghallab, accusé de corruption. La liste des
revendications est longue. Ils réclamaient une hausse
des primes de panier, la reprise des promotions, suspendues
depuis 1995 et une « prime sur la production » qui équivaut
à 45 jours du salaire de base à l’instar des ouvriers de
l’entreprise de textile d’Al-Mahalla
Al-Kobra, qui l’ont obtenue
après une grève de 5 jours.
PDG mis dans l’embarras
La direction de l’entreprise s’était abstenue de leur verser
ces primes. « Ils n’ont aucun droit à ces primes car
l’entreprise ne gagne pas et est accablée par les dettes »,
justifie Ali Ghallab, tout en
affirmant que les ouvriers « jouissent de tous leurs droits.
L’intérêt de l’entreprise ne les intéresse pas. Tout ce
qu’ils veulent c’est d’être à égalité avec leurs collègues
d’Al-Mahalla », assure le PDG.
Pourtant, les déclarations de la ministre de la Main-d’œuvre
ont mis le PDG dans l’embarras. Celle-ci a reconnu que « les
ouvriers étaient en situation très difficile, que leur
statut salarial est faible, qu’ils sont privés de primes
depuis 1995 et que les services que l’usine leur présente
sont détériorés ».
Les ouvriers, eux, affirment avoir plaidé maintes fois pour
obtenir leurs droits, mais en vain. « Faire un sit-in était
le seul moyen pour obtenir nos droits, atteindre nos
objectifs et obliger la direction à répondre à nos
revendications », déclare Gamal
Chahine, ouvrier. Et de raconter ce qui s’est passé : «
Lorsque nous avons organisé un sit-in à l’intérieur de
l’usine, la direction a cru au début qu’il s’agissait d’une
tentative d’intimidation. Elle a coupé l’électricité pour
nous obliger à rentrer chez nous ». Initialement, les
ouvriers ne voulaient pas se mettre en grève. Ils voulaient
simplement manifester leur insatisfaction. Mais la coupure
de courant a été perçue par eux comme une provocation et la
grève a été lancée.
Cette grève n’est en réalité pas la première protestation
menée par les ouvriers de Kafr
Al-Dawar. Ils avaient déjà
organisé un grand sit-in à la mi-1998 réclamant la remise du
total de la valeur des indemnités qu’ils méritaient au titre
de la retraite anticipée. A cette époque, plus de mille
ouvriers avaient obtenu une retraite anticipée sans
indemnité.
Depuis quelques années, les protestations ouvrières se
multiplient. L’année dernière, 259 mouvements de
revendication salariale ont été organisés dans différentes
usines. Le plus important est la grève de 27 000 ouvriers de
l’usine de textile Ghazl
Al-Mahalla.
Protestations en série
Le début de l’année 2007 a connu quatre importantes
protestations : celles des usines de textile de
Chébine
Al-Kom, de Delta, de Hélouan,
et celle de la société
Al-Mansoura-Espagne pour la fabrication des
couvertures. Dans tous ces cas, l’Etat a dû céder aux
revendications ouvrières. Il n’a usé ni de la force ni de la
répression habituelle pour étouffer ces protestations.
L’Etat, déjà très critiqué par l’opposition sur le plan des
amendements constitutionnels et occupé par son bras de fer
avec les Frères musulmans, craint visiblement un débordement
des mouvements ouvriers. Les protestations ouvrières sont le
résultat des répercussions sociales du processus de réforme
économique, en particulier en ce qui concerne les salaires
et les primes. Les autres dossiers du processus de réforme,
comme les retraites anticipées et la liquidation
d’entreprises, ont également joué un rôle important dans ces
protestations. Un ouvrier de l’usine de
Kafr Al-Dawar touche en
moyenne 300 L.E. plus une prime annuelle de 90 L.E. au
maximum. Les ouvriers ne disposent que de deux jours de
congé par mois (deux vendredis sur quatre).
Ali Ghallab, le PDG, lance comme
pour noyer le poisson que le sit-in des ouvriers des
textiles a des objectifs politiques. « Face à la
détermination des ouvriers, le gouvernement n’a eu d’autre
choix que de céder », affirme-t-il. Il accuse les Frères
musulmans d’être derrière ces événements. « Ces derniers
n’ont pas réussi à remporter les élections ouvrières, ils ne
cherchent qu’à soulever la grogne de leurs collègues pour
secouer l’économie de l’Etat », ajoute-t-il. Les ouvriers
rétorquent que c’est la direction qui cherche à politiser le
sit-in pour éviter que le gouvernement ne dévoile sa
corruption. « Notre sit-in a été paisible. Si nous voulions
semer le trouble, nous aurions pu détruire les machines.
Mais, nous avons organisé notre sit-in en respectant le
calme sans commettre d’actes de violence ou de destruction
», lance Abdel-Hamid Chahine,
ouvrier. « Nous ne revendiquons pas seulement de meilleurs
salaires, mais nous luttons contre la corruption et le
gaspillage des fonds publics. Comment notre entreprise
est-elle déficitaire alors que la direction affirme que le
sit-in fait perdre à l’entreprise 3 millions de L.E. par
jour ? », interroge
Fayez Saad Ali, ouvrier. Les
ouvriers affirment que le président de l’entreprise, nommé
il y a neuf mois, a vendu à prix trop bas au secteur privé
les équipements qui avaient juste besoin de maintenance.
Héba
Nasreddine