Écosystème .
« Du poisson pour demain », tel était le slogan de la
Journée mondiale des zones humides 2007. Reportage au lac
Borollos, où des efforts sont
déployés pour protéger cette espèce aquatique menacée de
disparition.
Petit
poisson deviendra grand
A quatre heures du matin, le port du lac
Borollos commence à être animé
par les cris des pêcheurs et le bruit des moteurs. De
grandes embarcations qui accostent tout le long du quai, de
petites barques, des feloukas ou
des sambouks, comme les nomment
les pêcheurs, envahissent les lieux. De loin, raïs
Somaa, 30 ans de métier,
apparaît inquiet. « Dans les années 1980, il m’arrivait de
pêcher 40 kilos, ce qui me rapportait en moyenne 300 L.E.
par jour. Aujourd’hui, si la
chance
me sourit, je rentre avec seulement 4 kilos de poissons ou 8
kilos au maximum », dit-il tristement. Dépendant du
gouvernorat de Kafr Al-Cheikh, le lac Borollos est situé à
210 km du Caire, dans le nord du Delta du Nil, et est ouvert
sur la mer Méditerranée. Il faut donc protéger cette
richesse aquatique qui demeure la principale source de
protéines pour un milliard d’êtres humains et fait partie du
régime alimentaire de la plupart d’entre nous. C’est
pourquoi le lac Borollos est inclus dans la Convention de
Ramsar signée le 2 février 1971 dans la ville iranienne du
même nom, qui sert de cadre à la coopération internationale
pour la conservation et la gestion durable des zones
humides. Plus encore, le lac Borollos a été déclaré réserve
naturelle en 1998.
« Au lac Borollos, on pêche 365 jours par an. Ici, 11 600
feloukas ont une licence de pêche, ajoutant à ce nombre 10
000 autres bateaux qui n’ont pas encore d’autorisation.
Quatre à six pêcheurs travaillent par barque », précise Zaki
Moustapha, chercheur au sein de la réserve naturelle du lac
Borollos.
Le nombre de pêcheurs augmente en fait de jour en jour et
donc la richesse piscicole diminue d’une année à l’autre.
Plus encore, les pêcheurs violent la loi 124/83 en utilisant
des filets à mailles serrées, qui empêchent la reproduction
des poissons. « Mais avec la disparition de ces petits
poissons, c’est tout un écosystème qui est en péril. C’est
pourquoi la production du lac en poisson ne dépasse pas 60
000 tonnes par an », résume le Dr Fayed Al-Chamli, directeur
de la réserve dépendant de l’Agence Egyptienne pour les
Affaires de l’Environnement (AEAE). Pour réduire les dégâts,
la police de l’environnement tente de limiter l’accès au
port à tout pêcheur contrevenant. La police, qui rédige 800
contraventions par jour, impose des sanctions allant de 10 à
50 L.E., pour permettre aux poissons de se reproduire et
ainsi réduire son coût sur le marché. Malgré cela, les
contrevenants ont trouvé la parade et pêchent en pleine
nuit.
Selon le Dr Moustapha Fouda, président du secteur de la
protection de la nature dépendant de l’AEAE, le lac Borollos
est une réserve de poissons évaluée à 60 000 tonnes. Si le
kilo est vendu à 5 L.E., cela veut dire qu’elle rapporte 300
millions de L.E., alors que la superficie de la culture
aquatique s’élève à 120 km2. Ce qui revient à dire que la
richesse piscicole offre à l’Egypte 146 000 tonnes de
poissons par an (qui rapporte un milliard et 168 millions de
L.E.). « C’est une fortune qu’on doit protéger pour garantir
aussi le gagne-pain de 350 000 habitants de Borollos et
réaliser le développement durable du site », indique le Dr
Fouda.
« Si les pêcheurs s’abstenaient de pêcher pendant un seul
mois en attendant la reproduction des poissons, on aurait
une très grande fortune, non seulement à Kafr Al-Cheikh,
mais en Egypte », estime le cheikh des pêcheurs, Abd-Rabbou
Al-Gazayerli. Il ajoute qu’au lieu de vendre le kilo de
petits poissons à 2 ou 5 L.E., on peut vendre le gros
poisson à 9 ou 11 L.E. le kilo, prévoit le cheikh des
pêcheurs, qui refuse à jamais d’exercer ce commerce illégal,
la culture piscicole. Pour ne pas exercer ce commerce, 40 %
des pêcheurs sont partis chercher leur gagne-pain ailleurs,
en Libye, en Arabie saoudite, au Koweït et en Grèce. En
effet, les pêcheurs se plaignent d’un autre problème, celui
des roseaux qui se répandent tout au long du bord du lac
Borollos qui constituent un abri pour une quinzaine
d’espèces d’oiseaux et encouragent, aussi, les petits
poissons à s’évader et de s’y dérober à l’intérieur. Ces
roseaux recouvrent 40 % de la superficie du lac, tandis que
le taux idéal de la propagation de ce genre de roseaux ne
doit pas dépasser 17 % de la superficie du lac Borollos.
Mais pour savoir pêcher, raïs Ragab, portant un bonnet sur
la tête et des habits noirs en caoutchouc spécialement pour
la pêche, descend de la felouque, plonge dans l’eau et
essaie d’éloigner, de ses deux bras, les multitudes bandes
de roseaux qui entravent son avance. Puis, il les arrache,
les groupe ensemble à l’aide d’un très grand nœud et les met
de côté au bord du lac.
« Chaque jour à 15 heures, après avoir terminé ma pêche,
j’éloigne les roseaux pour préparer la besogne de demain,
afin de ne pas perdre du temps », avoue-t-il. C’est vrai que
le lac Borollos est considéré comme la 3e réserve
sélectionnée par le projet MedWet Coast mais pour peu de
résultats. Ce projet, qui vient de s’achever en octobre
dernier et qui a duré pendant trois ans consécutifs, a
réalisé de grands travaux en arrachant ce genre de roseaux,
mais ceux-ci ont de nouveau recommencé à se répandre.
Le bolti, dernier survivant
Le lac Borollos souffre également d’une baisse du taux de
salinité, ce qui provoque la disparition des espèces
aquatiques. « La quantité d’eau douce versée dans le lac
s’élève à 4 milliards de m3 par an tandis que le lac ne peut
absorber qu’un milliard », avoue le président de
l’Association des pêcheurs à Borollos. Dans les années 1970
et 80, le lac Borollos groupait tous genres de poissons,
bolti, truite, saumon, mollusques, crustacés, etc. Mais
aujourd’hui, il n’existe qu’un seul genre de poisson : le
bolti avec ses différentes mesures, son poids et sa
longueur.
« Le bolti croît facilement dans ces eaux car il est
prolifique, il peut rapporter 2 000 autres petits au minimum
en prolifération », explique le doyen des pêcheurs à
Borollos. En ce qui concerne le problème de l’assèchement,
il faut avouer que c’est l’Etat qui a commencé l’affaire en
essayant d’augmenter les surfaces des terrains agricoles au
détriment des lacs. De même que les projets d’urbanisme,
comme le fait de percer des routes et d’installer des
canalisations d’eau, d’électricité et de gaz naturel.
Ajoutant à tout cela le drainage industriel pour compléter
le cocktail empoisonnant dans le lac.
Il ne reste donc qu’à savoir que les premiers principes
d’une pêche responsable, dictés par le code de conduite de
la FAO pour sauver une telle zone humide comme le lac
Borollos est de : pêcher moins, pêcher mieux, réduire
l’effort de pêche, respecter les quotas, impliquer les
différents acteurs, augmenter les retombées économiques au
niveau local, réduire la pollution marine et la protection
des milieux naturels côtiers.
Manar
Attiya