George W. Bush .
Le chef de l’exécutif américain commence ce mercredi une
tournée au Proche-Orient où il tentera de rattraper ou
d’atténuer l’effet de deux mandats d’échec. Son agenda reste
un peu contradictoire.
Visite de reconnaissance tardive
Washington,
correspondance —
«
Tant que le Proche-Orient demeure un lieu où la liberté ne
s’épanouit pas, il restera un emplacement de stagnation, de
ressentiment et de violence prêts à être exportés » ... Tout
le monde a aujourd’hui oublié ces mots et même le président
Bush qui les a prononcés il y a un peu plus de 4 ans. Le ton
d’une administration soutenant l’idée d’un Proche-Orient
jouissant de plus de démocratie et d’une meilleure
performance en matière de droits de l’homme s’est transformé
en un langage plus pragmatique ou réaliste. En d’autres
termes, une administration omettant beaucoup de valeurs
qu’elle prêchait mais qui s’est rendue compte de leur danger
sur les intérêts stratégiques américains. Et ce mercredi, il
entame une visite de 9 jours dans la région. Israël, les
territoires palestiniens, l’Arabie saoudite, le Koweït,
Bahreïn et enfin l’Egypte. Son ordre du jour est loin d’être
léger ; il veut contenir l’Iran, parler des prix du pétrole
et pourquoi pas gratter la surface d’un processus de paix
israélo-palestinien plus que compliqué. Le chef de la Maison
Blanche entame la dernière année de son mandat avec des
ambitions réduites pour terminer les tâches commencées.
Le rêve de Bush, voire son « romantisme » aurait changé
entre ses deux visites au Proche-Orient. Historiquement,
aucun des présidents des Etats-Unis n’a vraiment bien passé
la dernière année de son mandat. George Bush ne fait pas
exception, il souffre de problèmes internes majeurs
notamment après la chute du marché du financement immobilier
sur fond d’un Congrès dominé par des Démocrates et qui lui
est hostile. le Bush junior trouve une issue facile en se
tournant vers la politique étrangère. En dépit de la chute
de sa popularité et le début du marathon présidentiel, Bush
croit qu’il n’a rien à perdre. Son rêve ultime serait
apparemment de façonner son héritage. Il faut peut-être y
croire, ne lui reste-t-il peu de temps et encore beaucoup
moins de poids ? Qu’est-ce qu’un président américain peut
faire en fin de mandat ? Officiellement, le Département d’Etat
a affirmé que l’objectif de la tournée de Bush dans la
région est de profiter de « l’élan » né de la conférence
d’Annapolis. Le président américain, qui recevait cette
semaine un nombre de journalistes arabes, a été plus
explicite : il soutient la « vision de deux Etats »
palestinien et israélien vivant côte à côte et il veut en
convaincre ses alliés. Pourra-t-il arracher des concessions
? Bush s’est rattrapé lui-même. « Je peux faire des
pressions quand il y a besoin et encourager quand il le
faut. Et moi j’irai les encourager à continuer à se
focaliser sur la grande image » ! ! Des mots qui nourrissent
plutôt des doutes surtout que la porte-parole de la Maison
Blanche, Dana Perino, vient de déclarer que « le président,
qui rencontra Abbass et Olmert séparément, ne devrait pas
s’engager personnellement dans les négociations ». Pour
atténuer les attentes donc, Bush ne sera pas en mesure de
parvenir à provoquer l’avènement d’un Etat palestinien
viable dans ce délai, qu’il s’est fixé lui-même en 2001.
Bush qui était le premier président américain à évoquer la
création d’un Etat palestinien, le maximum qu’il peut faire
désormais est d’insister auprès d’Israël pour un
démantèlement des colonies érigées dans les territoires
occupés sans pourtant faire aucune allusion au maintien des
cinq grandes colonies de la Cisjordanie, construites à
l’initiative des différents gouvernements israéliens et où
vivent quelque 270 000 Israéliens. Difficile donc de dégager
une stratégie d’ensemble de la politique américaine. Mais ce
qui est sûr au moins d’après ce que croit Amr Hamzawi,
chercheur à l’institut Carnegie pour la paix mondiale à
Washington, c’est que « par cette visite, les Etats-Unis
confirment qu’ils ont redécouvert la diplomatie après
Annapolis. Elle prend le devant face à une politique
auparavant basée uniquement sur la confrontation et les
aventures ».(Lire entretien page 4). Timide diplomatie et
timide simplification. A Washington, on l’interprète par un
recul du rôle de Dick Cheney et une influence accrue de
celui de Mlle Condi. Mais plus que la paix, Bush a d’autres
visées : l’Iran est l’élément moteur de cette tournée. En
dépit de la publication d’un rapport des services secrets
américains confirmant que Téhéran aurait arrêté toute
activité nucléaire militaire depuis 2003, Bush croit que
l’Iran constitue toujours une menace. Peut-être pas dans le
sens où il nécessite une frappe militaire immédiate mais
plutôt pour convaincre les pays du Golfe qu’ils ont
davantage besoin de la protection américaine. Un parapluie
militaire défensif américain sera toujours présent, c’est le
message que le président américain veut véhiculer.
Washington joue dans cette affaire sur la partition
chiite-sunnite en Iraq, au Bahreïn pour finir au Liban. Il
veut promouvoir cette idée d’un danger chiite iranien accru.
D’où d’ailleurs les récents contrats d’armements entre les
Américains et les Arabes du Golfe. Cela résume cette crainte
que Bush veut développer chez les monarchies du pétrole.
D’autant
plus que le Golfe est synonyme de pétrole. Et les Etats-Unis
sont inquiets de cette flambée des prix surtout que les
récents chiffres démontrent qu’en 2030, les Américains
compteront à 50 % sur l’importation en matière d’énergie et
la grande part de celle-ci viendra du Proche-Orient. Mais la
véritable préoccupation de l’Oncle Sam est que l’Inde et la
Chine sont devenues en 2007 les premiers importateurs de
l’énergie du Proche-Orient. Une situation vouée à se
poursuivre au fil des ans.
Ceci explique peut-être en partie pourquoi les Etats-Unis,
qui étaient devenus prudents avec l’Arabie saoudite au
lendemain du 11 septembre 2001, ne le sont plus. Le Royaume
a même récupéré sa place d’allié privilégié face à un recul
de la position de l’Egypte, Bush passera moins de 4 heures à
Charm Al-Cheikh. Signe de la tension accrue entre Washington
et Le Caire sur fond de suspension de quelque 100 millions
de dollars de l’aide américaine au régime de Moubarak.
L’Administration Bush ne dissimule plus son irritation face
au maintien des contacts entre le gouvernement du Caire et
celui du Hamas. Bush devrait encore passer un message
peut-être sous-jacent vis-à-vis des questions des droits de
l’homme au Caire sur fond du dossier de l’opposant Aymane
Nour. Le Caire ou encore les autres capitales arabes ont-ils
autant de messages à faire entendre au président américain ?
La réponse est problématique, mais elle se place sous une
affiche aussi large comme quoi, faute d’une réorientation de
la politique américaine, la situation dans la région
continuera de se dégrader. Leurs ambitions, elles aussi, ont
été réduites au maximum. L’espoir des Arabes aujourd’hui est
que la visite de Bush ou sa nouvelle implication dans la
région n’engendreront pas davantage de violences.
L’expérience a démontré que c’était toujours le cas au point
que beaucoup dans la région formulent sans gêne cette idée
que George Bush aurait fait une bonne faveur au
Proche-Orient, voire à l’ensemble du monde en restant
simplement chez lui l
Mohamad Al-Menchawi
« Avec la visite de Bush, les Américains confirment qu’ils
ont redécouvert la diplomatie après Annapolis »
Amr Hamzawi, chercheur à l’Institut américain Carnegie pour
la paix mondiale, à Washington, estime que le Golfe est une
priorité dans la tournée du locataire de la Maison Blanche.
Al-Ahram Hebdo : Pourquoi George Bush envisage-t-il cette
tournée dans la région ? Vient-il avec du nouveau ou est-ce
une simple visite d’adieu ?
Amr Hamzawi : Traditionnellement, les présidents américains
n’effectuent pas de visites d’adieu. Ils le font parfois
vers les deux derniers mois de leur mandat et en destination
de leurs alliés européens. Bush a encore un an en poste
devant lui et c’est une longue période en dépit de la course
présidentielle. Je crois que c’est une année-clé pour la
politique américaine, surtout pour l’administration
actuelle, sur au moins quatre grands dossiers : l’Iran,
l’Iraq, Israël et le Liban.
— Dans le monde arabe, il y a des craintes que cette visite
ne soit le prélude à une attaque contre Téhéran ...
— Je crois que la seule partie qui a intérêt aujourd’hui à
frapper l’Iran c’est Israël. Après le rapport des services
secrets américains, Bush aura beaucoup plus de mal à
véhiculer, auprès des Américains et auprès des alliés
européens, l’idée d’une opération préventive contre
Ahmadinejad, même si théoriquement, on doit attendre
jusqu’au printemps pour trancher cette question. L’Iran est
un dossier important dans cette visite, c’est pourquoi Bush
passera le plus de temps dans les pays du Golfe. Son
objectif est plutôt de contourner l’influence iranienne en
établissant des arrangements sécuritaires dans la région. Et
sa mission est assez compliquée car Bush devrait
s’efforcer de convaincre ces pays qu’ils ont toujours besoin
de cette soupape de sûreté militaire américaine. La
situation en Iraq a en effet réduit l’importance de celle-là
et Bush veut récupérer le rôle américain. Il veut encore
encourager les pays du Golfe à fermer les canaux ouverts
avec Téhéran. Il ne faut pas oublier que les Emirats arabes
ont d’importantes relations économiques avec Téhéran et
l’Arabie saoudite entretient des relations diplomatiques
avec cet Etat. Ahmadinejad mène une activité diplomatique
claire dans la région : il a assisté au sommet des pays du
Golfe et il s’est rendu à La Mecque pour le pèlerinage. Bush
veut simplement encourager le Golfe à opter pour le
contournement plutôt que l’ouverture sur l’Iran.
— S’il peut convaincre les pays du Golfe de changer de
position, pourra-t-il arracher des concessions aux
responsables israéliens sur le processus de paix ?
— Théoriquement, l’Administration américaine est la seule au
monde capable de faire des pressions sur Israël et encore
une administration républicaine. Le parti républicain est,
contrairement aux Démocrates, libéré des pressions des
financements de campagne ou des donations du lobby
pro-israélien. Il existe des éléments contraints, surtout
que c’est une année d’élections et donc de confusion pour
l’Administration Bush qui ne veut pas laisser à son
successeur un héritage difficile à gérer. Il ne faut pas non
plus oublier que le groupe autour du vice-président Dick
Cheney divise le Proche-Orient en ennemis et ami et ce
dernier n’était qu’Israël. Les néo-conservateurs eux aussi
rejettent toute pression sur Tel-Aviv. C’est pourquoi je
crois que les pressions sont plus au niveau de la rhétorique
et partiellement sur les colonies. Il tentera d’encourager
les Israéliens d’être un peu plus flexibles et de geler
certaines implantations qui changent la réalité sur le
terrain, mais ne s’attaquera pas aux dossiers épineux comme
les réfugiés, Jérusalem ou encore le délai de la création
d’un Etat palestinien. Avec le président Abbass, il
l’encouragera probablement à maintenir le statu quo avec le
Hamas, c’est-à-dire à éviter tout dialogue et tout
gouvernement d’union nationale.
— Bush a-t-il donc oublié tous ces discours sur la
démocratie ?
— Ceci sera un volet de ses discussions, peut-être pas en
public. Il soulèvera la question au Koweït, au Bahreïn et en
Egypte. Encore des mots simplement pour enraciner l’idée que
l’Administration Bush est la première à avoir fait de la
démocratie au Proche-Orient une priorité.
— Si c’est vraiment son objectif, pourquoi le président
américain a-t-il aussi tardé pour mener une visite dans la
région ?
— Avant 2007, il n’y avait pas de diplomatie américaine dans
la région. Les Américains optaient plus auparavant pour
l’aventure comme en Afghanistan ou en Iraq et avec la visite
de Bush, les Américains confirment qu’ils ont redécouvert la
diplomatie après Annapolis. Elle prend le devant face à une
politique basée uniquement sur la confrontation et les
aventures.
— N’est-ce pas un peu tard ? certains observateurs vont
jusqu’à qualifier Bush de pire président américain ?
— Il est impossible de juger au moment même. Il faudrait du
recul, un peu plus de temps pour confirmer ou non cette
idée. Mais ce qui certain c’est que les politiques de Bush
sont simplement mauvaises. Cette Administration voulait
recréer un nouveau Proche-Orient quelle que soit la
nomination et ceci signifiait : plus d’amis pour les
Etats-Unis, élimination des ennemis et moins de menaces pour
les intérêts américains. Le bilan est autre. Les amis des
Etats-Unis dans la région n’ont pas augmenté et ceux qui le
sont ont du mal à le déclarer à cause de la mauvaise image
de l’Amérique. Bush a éliminé Saddam et les Talibans, mais
un ennemi plus grand a surgi : l’Iran. C’est une crise de
gestion. L’Administration a échoué à réaliser ses objectifs
.
Propos recueillis par Samar Al-Gamal