Plus que les
paroles d'Hermès Trismegiste, posées
en exergue du livre, ce sont ces vers de Bahaa
Jahine, traduits par Galila
Al-Qadi un des deux auteurs du
livre et ouvrant le
cinquième chapitre « La
Cité des morts, un abri pour les
sans-abri », qui auraient
mérité de figurer en épigraphe
à cet ouvrage.
Car ce livre, d'abord d'architecture et
d'urbanisme, contrairement à ce à
quoi nous pouvons nous attendre avec ce genre
d'ouvrages, est vivant, très proche de son
objet, presque sensible.
Tout au long des sept chapitres, les deux auteurs,
Galila Al-Qadi et son mari Alain
Bonnamy elle architecte urbaniste
chargée de recherche à l'Institut de
recherches pour le développement, et lui
architecte à Paris ont
tenté de réaliser un équilibre
difficile entre la rigueur académique et une
certaine approche d'où la
subjectivité n'est pas exclue. Cette part
nous pouvons sans aucun doute l'attribuer à
Galila Al-Qadi qui est égyptienne, et par
là sensiblement proche de l'objet de cette
étude. Elle ne s'en cache d'ailleurs pas,
puisqu'elle place l'introduction sous le sceau des
souvenirs de son enfance. Cette part du subjectif
est d'autant plus nécessaire que l'objet
réel de cette étude est le rapport
d'une culture à la mort. C'est-à-dire
le rapport à la mort de millions d'humains
ayant peuplé la terre d'Egypte sur des
millénaires d'Histoire.
Il est rare, pour ce genre d'ouvrages, d'être
accessible aux profanes que nous sommes. Celui
d'Al-Qadi et de Bonnamy fait incontestablement
partie de cette rare exception. Bien que
très fourni en détails
décryptables par les seuls
spécialistes : terminologie, plans de
situation, plans cadastraux, relevés, coupe,
schémas de structures, états de
bâtis, etc., l'abondance de photos de
monuments funéraires, y compris celles de
détails ornementaux, rendent l'ouvrage
parfaitement lisible. Le texte évoluant, en
méandres incessants, entre froid descriptif
de sites et bâtiments, profondeurs
historiques et dimension humaine des
lieux se permettant même
parfois quelques envolées
lyriques ne dessert nullement le
propos. C'est même tout le contraire,
puisqu'au fil des pages, par petites touches, se
révèlent à nous les
spécificités d'une
société pour qui la mort est une
autre vie à côté de la vie.
Ceci est tellement vrai que, très souvent,
les auteurs parlent de « demeures
funéraires » pour
désigner les caveaux, les tombes et autres
monuments funéraires.
Par ailleurs, cet ouvrage a le mérite de
venir mettre fin à une légende
contemporaine, aux effluves de scandale social et
politique, et qui voulait que les cimetières
du Caire soient
habités squattés par
près d'un million de citoyens. Ce qui ne
tarda pas à faire de ces nécropoles
une attraction touristique pour des Occidentaux en
mal de cours des miracles exotiques. Cette
légende ne résista pas à
l'investigation des chercheurs qui
révéla que le nombre des habitants
des tombes proprement dites ne dépassait pas
les 13 000 !!
Par ailleurs, ce livre a une valeur documentaire
indéniable, puisqu'il vient, tel un
instantané, fixer pour les temps à
venir, la physionomie géographique,
urbanistique, architecturale et surtout humaine de
sites mortuaires qui risquent de faire
définitivement, et sous peu, partie des
seuls souvenirs, sous les coups de boutoir de
grands bouleversements dus aux
réaménagements gigantesques
qu'imposent les développements tentaculaires
de cette mégapole qu'est Le Caire.
S'il est un ouvrage qui manquait sur ce sujet,
La Cité des morts, c'est bien celui
de G. Al-Qadi et de A. Bonnamy qui, ne pouvant
certes pas prétendre à
l'exhaustivité, vient replacer l'objet dans
ses contextes complexes, tout en se laissant lire
par le grand public que pourrait néanmoins
dissuader le prix de l'ouvrage. Un livre dont la
bibliographie arabophone a grandement besoin,
surtout qu'il manque terriblement dans cette
langue, des ouvrages aussi bien traités et
documentés et si bien étayés
par une iconographie nombreuse et judicieuse.
Un livre à mettre entre toutes les mains,
autant que faire se peut, et à consommer
sans modération. Bon à offrir par ces
temps de fêtes
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