Au
moment où dans la société
néerlandaise on peut noter des actes
d'hostilité à l'égard des
Arabes et des musulmans comme certaines agressions
contre les institutions islamiques et les
rassemblements d'immigrés arabes, j'ai eu
l'occasion au cours d'un voyage effectué il
y a deux semaines à Amsterdam de noter des
indices positifs démontrant que cette vague
d'hostilité est sur le point de
disparaître. C'était au cours d'un
grand festival qui s'est tenu à l'occasion
du 90e anniversaire de Naguib Mahfouz et à
l'occasion de la nouvelle version de l'opéra
Aïda présentée actuellement.
J'ai
été heureux de voir les Pays-Bas
célébrer l'anniversaire du grand
écrivain du monde arabe, Naguib Mahfouz, et
ce en tenant un grand festival intitulé
Le cinéma de Naguib Mahfouz. Un grand
nombre de films arabes inspirés des romans
de Mahfouz ont été
présentés, dont Commencement et
fin ou Bein Al-Qasrein. En marge du
festival se sont également tenues plusieurs
conférences importantes auxquelles j'ai eu
l'honneur de participer. Mon intervention a
porté sur les derniers écrits de
Naguib Mahfouz, des petits contes nommés
Rêves de convalescence publiés
tous les quinze jours dans la revue Nisf
Al-Dounia. Ont
également pris part à ces
conférences un grand nombre de
spécialistes et d'intellectuels tels que
Magda Wassef de l'Institut du monde arabe à
Paris, qui a exploré le parcours du
cinéma égyptien sur plus d'un
siècle, le critique de cinéma Hachem
Al-Nahhas, qui a présenté les films
de Naguib Mahfouz et le critique littéraire
Ibrahim Fathi qui a suivi les personnages les plus
importants des romans de Naguib Mahfouz.
Sans oublier
certains écrivains et traducteurs hollandais
spécialisés dans la
littérature du prix Nobel.
Le promoteur de ce festival est un jeune
égyptien, Adel Salem, qui a quitté
Hélouan il y a plus de dix ans pour
s'installer aux Pays-Bas. Cet écrivain de
théâtre, acteur et metteur en
scène, est aussi le propriétaire
d'une société artistique
nommée Sphinx. Mais un certain nombre
d'organismes culturels et artistiques ont
également comme c'est
souvent le cas contribué
à subventionner le festival. Ceci avec le
souci de mieux connaître et faire
connaître l'autre, surtout dans la
conjoncture actuelle.
Lorsque Adel Salem m'a fait part de son projet il y
a plus d'un an, les circonstances étaient
différentes de celles que nous vivons
aujourd'hui après les
événements du 11 septembre. A ce
moment-là, je craignais pour Adel Salem et
pour son idée ambitieuse et je n'imaginais
pas que les rêves de ce jeune homme pouvaient
voir le jour. Et lorsque les
événements du 11 septembre ont
éclaté il m'a semblé que ce
rêve dans sa globalité avait lui aussi
été enterré sous les
décombres des deux tours du WTC pour
se transformer en cendres en raison de cette
campagne d'hostilité contre tout ce qui est
arabe dans la majorité des pays
européens. Mais je fus agréablement
surpris lorsque Adel Salem me fit part à
partir d'Amsterdam que le projet tenait bon et que
les sponsors demeuraient tout aussi
enthousiastes.
Les
événements de septembre ont
revêtu ce festival d'une aura
particulière d'autant plus qu'il a fait le
tour du pays. Le public néerlandais abondant
est venu confirmer que lorsque notre dialogue avec
le monde porte les emblèmes de l'art, de la
culture et de la civilisation, on ne peut que
tendre l'oreille et nous écouter avec
attention.
Les affiches du
festival du cinéma de Naguib Mahfouz
étaient présentes partout, et nous
pouvions les admirer sur tous les murs tout au long
de cette semaine passée à Amsterdam.
Elles sont venues saluer le grand homme de lettres
égyptien Naguib Mahfouz et son fidèle
admirateur Adel Salem. Toutefois, un brin de
nostalgie nous envahissait à chaque fois que
l'on nous posait la question sur notre
manière de célébrer ce grand
événement en Egypte.
Autre question, plus de 95 attentats ont
été menés contre des Arabes et
des musulmans dans la semaine qui a suivi les
événements de septembre dernier.
La
presse néerlandaise a certes joué un
rôle important dans la mobilisation de
l'opinion publique contre tout ce qui est arabe ou
musulman. Ceci a affecté de manière
négative les immigrés musulmans qui
sont plus d'un million, et dont la moitié
est arabe. D'ailleurs, un grand nombre de personnes
appartenant à des communautés
étrangères non arabes tenaient
à spécifier leur origine non arabe.
Un
président d'origine turque d'une association
d'immigrés a d'ailleurs
déclaré lors d'un programme
télévisé :
« Aucun lien ne nous lie à ces
Arabes » (!!)
Si la question ne se limitait qu'aux
immigrés, on leur aurait peut-être
trouvé une quelconque excuse en justifiant
leur comportement par la peur d'être
traités de la même manière que
les Arabes. Mais en fait, certains intellectuels et
professeurs d'universités ont pris part
à cette campagne hostile en mettant en garde
les gens contre « le grand danger
social que représente l'existence des
musulmans dans la
société ». (!!)
Les Arabes des Pays-Bas se souviennent encore d'un
incident semblable à un coup de tonnerre.
C'était lorsque le nom du
député du parti libéral Ossama
Chouraibi a été éliminé
des listes électorales et ceci pour une
raison toute simple, à savoir que le
prénom est le même que celui d'Ossama
bin Laden. Chouraibi est un immigré
d'origine marocaine et il est actuellement
président de la commission de l'enseignement
au Parlement hollandais. Il est également
l'un des éminents représentants des
Pays-Bas auprès de nombreuses organisations
internationales, dont l'Unesco. Il a de nombreux
écrits dans lesquels il essaye de modifier
les mentalités en leur montrant la religion
musulmane et les musulmans sous un nouveau
jour.
L'opéra Aïda n'est pas
nécessairement celui signé par le
grand musicien italien Giuseppe Verdi.
Récemment, le chanteur et musicien Elton
John a écrit une nouvelle musique pour
Aïda, transformant ainsi cet
opéra en une comédie musicale
présentée avec succès sur l'un
des théâtres de La Haye.
La Nouvelle Aïda, produite par Walt
Disney, repose sur la même histoire que
celle du fameux opéra de Verdi, écrit
par l'égyptologue français Mariette
pacha à la demande du khédive
Ismaïl. Verdi devait le mettre en musique afin
qu'il soit présenté à
l'inauguration du Canal de Suez en 1869. La
nouvelle représentation d'Aïda
est plutôt proche de la musique pop des
discothèques et non de la musique classique
comme celle de Verdi.
Vu le succès rencontré, on estime
à 1,5 million le nombre de spectateurs qui
auront assisté à ce nouvel
opéra Aïda aux Pays-Bas. Ce
nombre est important si on le compare au nombre
d'habitants de ce pays qui ne dépasse pas
celui de la ville du Caire, c'est-à-dire 16
millions. La pièce de théâtre
est présentée en néerlandais
et n'est accompagnée d'aucune traduction.
L'un de mes amis s'est insurgé en affirmant
qu'on n'avait pas besoin de traduction pour
Aïda, l'un des opéras les plus
célèbres du monde.
Il
est amusant de noter que le théâtre
dans lequel est joué la nouvelle
Aïda à La Haye comprend aussi un
restaurant présentant des plats
puisés de l'Histoire égyptienne.
Ainsi, le pain a la forme de petites pyramides, et
au menu il y a les « salades
Aïda » et « le
dessert du Nil ».
Le producteur
de la nouvelle Aïda, Van den Ende,
estime que cette représentation jouée
pour la première fois en Europe après
son succès aux Etats-Unis a
coûté environ 6,5 millions de dollars.
Il a ajouté qu'il a planifié de la
présenter dans les différents pays
d'Europe, et notamment dans ceux de l'Europe de
l'Est qui ont longtemps été
privés de ces grands spectacles.
Mais
à part Aïda, une autre
pièce de théâtre, Grace,
jouée à Amsterdam, réalise,
elle aussi, un grand succès. La pièce
de théâtre a pour sujet la star du
cinéma américain Grace Kelly qui a
abandonné le cinéma dans les
années 1960 après son mariage avec le
prince Rainier de Monaco.
La princesse
Grace a trouvé la mort en 1982 dans un
accident de voiture.
Suzanna, l'amie d'Adel Salem, membre de
l'équipe de réalisation de la
pièce de théâtre, nous a
raconté une histoire amusante sur la
genèse de cette représentation. Bert
Maas, homme d'affaires hollandais, était un
grand admirateur de Grace Kelly dans sa jeunesse.
Il a été ébloui par sa
beauté angélique et il ne ratait
aucun de ces films. Devenu millionnaire et grand
homme d'affaires, il décida de produire une
comédie musicale ayant pour thème sa
star favorite. Il a dépensé 8
millions de dollars pour réaliser son
rêve.
Mais toutes ces dépenses ne sont pas
uniquement l'expression d'un simple caprice
d'adolescent passionné par la beauté
d'une actrice de cinéma, mais aussi un
investissement réussi. La pièce de
théâtre Grace réalise un
grand succès et donc d'énormes
recettes pour son producteur. Des
représentations sont aussi prévues
à Londres, Paris et Berlin dans les langues
nationales et sur leurs théâtres.
Elles offriront des revenus
supplémentaires.
Le budget de production ne s'est pas limité
uniquement aux salaires et aux dépenses de
production ; le producteur passionné de
Grace Kelly a aussi bâti un nouveau
théâtre spécialement pour cette
représentation. Le théâtre a
été bâti selon le modèle
du palais de Monaco où Grace Kelly a
vécu. Un théâtre luxueux qui
peut rassembler 1 240 personnes et dont le
coût s'est élevé à plus
de deux millions de livres. Il regroupe un
restaurant et une boutique où l'on peut
acheter de petits souvenirs tels que des parapluies
avec le portrait de Grace, des lunettes semblables
à celles que portait l'ex-actrice devenue
princesse et des t-shirts portant le nom de la
pièce de théâtre.
Le
producteur Bert Maas a mené son entreprise
avec succès et il a fait de nombreuses
recettes, car il avait minutieusement
étudié le marché. Ainsi avant
d'entreprendre son projet avait-il effectué
un sondage auprès de 1 400 personnes en
leur demandant s'ils désiraient voir un
spectacle sur la vie de Grace Kelly.
Rassuré
par son public nombreux, il loua pour une
période de trois ans un terrain sur lequel
il construisit son théâtre. Il signa
de nombreux contrats avec des superstars dont l'un
des plus célèbres compositeurs de
spectacles musicaux, l'américain Cy Coleman,
créateur de la musique du spectacle.
Ce producteur a ainsi payé la dette qu'il
devait pour reprendre ses
propos à la princesse du
cinéma américain Grace Kelly. Une
fois la dette payée, il n'aurait plus,
d'après lui, de raison de revenir à
la production artistique qu'il avait rejointe rien
que pour les beaux yeux de la princesse de ses
rêves. Celle-là qui a illuminé
ses rêves de jeunesse.
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