Al-Ahram Hebdo, Opinion | Ahmad Youssef, La francophonie égyptienne à l'épreuve islamiste

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 Semaine du 12 au 18 septembre 2012, numéro 939

 

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Opinion

La francophonie égyptienne à l'épreuve islamiste
Ahmad Youssef
Ecrivain
 

L'île de Zamalek, avec un autre quartier résidentiel dit Garden City, ont toujours été considérés comme les derniers bastions de la francophonie égyptienne. Un peu plus loin vers le nord de la capitale, le quartier d’Héliopolis. Ce quartier a été fondé par le baron Empain au début du XXe siècle. Curiosité de l’Histoire, le somptueux hôtel que le baron a construit pour ses invités de marque venant de l’Europe est devenu, sous Moubarak, et maintenant sous Morsi, le palais présidentiel. Si on sort de la capitale, un peu plus vers le nord-ouest, on rencontre toute une légende de la francophonie alexandrine, vieille de deux siècles, et au nord-est de la capitale, l’Université française d’Egypte, qui vient de fêter sa 10e année. Mais d’où et comment est née cette francophonie nilotique, sans parler de la francophilie des Egyptiens qui constitue en soi une tout autre histoire ?

C’est à l’aube du 1er juillet 1798 que le commandant en chef de l’Armée d’Orient met les pieds sur la plage du quartier de Max à l’ouest d’Alexandrie. La création par Bonaparte, quelques mois plus tard, de l’Institut d’Egypte, présidé par le grand savant Monge, fut un événement majeur dans la modernisation de l’Egypte qui, on l’a bien compris, se fait désormais dans la langue de Molière.

Cent ans plus tard, à la fin du XIXe siècle, on comptait en Egypte 200 instituts, écoles, associations de langue française et un nombre équivalent des titres de la presse francophone en Egypte. L’ironie de l’Histoire a voulu que cette francophonie nilotique, née sous les coups des canons de Bonaparte, devienne la première arme des Egyptiens contre un autre occupant, mais persona non gratta cette fois-ci, l’occupant britannique. En effet, c’est à Paris que le nationalisme égyptien est né. Le cheikh Rifaa Al-Tahtawi, un imam d’Al-Azhar, était devenu par ses écrits et son action, et depuis son retour de Paris dans les années 1830, le véritable promoteur d’une modernisation et d’une démocratisation à la française. Son immortel livre L’Or de Paris fut la Bible des modernisateurs égyptiens. L’école d’Al-Alsun, un magnifique mélange de l’ENA et de l’école polytechnique, était et reste encore l’une des plus grandes places fortes de la francophonie égyptienne. L’auteur de cet article s’enorgueillit encore d’être issu de cette école. Après Rifaa Al-Tahtawi, une pléiade de savants, de politiques et d’écrivains égyptiens sont allés à Paris puiser dans les sciences modernes, mais aussi l’esprit de liberté. De Mohamad Abdou à Moustapha Kamel, et de Saad Zaghloul à Taha Hussein, sans parler de Tewfiq Al-Hakim, de Hussein Fawzi et de Yéhia Haqqi.  Y avait-il un « esprit alexandrin » ? On avait toujours associé le légendaire cosmopolitisme alexandrin à la francomanie égyptienne. Il était vrai que mille signes extérieurs dans la ville (librairies, noms de rues, salons de thé, une myriade de pâtissiers français ou suisses) exprimaient un certain consensus pluriethnique autour de la langue de Molière. Mais l’âme alexandrine était d’abord italianophile de cœur et grecque d’esprit. La lecture de la monumentale œuvre alexandrine de Robert Ilbert (édition de l’IFAO) suffit pour saisir les contours d’un cosmopolitisme alexandrin bien polyglotte et dont la mosaïque s’exprimait souvent en français ou par snobisme, et pour des raisons politiques dans la période trouble entre-les-deux-guerres où il fallait éviter toutes sortes d’italianophilie. Ces considérations n’empêchent en aucun cas le visiteur de voir dans la ville d’Alexandre, encore aujourd’hui, quelques places fortes pérennisant une tradition francophone assez solide.

Le mythe francophone d’Alexandrie était tellement ancré dans les imaginaires que lorsque François Mitterrand et quelques chefs d’Etat ont bien voulu créer, dans les années 1990, la première université francophone internationale, c’était bien Alexandrie qui a été choisie pour abriter son siège. L’université est célèbre aujourd’hui sous le nom de « Université Senghor ». Le maître d’œuvre intellectuel de ce projet fut un Egyptien mondialement connu : Boutros Boutros-Ghali qui, et ce ne fut pas un hasard, a été choisi, par la suite, pour présider la toute première organisation internationale de la francophonie. Jean Cocteau disait : « Entre Le Caire et Alexandrie, il y a une guerre de roses ». L’auteur des Parents terribles et de Maalech a bien voulu souligner la rivalité entre les deux francophonies égyptiennes, dont chacune cherchait à attirer plus de prestige et à avoir plus d’influences. Le succès de l’Université Senghor d’Alexandrie, bien qu’un peu mitigé, a suscité chez quelques notables cairotes, une noble jalousie qui a fini par inciter les deux ex-présidents Chirac et Moubarak à lancer le projet de l’Université française d’Egypte.

Au départ, Egyptiens et Français avaient mis tous les moyens financiers et scientifiques à la disposition de la jeune université. Mais petit à petit, les étudiants issus des écoles francophones égyptiennes ont constaté que la distance séparant Le Caire de la nouvelle université de la ville du Chourouq, sur la route d’Ismaïliya, était en réalité le premier obstacle les faisant réfléchir avant de s’y inscrire. Puis les moyens financiers, au gré des crises économiques, se réduisaient comme une peau de chagrin. Le Groupe GDF-Suez, par son histoire prestigieuse en Egypte, depuis le percement du Canal de Suez, a créé une association regroupant les acteurs principaux de l’université, dans le but de chercher les moyens de résoudre ses problèmes. Il semble que l’horizon ne soit pas encore bien éclairci devant l’avenir de l’université.

L’arrivée des islamistes au pouvoir inquiète certainement les francophones. La nouvelle oligarchie des Frères musulmans ne compte pas parmi ses rangs beaucoup de francophones. Ne parlons pas de Tareq Ramadan, l’arrière-petit-fils du fondateur de la mouvance des Frères musulmans, dont le français lumineux donne l’impression qu’il l’utilise comme une arme contre ses adversaires politiques et intellectuels, exactement comme le faisaient les Egyptiens au début du XXe siècle pour résister à l’occupation britannique.

Dans leur majorité, les islamistes ne sont pas très portés, sauf rares exceptions, sur les langues étrangères, mais l’anglais moyen qu’ils ont acquis, bon gré mal gré, dans les écoles égyptiennes, leur permet d’avoir le sentiment d’être dans la marche du siècle. Pourtant, il y a dans l’entourage du président Mohamad Morsi une personnalité qui porte le nom prestigieux de Rifaa Al-Tahtawi. Il s’agit du brillant diplomate Mohamad Rifaa, arrière-petit-fils du cheikh auteur de L’Or de Paris. En nommant Mohamad Rifaa Al-Tahtawi au poste de secrétaire général de la présidence, le président Morsi ne voulait-il pas revenir à une certaine francophonie égyptienne liée à Al-Azhar et dont la référence première est l’islam ? Pour ce choix de Tahtawi, on ne peut dire que merci Morsi.

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