Remaniements.
Ils ont permis aux Frères musulmans de placer leurs
partisans au sein du Conseil national des droits de l’homme,
du Conseil suprême de la presse, ou encore à la tête de
plusieurs gouvernorats. Beaucoup dénoncent une mainmise
islamiste sur les institutions de l’Etat, une accusation
systématiquement rejetée par le nouveau régime.
L’ouverture aux islamistes
Dix
gouverneurs ont été nommés la semaine dernière par le
président Mohamad Morsi dont 5
sont issus du Parti Liberté et Justice (PLJ, bras politique
de la confrérie des Frères musulmans). La liste des nouveaux
gouverneurs comprend aussi trois généraux, deux professeurs
d’université et un magistrat. Celui du Caire,
Ossama Ahmad Kamal, a succédé au
ministre des Ressources en eau et des Travaux publics,
Abdel-Qawi Khalifa, lequel
occupait ce poste parallèlement à son portefeuille. Cadre
des Frères musulmans, Kamal est également professeur
d’université et vice-président de l’ordre des Ingénieurs. Le
PLJ a également pris la direction des gouvernorats de
Minya et d’Assiout en
Haute-Egypte, ainsi que de ceux de
Ménoufiya et de Kafr
Al-Cheikh dans le Delta. Le gouvernorat du Nord-Sinaï, très
sensible sur le plan sécuritaire, frontalier d’Israël et de
la bande de Gaza, échoit en revanche à un général de la
police. Deux autres gouvernorats, Suez et la mer Rouge, sont
également confiés à des officiers supérieurs.
Une composition peu classique du fait de la présence pour la
première fois de cadres de la confrérie des Frères musulmans
(bannie depuis près d’un demi-siècle) parmi les nouveaux
gouverneurs. Des politiciens accusent le président islamiste
Mohamad Morsi d’avoir adopté
comme critère de choix l’appartenance à la confrérie des
personnes nommées à ce poste.
Les opposants ont notamment constaté que des cadres de la
confrérie avaient été placés à la tête des gouvernorats qui
ont voté massivement pour le candidat Ahmad
Chafiq, qui se présentait face à
Morsi au deuxième tour de la
présidentielle. Un fait qui alimente les craintes d’une
tentative de la part des Frères d’influencer le vote de cet
électorat lors des prochaines élections législatives. C’est
en tout cas ce que redoute Gamal Zahran,
politologue. « Ce n’est pas par hasard que des
responsables de la confrérie ont été placés à la tête de
gouvernorats comme Kafr
Al-Cheikh et Ménoufiya, qui ont
fait un vote de sanction contre Morsi.
Depuis leur accession au pouvoir, les Frères musulmans ne
font que reproduire le régime de Moubarak sous une bannière
islamiste. Ils suivent la même politique d’exclusion de
leurs opposants tout en plaçant leurs partisans dans les
institutions-clés de l’Etat », accuse
Zahran. « Le président aurait
mieux fait de choisir des gouverneurs expérimentés et
compétents, capables de résoudre les nombreux problèmes dont
souffre le citoyen, comme ceux de la pénurie des denrées
alimentaires, la collecte et le traitement des ordures et
les coupures d’électricité », ajoute-t-il.
Des accusations rejetées par le porte-parole de la
présidence, Yasser Ali, qui affirme que les choix se sont
basés sur la « compétence » sans tenir compte de
l’affiliation politique des candidats. Le bureau de la
guidance de la confrérie a, de son côté, souligné qu’il
n’avait pas proposé de noms et n’avait joué aucun rôle dans
cette affaire.
« L’islamisation de l’Etat est devenue une sorte de
paranoïa », estime un autre PLJ, Farid Ismaïl. « En
tant que parti au pouvoir, nous avons le droit d’être
représentés dans le gouvernement et les instituions
publiques. Cela dit, nous refusons les accusations de s’être
emparés de ces institutions. Sur une trentaine de ministres,
seuls 4 sont issus du PLJ, alors que sur 27 gouverneurs, on
n’en compte que 5 », explique Ismaïl. Selon lui, « il
faut juger le président et son parti sur le respect de son
programme électoral, non sur les personnes choisies pour le
mettre en œuvre ».
Purger
les institutions
Pour sa part, Gamal Abdel-Gawad,
professeur de sciences politiques à l’Université américaine
du Caire, n’accorde pas beaucoup d’importance aux
orientations politiques des nouveaux gouverneurs. Selon lui,
le dernier remaniement au niveau des gouvernorats est une
phase du projet visant à purger les institutions de l’Etat
des figures appartenant à l’ancien régime. « Le fait de
placer les Frères musulmans aux postes exécutifs permettra
au président Morsi de mener à
bien son programme », indique Abdel-Gawad,
estimant que le débat doit plutôt porter sur la réforme de
l’ensemble des lois régissant les municipalités, la
nomination des gouverneurs et les prérogatives de ces
derniers. « Les lois doivent également accorder plus
d’indépendance aux gouverneurs. Jusqu’à présent, les
pouvoirs du gouverneur restent limités, puisque leur budget
reste entre les mains du ministre du Développement local. Il
faut également clarifier les critères de leur choix … »,
ajoute Abdel-Gawad.
May Al-Maghrabi