Remaniements. Ils ont permis aux Frères musulmans de placer leurs partisans au sein du
Conseil national des droits de l’homme, du Conseil suprême de la presse, ou
encore à la tête de plusieurs gouvernorats. Beaucoup dénoncent une mainmise
islamiste sur les institutions de l’Etat, une accusation systématiquement
rejetée par le nouveau régime.
Les médias
comme déplumés
Le Conseil
Consultatif (Chambre haute du Parlement) a annoncé la semaine dernière les noms des
membres du Conseil Suprême de la Presse (CSP). Conformément à la loi, ces
derniers sont répartis en cinq catégories, à savoir des représentants du
syndicat des Journalistes et du syndicat du Personnel des maisons d’édition,
des professeurs de journalisme et de communication de masse, des juristes et
des personnalités publiques.
Cependant, exactement comme dans le cas du Conseil national des droits de
l’homme (voir l’article ci-dessus), l’appartenance de plusieurs membres
nouvellement nommés à la confrérie des Frères musulmans a entraîné plusieurs
démissions, notamment de la part de libéraux, qui dénoncent là une tentative du
nouveau régime de musellement de la presse par le placement de ses partisans
dans ce conseil.
« Tout montre qu’il y a des tentatives pour imposer une censure
d’un nouveau genre, en marginalisant les journalistes en désaccord avec les
Frères musulmans », critique l’ex-député, Moustapha Bakri, qui a
présenté sa démission du CSP.
Parmi les nouveaux membres du CSP figurent notamment le chef du syndicat
des Journalistes, Mamdouh Al-Wali, réputé proche de
la confrérie, ainsi que les rédacteurs en chef des organes de presse des partis
politiques néo-Wafd, Al-Ahrar, Al-Nour et du Parti Liberté et justice. Les journalistes Ibhrahim Hégazi, de la fondation Al-Ahram, et Ossama Al-Ghazali Harb (qui a également démissionné) représentent le syndicat
des Journalistes. Parmi les personnalités publiques a été nommé Fathi Chéhabeddine, un cadre des Frères musulmans et aussi chef
de la commission de la culture et des médias au Conseil consultatif.
Très critique également, le mouvement du 6 Avril, par la voix de l’une de
ses militantes, Ingy Hamdi,
s’est élevé contre la nomination de « personnalités proches du pouvoir »
aux postes-clés des institutions de l’Etat.
Pour Diaa Rachwane,
directeur du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, il s’agit d’une infraction flagrante sur les
plans juridique, constitutionnel et moral, étant donné que le statut légal du
Conseil consultatif, qui a procédé à ces nominations, reste contesté dans les
tribunaux. « Une nouvelle Constitution est en gestation, le CSP sera
soumis aux nouvelles dispositions légales à encore venir et en vertu desquelles
ces nouvelles nominations risquent d’être invalidées », explique Rachwane. Commentant le choix des nouveaux membres du CSP,
il trouve « inconcevable que des journalistes professionnels soient
remplacés par des gens qui lisent à peine les journaux ».
Veiller à la liberté de la presse
En tant qu’organisme indépendant, le CSP est supposé veiller à la liberté
de la presse et protéger les journalistes des restrictions que l’Etat serait
tenté de leur imposer. Le CSP a été ainsi fondé en 1981 en vertu de la loi no
148 et de l’article no 211 de la Constitution. Dans le code de la
presse, le CSP est défini comme une instance indépendante chargée de gérer les
affaires de la presse de manière à garantir sa liberté et son indépendance. Il
est formé par décret présidentiel, et le président du Sénat en devient systématiquement
le président.
Le CSP se prononce sur les projets de loi liés à la presse, délivre les
permis pour la création de nouvelles publications, il détermine le quota de
papier imparti à chaque publication ainsi que le prix de celles-ci sur le
marché, et accorde les autorisations requises pour le recrutement des
journalistes égyptiens dans les journaux étrangers. Le CSP est également
l’auteur de la charte déontologique du métier et rédige un rapport annuel où il
dénombre les infractions de chaque publication et examine les plaintes contre
les journaux. Le CSP assure en outre la coordination entre les fondations de
presse dans les domaines budgétaire et administratif ainsi qu’au niveau
technique et au niveau de la formation.
Mais depuis sa création il y a trois décennies, le CSP a été
systématiquement instrumentalisé par les régimes successifs, plaçant la presse
et les journalistes sous son joug. Dominé par le Conseil consultatif, lequel à
son tour est dominé par le parti au pouvoir, le CSP exerce des responsabilités
relevant normalement des compétences du syndicat des Journalistes. La situation
ne semble donc pas avoir changé sous le nouveau régime du président Mohamad Morsi.
« C’est un conseil essentiellement créé afin d’exercer une tutelle
sur la presse au profit du pouvoir en place. Hier, il était dominé par l’ex-PND
de Hosni Moubarak, et aujourd’hui, il l’est par le Parti Liberté et justice du
président Morsi », constate
l’écrivain-journaliste Saad Hagras.
Salah Eissa, ancien secrétaire général adjoint du
CSP, espère, quant à lui, un changement de la loi régissant ce conseil, afin
d’en faire un organisme « réellement indépendant ».
Mohamed
Abdel-Hady