Moubarak. Dix-huit
mois après la révolution du 25 janvier, l’argent de la famille de
l’ex-président et de son entourage reste protégé. Même si quelques pays
coopèrent avec les nouvelles autorités égyptiennes.
Ces fonds gardés au chaud
La fortune de la famille Moubarak et celle de ses alliés
restent protégées dans les banques européennes, même si quelques pays, comme la
Suisse, prouvent leur sérieux à geler quelques-uns de leurs avoirs. Selon une
enquête effectuée conjointement par la chaîne britannique BBC et le
journal The Guardian, la Grande-Bretagne n’a pas coopéré avec le
gouvernement égyptien en ce qui concerne le gel des avoirs de l’ancien régime,
alors que la Suisse et le Panama ont entrepris des étapes positives. La
Grande-Bretagne fait ainsi la cible d’accusations, selon l’enquête.
18 mois après
la révolution du 25 janvier, les fonds des Moubarak continuent à prospérer en
Grande-Bretagne. Selon l’enquête, la fortune de la famille Moubarak est de 85
millions de livres sterling (soit 135 millions de dollars) en Grande-Bretagne.
Bref, cette dernière n’a pas tenu ses promesses en ce qui concerne le gel des
avoirs des caciques de l’ancien régime. « Des biens immobiliers et des
sociétés basés à Londres, appartenant toujours à l’ancienne garde rapprochée du
président déchu, n’ont jamais fait l’objet de sanctions du gouvernement
britannique », assure l’enquête. Il s’agit notamment d’une luxueuse
maison estimée à 10 millions d’euros, située à Knight Bridge (quartier célèbre
de Londres), appartenant à la famille Moubarak, ainsi qu’une autre société
située au Panama, un paradis fiscal.
L’enquête ne
tarde pas à accuser le ministère du Trésor britannique — qui possède
un département chargé de l’application des sanctions financières — de
ne pas avoir bien cherché dans les noms des propriétaires des sociétés
publiques ou des logements acquis illégalement par les responsables de l’ancien
régime de Moubarak. La BBC a, en fait, envoyé des correspondants dans
plusieurs pays européens pour mener l’enquête, comme en Suisse, en
Grande-Bretagne et au Panama. Bien que l’enquête ait révélé la présence des
sociétés dont les propriétaires font partie de la liste des 19 personnes
accusées par le gouvernement égyptien, les fonds n’ont pas été gelés à ce jour.
Pire encore,
les investigations conclues au cours des 6 derniers mois ont également dévoilé
que la famille Moubarak et les proches de l’ancien régime continuent à diriger
leurs fortunes, même après la révolution. Le fonds d’investissement détenu par
une société chypriote, MedInvest Associates,
dont Gamal Moubarak était l’administrateur jusqu’à sa dissolution volontaire en
février 2012, en fait un bon exemple. Autre exemple, la femme de l’ex-ministre
du Logement, Ahmad Al-Maghrabi, a enregistré en
novembre 2011 une société à Londres alors qu’elle compte parmi la liste des
personnes soumises aux sanctions.
La
publication de cette enquête a soulevé une large vague de protestations et de
mécontentement en Egypte et en Grande-Bretagne. Les nouvelles autorités égyptiennes
accusent dès lors la Grande-Bretagne de receler des biens volés du pays,
violant des accords internationaux de lutte contre la corruption. « Le
Royaume-Uni fait très mauvais exemple en ce qui concerne le sujet du gel des
avoirs égyptiens », accuse le ministre égyptien de la Justice, Mohamad
Mahsoub, interrogé par la BBC. L’enquête
appuie cette opinion. « Elle a vraiment retardé à prendre la décision
de geler les avoirs de l’ancien régime par rapport aux pays européens. Elle a
mis 37 jours pour prendre une telle décision alors que la Suisse a gelé les
avoirs 30 minutes seulement après la chute du régime de Moubarak »,
selon l’enquête. Ces 37 jours ont été jugés suffisants, par les nouvelles
autorités égyptiennes, pour avoir éventuellement permis aux propriétaires des
biens litigieux d’en dissimuler les traces ou de les transférer vers de
nouvelles destinations.
Faire de leur mieux
Les
responsables britanniques, de leur côté, affirment faire de leur mieux afin de
traquer les biens litigieux. 5 jours après la publication de l’enquête de la BBC,
l’ambassadeur britannique au Caire, James Watt, s’est attaqué à l’enquête en
l’accusant de manque de précision. « Le gouvernement britannique a pris
des mesures immédiates pour geler les actifs des responsables cités par les
autorités égyptiennes selon la loi. Cette décision a été prise 24 heures après
l’approbation de l’Union européenne », a déclaré le ministre au
journal gouvernemental Al-Akhbar, en ajoutant que son pays ne peut pas
geler les actifs sans justification raisonnable et sans poursuivre les
procédures juridiques. « Il faut une preuve pour prendre cette mesure.
C’est vrai que la progression est plus lente comparée à nos ambitions, mais
c’est le côté égyptien qui devrait être plus actif. Nous avons invité le
Parquet général égyptien à visiter la Grande-Bretagne en avril 2011, et il
n’est venu qu’au mois de mai dernier », renchérit-il, en proposant
l’existence d’un responsable égyptien à Londres et d’un autre britannique au
Caire pour poursuivre le processus. « Il y a vraiment un ralentissement
du côté égyptien à propos de cette question. J’ai par exemple demandé au
président du comité de publier mensuellement les résultats de ses efforts, mais
rien n’a été pris à cet égard », assure à l’Hebdo un membre au comité
de récupération des fonds de l’Egypte, qui a préféré garder l’anonymat.
Le 9 août, le
premier ministre, Hicham Qandil, a annoncé la
réformation du comité de récupération des fonds de l’Egypte. Il regroupe cette
fois-ci des experts bancaires et un représentant du ministère des Affaires
étrangères.
Contrairement
à la Grande-Bretagne, l’Union européenne a décidé de geler les avoirs de Hosni
Moubarak et 18 de ses proches, le 23 mars 2011, soit environ un mois et demi
après la révolution. Selon l’assistant du ministre de la Justice, Assem Al-Gohari, les autorités
suisses ont récemment gelé les fonds de 17 responsables, y compris le ministre
du Logement, Mohamad Ibrahim Soliman, et l’homme d’affaires Hussein Salem.
« Ce chiffre sera ajouté aux 14 noms gelés après la révolution pour un
total de 31 personnes et un montant global de 700 millions de dollars (soit 5
fois le montant gelé par la Grande-Bretagne) », rétorque Al-Gohari, qui mentionne que les autorités égyptiennes ont
envoyé à la Suisse de nouvelles informations à propos des comptes bancaires des
anciens responsables.
Quant à
Chypre, la ministre chypriote des Affaires étrangères, Mme Erato Kazako-Marcoullis, a déclaré,
lors de sa visite au Caire le 5 septembre, que son pays avait gelé les avoirs
d’un bon nombre de responsables de l’ancien régime de Moubarak, dont les noms
ont figuré sur la liste des 19 noms annoncés par l’Union européenne, sans
toutefois citer les noms de ces personnes, ni les montants gelés. Il semble que
le chemin est encore long pour que l’Egypte puisse remettre la main sur ces fortunes détournées.
Gilane Magdi