Alliances. Face à la montée en puissance des Frères musulmans, une
vraie opposition peine à se former. Toutefois, de nouvelles formations se
profilent à l’horizon.
Contrer les
islamistes
Dans
un coin d’un hebdomadaire égyptien à sensation, une nouvelle. « Des femmes s’apprêtent à défiler nues dans la rue pour
protester contre les politiques de Morsi visant
à museler les médias ». Le journal Al-Fagr
faisait allusion à la poursuite en justice d’un présentateur de télé,
pro-ancien régime, et qui lance toutes sortes d’accusations contre le nouveau
président Morsi incitant même à son meurtre. Les
Frères musulmans qui, du jour au lendemain, sont passés du premier rang de
l’opposition au sommet du pouvoir, cherchent à bâillonner toute opposition à
leur égard, surtout dans les médias. Les changements à la tête des
groupes de presse, de leurs rédactions, au Conseil des droits de l’homme
laissent effectivement tout rival de Morsi avec une
marge de manœuvre limitée. A ceci s’ajoute tout genre de fatwas qui incriminent
toute « opposition » au « candidat de l’islam »
et intimident les protestataires et les grévistes. Depuis son arrivée au
pouvoir, le 30 juin, Morsi fait face à des critiques
en crescendo sans que celles-ci engendrent une opposition de poids capable de
le forcer à changer de politique.
L’opposition née dans la foulée de
la chute de Moubarak en février 2011 a déjà encaissé un premier échec lors des
législatives de novembre à janvier derniers, laissant les islamistes s’emparer
des deux tiers des sièges de l’Assemblée du peuple et d’environ 90 % du
Conseil consultatif, deuxième Chambre. A ce moment-là, les Frères musulmans
avaient encore l’étiquette d’opposition dans une Egypte de transition gérée par
un Conseil militaire.
Leur candidat arrive en tête du
premier tour, laissant derrière lui des millions de voix non islamistes
réparties entre une nuée de candidats. Puis il remporte le second tour
profitant du soutien de la gauche et d’une partie des libéraux en plus des voix
de ses partisans.
Aux législatives comme aux
présidentielles, le parti issu de la confrérie, Liberté et justice, s’est
imposé comme le plus organisé comme il l’a toujours été d’ailleurs sous le
régime de Moubarak. A l’époque, l’opposition laïque (libéraux ou gauche)
semblait plus au moins apprivoisée par le pouvoir, laissant le champ de
bataille aux deux rivaux, les Frères, qui n’avaient pas encore leur parti, et
le PND.
Derrière eux arrivaient de loin
trois partis qui représentaient ensemble moins de 2 % des sièges de
l’Assemblée du peuple : néo-Wafd, Al-Tagammoe
et le Parti nassérien.
Le néo-Wafd, le plus ancien
parti libéral, qui a formé des gouvernements sous la monarchie, est désormais
dirigé par un homme d’affaires pharmacien dont l’allégeance au parti de
Moubarak n’était pas un secret, menant à la conclusion d’un marché électoral
lors des législatives, juste avant la révolution qui devait accorder à son
parti quelque 22 sièges. Le PND finit par trahir l’accord, et le Wafd se
retire. Après la révolution, le Wafd obtient 8 % des sièges après
une alliance avortée avec les Frères. Les libéraux sont
répartis en 4 autres partis : Al-Masréyine
al-ahrar, du milliardaire Naguib Sawirès, le Social-démocrate, le Front populaire et Al-Ghad d’Ayman Nour, qui a fait une coalition avec les Frères lors des
législatives.
Dans l’ancienne carte de
l’opposition, Al-Tagammoe, présidé par Réfaat Al-Saïd, a été pendant des décennies la voix
anti-islamiste dans les rangs de ladite « opposition apprivoisée ».
Il passe le même accord avec le PND. Trahi lui aussi, il n’obtient qu’un seul
siège. Et après la chute de son parrain, le PND, il peine à obtenir 2 sièges au
Parlement, un état précédé par des dissensions de toutes sortes qui donnent
naissance à un nouveau parti de gauche, Al-Tahalof
al-chaabi (la coalition populaire) (lire page 5).
Le troisième est le Parti nassérien touché par des dissensions et des conflits
internes. Dirigé par le président de l’ordre des Avocats, Sameh
Achour, il n’emporte aucun siège aux dernières élections législatives, ni aux précédentes
sous Moubarak. L’autre Parti nassérien, officialisé après la révolte de
janvier, se présente sous la liste électorale des Frères musulmans. Fondé par
le candidat à la présidentielle, Hamdine Sabbahi, il refuse pourtant de soutenir Morsi
au second tour.
Le succès de Mohamad Morsi a été suivi par un contrôle total de tous les
pouvoirs, y compris l’armée. Le Parlement dissous, il s’empare aussi du pouvoir
législatif et dispose d’une main haute sur la constituante. Certes, la
situation politique en Egypte n’a pas encore sa forme définitive. Il faudrait
rédiger une nouvelle Constitution, puis élire un nouveau Parlement avant la fin
de cette année.
Morsi a désormais plus de pouvoir que
Moubarak. Face à lui, une opposition de gauche qui défend surtout les
politiques de justice sociale et paraît comme l’élément le plus dérangeant face
à la politique libérale de Morsi, mais sans toutefois
pouvoir influencer ses stratagèmes. Les libéraux, eux, se positionnent comme
les défenseurs de la laïcité et des libertés, surtout dans les premiers textes
de la nouvelle Constitution, alors qu’ils se sont retirés officiellement de la
constituante. Leurs critiques ne dépassent pour l’instant pas les simples cris
en l’air à travers les chaînes de télévision, incapables de développer un
discours qui rallie la rue à leur cause et vice versa.
Cette opposition se dit pourtant en
quête de réunification pour constituer une formation qui peut rivaliser avec ce
flux de mouvements issus de l’islam politique lors des prochaines élections
législatives, dans l’espoir d’empêcher les islamistes de former seuls le
prochain gouvernement.
Cependant, l’opposition civile va
dans le sens inverse, celui qui a conduit à son échec lors de l’élection
présidentielle, tablant sur la même répartition.
Ce scrutin présidentiel divise
l’électorat égyptien en trois parties : une première qui veut les Frères
musulmans et veut établir une domination religieuse et a donc choisi Mohamad Morsi. Une autre partie qui cherchait « la sécurité
et la stabilité », et a donc choisi Ahmad Chafiq,
et une troisième qui ne voulait ni l’une ni l’autre des options précédentes. Et
malgré la supériorité du pouvoir civil dans cette élection, le candidat
islamiste a remporté le siège, profitant de la division de la voix « civile ».
Aujourd’hui, elle n’est pas moins
divisée. Trois ex-candidats à la présidentielle s’efforcent de former trois
mouvements d’opposition, sans compter le nouveau parti d’Al-Dostour formé par le symbole emblématique de la
révolution, Mohamed ElBaradei. Le premier est dirigé
par Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, l’autre par Hamdine Sabbahi, un troisième par Amr Moussa (lire fiche page 4).
Au lieu de compter sur les millions d’électeurs qui ont donné leur voix à Chafiq, qui s’élèvent à environ
49 %, ces derniers tentent d’attirer des voix dans un « troisième
courant ». Le rôle de ces trois mouvements et leur place sur la carte
politique de l’Egypte ne semblent pas encore clairs.
Samar Al-Gamal