Le photographe Ahmed Mourad
s’est lancé dans l’écriture en publiant le thriller
Vertigo, un best-seller depuis 2007. Adaptée au petit
écran et bientôt diffusée lors du Ramadan, son œuvre
surprend par sa façon de dépeindre la corruption et les
pratiques obscures de l’ancien régime.
L’œil du romancier
Ahmed kamal, héros principal de
Vertigo, roman classé dans la catégorie best-seller
durant les cinq dernières années, et son auteur Ahmed Mourad
se ressemblent. Les deux sont des photographes qui
découvrent le monde de la nuit, à travers leur caméra. Ils
se plaisent dans le rôle
d’observateur
et gardent le même patronyme. Il ne s’agit cependant pas
d’une œuvre autobiographique. Mourad profite de son
expérience de photographe pour nous mener dans une aventure
fictive où il dévoile les gangs de la société des nouveaux
riches et dénonce la corruption. Ce mélange entre fiction et
allusions au réel crée un thriller haletant. Le héros et
l’auteur se complètent. Kamal et son aventure dans le bar
Vertigo constitue le tout premier texte d’Ahmed Mourad.
Ce dernier n’avait jamais tenté d’écrire auparavant. En
fait, il n’avait même jamais écrit quelques lignes dans un
journal personnel. Et il l’admet : « Je ne savais pas
écrire ; je ne cherchais même pas à le faire. Pendant mes
études, je n’aimais pas rédiger de dissertations ».
Mourad parle sur un ton calme, doux et sincère. C’est un
homme d’une trentaine d’années à l'air tranquille et comblé.
Pourquoi pas ? Le jeune écrivain occupe un poste
officiel important : photographe professionnel du président
de la République. Pendant dix ans, il a photographié
l’ex-président ainsi que sa famille, lors des occasions
officielles ou médiatiques. « Tout au long de ces années,
je n’ai subi aucune offense ; personne ne m’a porté
atteinte ». Pourtant, dans sa première œuvre,
Ahmed Mourad insiste sur la corruption, la violence et
l’injustice. « La parution de l’œuvre n’a pas influencé
mon travail. Pendant la révolution, à la place
Tahrir, j’ai dû cacher ma carte
de fonctionnaire à la présidence. J’ai rejoint les
révolutionnaires en tant que photographe libre, avec le
désir de mémoriser les événements et garder les souvenirs de
la victoire du peuple ». Pendant plus d’un an et demi,
Mourad, comme tous les Egyptiens, était en attente d’un
nouveau président pour en prendre des photos. Et depuis une
dizaine de jours, son nom s’affiche de nouveau sur les
photos prises de Mohamad Morsi,
le nouveau président.
Loin de ses activités officielles, Mourad est un photographe
libre qui capte ce qu’il aime et dirige avec son père le
Studio Mourad en plein centre-ville cairote ... C’est là
qu’il travaille aussi dans le design. Une fois dans la rue,
il capte tout ce qui bouge, tout ce qui est humain … Il
entame parfois des sessions de photos privées dans des
locaux spéciaux. Il accumule les photos dans l’espoir de
tenir un jour sa propre exposition.
Mourad menait une vie calme, avec sa femme et ses deux
petites filles Fatma et Roqaya.
Mais au fond de son âme, il voulait crier fort, dénoncer et
remuer les eaux stagnantes. « Un jour, j’ai pris un stylo
et un papier et j’ai commencé à écrire … je ne savais pas ce
que je faisais, une sorte de griffonnage. J’ai inscrit
quelques lignes et petit à petit j’ai accouché des premières
pages de Vertigo », raconte-t-il. Et d’ajouter : « J’étais
juste content de créer quelque chose sur une feuille vierge ».
Mourad ne pensait pas publier son texte. Il ne le voyait pas
comme un roman au vrai sens du terme. C’était juste une
expérience pour assouvir son appétit de parler, de
dénoncer ... Il aurait pu garder ces centaines de pages dans
le tiroir de son bureau, à jamais, mais
Chérine, sa femme, a lu le manuscrit et en a décidé
autrement. « Elle m’a fortement encouragé à les publier.
Ensemble, nous sommes allés voir Mohamad
Hachem, directeur de la maison
d’édition Merit ». En
sortant, Mourad se disait qu’il fallait absolument oublier
cette histoire de publication et que l’expérience de
l’écriture devrait s’arrêter là. Quelques jours après,
Hachem le rappelle en disant :
« C’est nouveau, c’est différent et ça m’a plu. Je publie
le roman ». Le thriller n’est pas un genre très
en vogue dans la littérature égyptienne, plutôt habituée à
voir des polars dans le cinéma. Mohamad
Hachem qualifie Vertigo d'« un roman
cinématographique ».
Passer d’une œuvre simple pour un auteur encore anonyme à un
best-seller est une histoire qu’Ahmed Mourad aime raconter.
« Après la parution du livre, je fréquentais les
librairies, pour voir si mon roman était bien placé sur les
étagères et si les lecteurs s’y intéressaient. A
Diwan à
Zamalek, je trouvais en fin de rangée, à l’extrême
gauche, trois copies du roman … Vertigo passait
presque inaperçu. Deux mois après sa parution, j’ai eu un
coup de fil bizarre. L’écrivain de renom,
Sonallah Ibrahim, m’appelle. Au
départ, je ne l’ai pas pris au sérieux. J’ai cru que c’était
un canular. Mais mon interlocuteur parlait sérieusement :
ton texte m’intéresse et je veux t’inviter à mon salon
culturel pour en discuter avec d’autres personnes. Alors,
j’aurais besoin de quelques copies ».
Sonallah Ibrahim se fait fournir
200 copies par la librairie Diwan.
Le lendemain, elle réserve à Vertigo une place de
choix ... et un tournant dans la vie de Mourad.
Vertigo
en est à sa septième édition ; le roman a été traduit en
anglais par Bloombsbury
Qatar, de quoi garantir sa diffusion en Europe. La
version italienne vient de paraître et la traduction
française est en cours.
Mais ce Vertigo annonce-t-il vraiment la naissance
d’un nouveau romancier ? Ou est-ce un jeu de hasard qui a
permis à Mourad de se placer sous les feux de la rampe ? La
réponse arrive trois ans plus tard, avec la parution de son
deuxième roman, Torab
al-mass (poudre de diamant, Ed. Dar Al-Shorouk).
Là, Mourad assure son talent comme auteur de thriller. Son
style se rapproche de ceux de Dan Brown et John
Grisham. « Ce sont de vrais
maîtres à suivre », lance-t-il. Et d’ajouter : « On a
l’impression que le thriller n’est pas lié à la réalité, à
notre vie. Or, si on regarde bien la société et on lit bien
les journaux, on remarquera que les faits divers nous
dévoilent chaque jour un enchaînement de violence et de
suspense ». Mourad ouvre les yeux, il fait
attention aux détails et mémorise les scènes du quotidien.
Son héros est souvent un homme ordinaire, inspiré de son
entourage. « En écrivant, je vis le contexte et la vie de
mon héros … j’aime adhérer à lui », lance le
romancier.
Mais Mourad le photographe ne s’efface jamais. Il est
toujours omniprésent. « C’est moi-même, c’est mon
identité, je ne peux m’éloigner ni de la photographie, ni de
mon appareil photo ».
Depuis sa tendre enfance, il adorait la photographie, grâce
à son père qui a toujours géré son studio du centre-ville.
« Mon père ne m’a pas forcé à travailler avec lui. Je
voulais juste prendre des photos pour mes amis et ma
famille. Ma première caméra Fuji était assez limitée,
mais pour moi elle était mon cadeau préféré, longtemps
attendu ». Pendant les vacances d’été et au bord de la
mer, le père Mourad prenait des photos pour sa famille. Un
jour, à l’heure du coucher du soleil, il a posé son appareil
sur la table. « Le paysage était beau, j’ai voulu capter
l’instant. J’ai pris rapidement son appareil et appuyé sur
l’obturateur deux fois. Puis j’ai remis l’appareil à sa
place sans dire un mot. Après le développement du film, mon
père m’a demandé : Qui a pris ces deux photos ? Elles sont
belles ».
Le Studio Mourad accueille alors le jeune Ahmed. L’image
l’enchante et le pousse vers les horizons du septième art :
le cinéma. Une fois le bac en poche, il s’inscrit à
l’Institut supérieur du cinéma. « A l’école, je n’étais
jamais studieux. J’ai à peine réussi à passer d’une année à
l’autre. J’ai dû même redoubler », dit-il en souriant.
Mais à l’Institut du cinéma, Ahmed était le premier de sa
promotion. Sa créativité et son amour pour la caméra lui
garantissaient un avenir prometteur. « Le monde des
cinéastes et le processus de production sont pleins de
fausses promesses. C’est un univers manipulé par les propres
intérêts des producteurs et leurs capitaux. De plus,
l’ambiance de rivalité ronge les gens. Mes tentatives de
réaliser un film ou même de lancer une société de production
ont été avortées », explique Mourad qui a déjà assisté
le directeur de photographie dans le film
Mowaten
wa mokhber
wa harami
(citoyen, indic et voleur), où il a rencontré la
comédienne Hind
Sabri pour la première fois.
Malgré sa décision de s’éloigner de l’univers
cinématographique pendant plus de dix ans, il s’y retrouve
aujourd’hui comme par hasard.
« Après la réussite de Vertigo, la star
Hend Sabri
m’a contacté. Elle s’est intéressée au roman et au
personnage principal. Pour moi, c’était difficile de le
transformer en une femme. Mais finalement c’est le travail
du scénariste Mohamad Nayer.
J’ai passé avec elle des séances de préparation pour lui
expliquer le rôle d’Ahmed Kamel, qui deviendra Farida au
petit écran. De temps à autre, je passe au studio pour
suivre le tournage et passer quelque temps avec mes anciens
copains, ceux de ma promotion à l’Institut du cinéma ».
Son deuxième roman Poudre de diamant a été sollicité
par les stars Ahmad Helmi et
Mona Zaki qui veulent absolument
en faire un film. Discrètement, Ahmed Mourad écrit son
troisième roman. Encore un thriller ? Sans doute oui. Mais
impossible d’en donner les grandes lignes. L’auteur se
contente de lancer : « Je ne dors pas ». C’est que
son œil affûté le pousse à aller toujours plus loin.
May Sélim