Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Le nouveau bureau des plaintes d’Héliopolis

  Président
Abdel-Fattah El Gibali
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

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 Semaine du 18 au 24 juillet 2012, numéro 931

 

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Nulle part ailleurs

Protestation. Le palais présidentiel est devenu La Mecque des contestataires. Des centaines de citoyens y portent chaque jour leurs doléances, espérant pouvoir les remettre directement au président. Jusqu’à présent, les forces de sécurité laissent faire.

Le nouveau bureau des plaintes d’Héliopolis

Un trou dans le mur du palais présidentiel … tel est le moyen le plus rapide pour transmettre ses doléances au nouveau président. Quelques jours après avoir prêté serment, Mohamad Morsi a tenu un discours dans lequel il déclarait que son palais était ouvert à tous les Egyptiens. Depuis, des centaines de protestataires ne cessent de s’y rendre quotidiennement.

Une foule immense bloque les principales routes menant au palais d’Al-Ittihadiya. Situé à Héliopolis, ce palais républicain a soudain changé de décor. Ce n’est plus cette forteresse placée sous haute surveillance comme ce fut le cas à l’époque de Moubarak. En effet, il y a peu encore, les citoyens n’avaient pas le droit de s’approcher de cet immense édifice entouré de hautes murailles. S’ils le faisaient, ce serait souvent pour se retrouver quelques minutes plus tard au poste de police ...

Aujourd’hui, la scène en surprend plus d’un. Devant le portail n°4, des centaines de personnes font la queue, parfois assises à même le sol. Certains tiennent à la main des papiers montrant leurs doléances, d’autres soulèvent des pancartes, scandent des slogans et demandent à Morsi de descendre de son bureau et de tenir ses promesses.

D’autres ont décidé de transgresser tous les interdits en écrivant quelques messages au président sur les murs du palais. « N’est-il pas le président de tous les Egyptiens, comme il le dit ? Il nous a fait une promesse, il doit donc la tenir », lance Hassan, qui réclame la libération de tous les prisonniers condamnés par les tribunaux militaires. Hassan a parcouru des centaines de kilomètres pour venir déposer sa pétition. Et il n’est pas le seul.

Des Egyptiens en colère contre leurs conditions de vie n’ont pas hésité à grimper sur le portail, d’autres ont même tenté de s’introduire dans palais par le biais d’une petite porte de service avant d’être repoussés par la sécurité.

Chehata Etman, employé chez l’entreprise de pneus Pirelli à Alexandrie, a été contraint de prendre une retraite anticipée. Spolié de ses droits, il s’en remet à Morsi pour régler ses problèmes. « Nous avons protesté durant deux ans au sein de l’entreprise et nous avons même manifesté devant l’ambassade d’Italie mais personne n’a réagi, alors nous avons décidé de venir directement voir le président, espérant qu’il pourra faire quelque chose pour nous », explique-t-il.

Des diplômés de la faculté des sciences en géologie sont debout devant le portail n°3 du palais. Ils réclament un emploi dans les compagnies pétrolières. Ils lèvent des banderoles sur lesquelles on peut lire : « Les géologues lancent un SOS, embauchez-nous ou tuez-nous ! ».

Non loin de là, se sont rassemblés les retraités des entreprises de ciment de Tora et de Hélouan ainsi que des ouvriers et des employés de différentes sociétés telles que Ceramica Cleopatra ou Al-Nil pour le textile et la filature. Ils ont fini par se ranger sur le trottoir, suite aux plaintes des automobilistes.

Les citoyens n’ont plus peur

Les plaintes et les demandes arrivent de toutes parts : d’un père qui a perdu son fils pendant la révolution, d’un jeune homme sans emploi, d’une veuve en quête de pension, d’un malade sans assurance médicale, d’un ouvrier sans contrat permanent, d’un fonctionnaire mal payé. Il semblerait que le palais présidentiel se soit transformé du jour au lendemain en un diwan mazalim (bureau de doléances). Autrement dit, ce n’est plus Tahrir qui attire aujourd’hui les manifestants, mais c'est ce grand palais. La nouvelle résidence du raïs a pris le pas sur les places emblématiques de la révolution. Une scène pareille n’aurait jamais existé du temps de Moubarak, mais l’utilité de se rendre au palais pour obtenir quelque chose reste encore à prouver.

Le quotidien Al-Ahram décrit ainsi ce changement : « A présent, les gens connaissent le chemin qui mène au palais. L’une des réalisations de la révolution du 25 janvier 2011 est que les Egyptiens se sont affranchis de la peur, de leur peur de l’autorité. Qui aurait osé s’approcher des portes du palais présidentiel, ou se plaindre à Son Excellence Hosni Moubarak ? ».

Pour le quotidien indépendant Al-Tahrir, « les protestations devant le palais présidentiel ont mis fin à l’ère de Tahrir, cette place emblématique qui fut l’épicentre de la révolution du 25 janvier et qui a permis de chasser le raïs ».

Les Egyptiens vivent des jours historiques. Après de longues années de despotisme et d’oppression incarnées par le régime de Moubarak, les Egyptiens sentent que leur pays est en train de tourner une page de son histoire. Pour la première fois, leur président est prêt à les accueillir dans son palais pour les écouter et régler leurs problèmes. « Le fait que le nouveau président déclare que sa porte est grande ouverte à tout le monde prouve son courage, sa volonté et sa détermination à œuvrer pour le bien-être du peuple », analyse Abdallah, l’un des manifestants.

Yasser Ali, porte-parole de la présidence, a déclaré que cette institution était en train de créer un site électronique pour recevoir les plaintes et propositions des citoyens, tout en affirmant que le président y répondrait, ou au moins son équipe. Il a souligné que Morsi a donné également des ordres pour construire un diwan mazalim dans les différents gouvernorats de la République. D’après lui, ce sera une institution non judiciaire chargée d’étudier les doléances des citoyens qui s’estiment lésés par une quelconque décision administrative ou par un organisme privé.

Mais la politique de la porte ouverte réussira-t-elle à apaiser la colère de ceux qui s’estiment privés de leurs droits ?

Se montrer à l’écoute du peuple

Moataz Billah Abdel-Fattah, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, estime que le nouveau président, en adoptant une telle politique, veut faire sentir au peuple qu’il est à son écoute. Son objectif : prendre la rue à témoin et faire des citoyens ses alliés. Mais son message le plus important est de mettre fin à l’ère du pharaon aux portes fermées.

Abdel-Fattah approuve l’idée de construire dans chaque gouvernorat un diwan mazalim pour traiter les plaintes des citoyens, mais à condition qu’il soit géré par des personnalités réputées pour leur intégrité et leur expérience dans la gestion des affaires publiques. Si ce n’est pas le cas, les pétitions risquent de tomber dans l’oreille d’un sourd comme c’était le cas sous l’ancien régime.

Les diwans mazalims remontent au VIIe siècle, à l’époque du second calife Omar Ibn Al-Khattab (634-644). Ce calife s’inspirait d’une tradition séculaire qui voulait que les rois alaouites instruisent les plaintes de leurs sujets. Jusqu’au temps du protectorat, il existait encore une « wizarat al-chékayate » (ministère des plaintes) qui s’occupait des plaintes des personnes victimes d’injustice. Après avoir été enregistrées et résumées, les plaintes étaient soumises au sultan qui donnait aux enquêtes ouvertes et aux sentences prononcées une force légale.

Le soleil est presque au zénith. Les manifestants se font de plus en plus nombreux et le trottoir du palais grouille de monde. Une marche pour la présidence a été organisée par des activistes et à laquelle participent plusieurs mouvements tels que celui des officiers du 8 avril, des révolutionnaires, des membres du mouvement Hazemoune, des étudiants de la charia islamique, des médecins de Abbassiya, le mouvement Nidal (lutte), la Ligue des nassériens, la campagne de soutien à ElBaradei et le Front libre pour le changement pacifique. Ils sont venus réclamer la libération des détenus et des officiers du 8 avril. Il y a aussi une délégation du syndicat des Journalistes, venue contester la dernière décision du Conseil de la Choura.

Certains crient haut et fort leurs revendications, des passants curieux s’arrêtent pour demander ce qui se passe, des marchands ambulants et des vendeurs de thé proposent leurs produits aux manifestants. Tout cela se fait au su et au vu du personnel de sécurité qui surveille les abords du palais présidentiel, mais qui n’ose pas agresser les manifestants. La chose la plus étrange est que ces policiers en veste et cravate accueillent les citoyens et leur assurent que le comité des plaintes de la présidence va prendre en charge leurs plaintes et les transmettre aux ministères concernés.

« Des barbares »

« C’est incroyable. S’approcher de ce palais était à l’époque strictement interdit », lance un passant scandalisé par cette scène et qui décrit ces gens venus de tous les coins d’Egypte comme des barbares.

Hamada, un vendeur de réglisse, a décidé de quitter la place Tahrir pour se rendre à Héliopolis. Ici ou là, pour lui tant qu’il y a des contestataires, il y a du réglisse à vendre.

Il est vrai que les mesures de sécurité autour du palais, qui jouxte la route de l’aéroport, ont nettement été allégées depuis l’arrivée de Morsi. Mais les habitants d’Héliopolis continuent de se plaindre. Ces scènes de chaos font perdre au palais présidentiel son respect et son prestige, estiment beaucoup de résidents. « Il nous manque seulement les tentes devant le palais pour compléter l’image d’une Egypte moderne », ironise Moustapha, propriétaire d’un magasin situé rue Mirghani à Héliopolis.

« Quelle sera l’impression d’un chef d’Etat étranger rendant visite à Morsi en voyant de telles scènes ? Et les investisseurs vont-ils oser déposer leurs capitaux dans un tel pays ? Et si un jour, les agents de sécurité perdent patience et tirent sur la foule, quelle sera la réaction des citoyens et des médias ? », s’emporte Moustapha.

Certains vont plus loin et pensent que les foules rassemblées autour du palais sont un complot destiné à faire échouer Morsi en lui faisant perdre son temps.

« Le même scénario s’est passé à propos de la révolution. On a fait croire aux gens que cette révolution était la cause de tous leurs tracas et souffrances. En ce moment, le président a besoin de notre soutien pour mener à bien le combat entamé le 25 janvier 2011 », souligne Sayed, un chauffeur de taxi. Il souhaite que les gens laissent Morsi travailler en paix. De toute façon, le président ne possède pas encore de baguette magique pour régler tous les problèmes.

Mais tout de même, pour mettre fin à ce chaos, Morsi a ordonné d’ouvrir trois bureaux de doléances : l’un au palais Al-Qobba, le deuxième à Abdine et le troisième à Al-Tagammoe Al-Khamès. Pourtant, les citoyens ne cessent de venir au palais d’Al-Ittihadiya, espérant rencontrer le président pour lui remettre personnellement leurs doléances. Un espoir qui reste souvent lettre morte.

Chahinaz Gheith

 




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