Disparition. Agé de 75
ans, Mohamed El-Bisatie est décédé samedi à la suite
d’un cancer du foi. Ecrivant des nouvelles dans un
style poétique, il maîtrisait une écriture sobre et profonde dédiée aux plus
démunis.
Parti dans la modestie et l’amour des plus faibles
« L’Egypte et le monde de la
nouvelle ont perdu un écrivain d’une
noblesse incomparable ».
Tels étaient les mots des intellectuels égyptiens qui se sont rendus aux
funérailles du romancier et écrivain, Mohamed El-Bisatie,
disparu samedi d’un cancer du foi. El-Bisatie venait de remporter le prix du Mérite de l’Etat
pour l’ensemble de son œuvre littéraire (voir la page Littérature de l'Hebdo
nº930). Une œuvre qui traite de la femme et des marginaux de la société
égyptienne. L’auteur a souvent cherché à décrire la vie des petits villages,
notamment ceux de la région de Port-Saïd, au bord du lac Manzala.
El-Bisatie s’est notamment inspiré de cette société modeste
pour écrire son roman Sakhab al-bohayra (La Clameur du lac, traduit en français
aux éditions Actes Sud) dans lequel il décrit les détails de son enfance
après la mort prématurée de son père. « El-Bisatie
est le symbole de la noblesse et de la dignité. Il écrivait ce qu’il pensait et
ses ouvrages allaient de pair avec ses principes. Il composait avec Sonallah Ibrahim, Ibrahim Aslan, Yéhia
Al-Taher Abdallah et Abdel-Hakim
Kassem, la génération qui a poursuivi le style littéraire de la nouvelle amorcé
par Youssef Idris. Il relatait un environnement rare en Egypte : la zone
du lac Manzala, au nord-est du pays, où les habitants
sont pêcheurs et paysans en même temps », précise Ibrahim Daoud, poète
et journaliste.
Selon lui, El-Bisatie possédait un style unique, basé sur la
représentation des moments humains sans fioritures. Son style condensé est
cependant toujours resté très poétique. La plupart des critiques estiment que
cet écrivain — à l’instar de Gamal Al-Ghitani,
Bahaa Taher et Gamil Atteya
Ibrahim — a réussi à représenter la réalité de la société égyptienne
dans une image artistique et créative très proche du public.
El-Bisatie n’a jamais cherché la célébrité. « Il
s’éloignait délibérément de tous les médias. Il évitait le pathétique et ne
voulait pas qu’on vienne lui rendre visite alors qu’il était malade »,
se souvient le romancier Ibrahim Abdel-Méguid. La
discrétion et la noblesse dont parle Abdel-Méguid se
retrouvent dans le rejet d’El-Bisatie pour les prix
de l’Etat. L’écrivain avait refusé de déposer sa candidature car il était en
opposition avec le régime et le ministre de la Culture de l’époque.
Il obtiendra cependant le prix du
Club de nouvelle en 1962, celui du meilleur roman de l’année 1999 du Salon du
livre du Caire et le prix omanais du Sultan Oueiss,
avant que son roman Goue (La Faim) ne
soit sélectionné parmi la short-list du Booker arabe en 2009. « Cet écrivain
possédait un univers qui lui était propre. Il était un poète dans ses écrits.
Il avait une vision sage et profonde de tout ce qui l’entoure. Je dois dire
qu’il n’y avait aucune contradiction entre ce qu’il écrivait et ce qu’il
pensait. Il n’était pas un politicien, mais il rejetait la corruption et il
plaidait pour la défense des droits de la femme et des pauvres », indique
l’écrivain Gamal Al-Ghitani. Ce dernier fait partie
de ceux qui connaissaient bien El-Bisatie pour
l’avoir rencontré en 1961. Depuis cette date, les deux écrivains sont toujours
restés très proches.
Né en 1937, El-Bisatie
fait des études de commerce et travaille, au début de sa carrière, au sein de
l’Appareil central des comptabilités. L’austérité de la vie qu’il mène après la
mort du père et ses déplacements continus entre le sud et le nord du pays, mais
surtout l’expérience de son séjour en Arabie saoudite, lui permettent d’élargir
la carte géographique de son univers littéraire et de partager la vie des plus
démunis.
Parmi ses ouvrages traduits en
français citons La Faim, Derrière les arbres, Les Bruits de la
nuit ou D’autres nuits. Pour rendre hommage à El-Bisatie,
le directeur de l’Organisme public du livre
(GEBO) souhaite publier la totalité de son œuvre (10 romans et 15 recueils de
nouvelles) regroupée en deux volumes.
Rasha Hanafi