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Abdel-Fattah El Gibali
 
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 Semaine du 23 au 29 mai 2012, numéro 923

 

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Nulle part ailleurs

Débats . En famille, entre amis ou au café, les arguments vont bon train pour soutenir son candidat. Angoisse, espoir et guerre de mots, la tension et l’effervescence montent dans la rue égyptienne ...

Face à l’inconnu

Pour la première fois depuis deux siècles – après la nomination de Mohamad Ali en 1805 comme gouverneur par les cheikhs d’Al-Azhar, représentants du peuple à l’époque – les Egyptiens vont avoir le droit de choisir leur président. Mais aujourd’hui, tout le monde le sait, rien n’est encore joué.

Une ambiance particulière règne dans la rue égyptienne. Les pancartes des 11 candidats à la présidentielle sont placardées aux quatre coins de la capitale et dans les villages et les bourgs les plus lointains.

Un carnaval de couleurs ? Sûrement. Mais aussi une campagne politique. Une tournée dans les méandres des rues du Caire suffit à observer cette diversité. L’orange pour le candidat Abdel-Moneim Aboul-Foutouh, le bleu et le blanc pour Ahmad Chafiq, le rouge pour le candidat des Frères musulmans, Mohamad Morsi, le blanc et le noir pour Hamdine Sabbahi ... « Il s’agit là d’un festival politique. Un vrai mouled, premier du genre en Egypte. En 2005, deux candidats ont osé défier Moubarak lors de l’élection présidentielle, mais aucun d’entre eux n’a eu l’audace d’accrocher sa photo à côté de celle de Moubarak. Pire encore, suite à l’arrivée de Moubarak au pouvoir, son régime a réussi à se venger des deux candidats en mettant en prison l’un d’eux et en salissant la réputation de l’autre. Ce qui arrive aujourd’hui en Egypte est une véritable mutation politique. C’est le fruit de la révolution. Je ne pensais pas voir le jour où l’on pourrait décider de notre sort, à l’instar des pays développés », explique Atef Mohamad, ingénieur de 75 ans.

Les murs du Caire illustrent ce festival électoral. Dans la rue Ahmad Fakhri, à Madinet Nasr, pros et antis Amr Moussa jouent au chat et à la souris. Sous la pancarte géante qui promet au paysan le retour de l’époque glorieuse du fellah durant laquelle les villages égyptiens ont connu la prospérité, certains passants ont exprimé leurs désaccords. « Non aux feloul, non au ministre des Affaires étrangères sous Moubarak ! ». D’autres mentionnent sur la même pancarte que c’est un politicien expérimenté et un diplomate de grand talent qui a su exprimer la volonté de l’homme de la rue vis-à-vis de l’Etat hébreux.

« C’est le Erdogan égyptien »

Rue Mohieddine Aboul-Ezz à Mohandessine, un autre débat a eu lieu. Certains passants ont griffonné le slogan d’Aboul-Foutouh mentionnant que cet ancien membre des Frères musulmans œuvrera pour l’intérêt de la « Gamaa ». Un piéton s’arrête et exprime son soutien à ce candidat par cette phrase simple : « C’est le Erdogan égyptien, un homme qui appartient à la révolution ».

Croire ou ne pas croire ? Ahmad, 30 ans, pense que personne ne peut prédire les résultats de ces élections. « D’après les sondages, les progrès de chaque candidat changent d’un moment à l’autre. L’aventure est impressionnante. Aujourd’hui, ma rubrique préférée sur Internet ou les pages des journaux est celle qui avancent des indices sur les hausses et les chutes de chaque candidat dans cette course », ajoute-t-il.

Une guerre de sondages a eu lieu entre les diverses institutions journalistiques pour tenter de prédire qui sera le prochain président. Alors que le Centre d’information et de prise de décision du Conseil des ministres place Amr Moussa et Abdel-Moneim Aboul-Foutouh en tête, ils ne le sont plus dans un autre sondage réalisé par le Conseil suprême des forces armées. « On a l’impression d’être soumis à un jeu politique organisé. Ces sondages ne sont en réalité qu’un moyen d’influencer l’électeur et de le soudoyer en l’amenant à adopter la décision de la majorité. Ce qui nécessite de la prudence de la part des électeurs », avance Hachim, un médecin de 40 ans.

Emad Hussein, directeur de rédaction du quotidien Al-Shorouk, partage cet avis. Il assure dans son édito que les citoyens marchent sur de sables mouvants. « Il est très difficile de prédire ce qui va se passer sur la scène politique, puisque toutes les hypothèses sont floues. Nous sommes un peuple qui fait ses premiers pas dans la démocratie. L’électeur qui manque d’expérience choisit son président selon l’impression qu’il s’est faite de lui et non pas selon le programme qu’il présente », argumente Emad Hussein.

Dans un café du quartier d’Imbaba, tous les yeux sont rivés sur un écran géant. Il ne s’agit pas d’un match de foot, mais d’un débat entre deux candidats à la présidentielle, le premier du genre en Egypte. Pour assister à ce débat Moussa - Aboul-Foutouh, les clients ont dû réserver leur place à l’avance. La place coûte 3 L.E., boisson incluse. Les rues de ce quartier populaire ont été désertées. « On ne peut rater un tel événement. C’est un moment historique, un rêve tant attendu et qui s’exauce enfin. Choisir un président qui va tenir compte des aspirations et des souffrances des marginalisés est notre priorité », avance Sayed, un chauffeur de 40 ans.

La discussion continuera après le débat jusqu’à l’aube. « Aboul-Foutouh a été le plus fort, il a bombardé Moussa en critiquant sa politique lors de son mandant au ministère des Affaires étrangères. A l’époque, je travaillais en Iraq, on ne savait pas à qui s’adresser pour réclamer nos droits. La dignité de l’Egyptien était bafouée », s’insurge Moustapha, un ouvrier.

« T’as vu la montre qu’il porte ? »

Les débats vont bon train. « Je trouve que Moussa a été plus fort, plus précis. Il a parlé de détails alors que l’autre a tenté de jouer avec les mots », dit Saad, plombier de 49 ans. « Ce débat a réduit la popularité des deux candidats, vu le ton agressif utilisé. Nous avons besoin d’entendre d’autres candidats comme Hamdine ou Chafiq avant de prendre notre décision », réplique Abbas, peintre en bâtiment.

Quelques jours plus tard, c’est toujours le même sujet qui anime la rue. « Je préfère Hamdine, il nous ressemble. De plus, il a été député irréprochable. Quant à Chafiq, c’est le candidat de la classe huppée qui a fait fortune à l’époque de Moubarak. T’as vu la montre qu’il porte ? Elle doit coûter une fortune ... ». Un autre habitant du quartier ne partage pas cet avis : « Chafiq, est le candidat le plus sincère. Les autres tentent de se faire passer pour des anges. Je voterai pour lui pour que la rue égyptienne retrouve sa sécurité, il a promis qu’il mettra fin à l’insécurité et la baltaga dans les 24 heures qui suivront sa nomination ». Un voisin s’exclame ironiquement : « Mais comment pourra-t-il mettre fin à la violence en 24 heures, il exagère ... Sauf si c’est lui qui manipule les baltaguis ! ».

Un autre citoyen s’interroge : « Et pourquoi pas Morsi ? ». Il poursuit : « Il me semble que l’armée ne veut pas donner la chance aux Frères musulmans de travailler comme il se doit. La preuve : l’armée insiste à garder le gouvernement de Ganzouri », dit Magdi, 28 ans, coiffeur. Les protestations pleuvent. « C’est fini, nous n’allons plus commettre la même erreur. Nous avons voté pour les Frères aux élections parlementaires, mais ils nous ont trahis et n’ont pas tenu leurs promesses. Si Morsi arrive au pouvoir, ce sera une nouvelle dictature ou bien une marionnette entre les mains de la Gamaa. Il sert de doublure de Khaïrat Al-Chater qui, lui, fait tout bouger dans les coulisses. L’attitude des Frères musulmans n’est pas claire, ils nous ont présenté Morsi comme seconde option et aujourd’hui ils demandent au peuple de voter pour lui », avance Achraf, un médecin de 29 ans.

Dans les foyers, c’est la même scène. Les débats politiques s’animent. La maison de la famille Sébai dans le quartier d’Héliopollis accueille tous les vendredis l’ensemble de la famille. Mais le fils aîné, de tendance salafiste, boycotte cette rencontre depuis l’exclusion de son candidat Hazem Abou-Ismaïl. « J’ai vu dans les yeux des membres de ma famille de la joie et du soulagement car ils éprouvaient de l’animosité contre cet homme pieux », souligne-t-il. Un autre débat se déclenche entre le fils cadet – qui soutient Aboul-Foutouh – et son petit frère qui va voter pour Chafiq. « Le moment est critique, on n’a pas besoin d’un président révolutionnaire, mais d’un réformateur. Aboul-Foutouh veut gagner la sympathie de tout le monde : les salafistes, l’armée, les révolutionnaires et même les libéraux. Il s’adresse à chaque parti en utilisant son langage. Mais je pense qu’il va tout perdre car c’est impossible de satisfaire tout le monde à la fois. Mais ce qui m’inquiète le plus c’est que le langage d’Aboul-Foutouh est de plus en plus rigoriste. Il veut séduire le courant salafiste qui a décidé de le soutenir aux élections », ajoute Ahmad, un ingénieur de 30 ans.

Lors de cette rencontre familiale, les jeunes révolutionnaires de la famille ont aussi leur mot à dire. « Les feloul n’ont pas le droit de parler de patriotisme, c’est aux révolutionnaires de la place Tahrir de dire leur dernier mot », dit d’un ton ferme un des cousins. Quant au mari de leur sœur, officier dans l’armée, il a préféré rester en retrait dans un coin plus calme du salon.

Sur Facebook aussi, la bataille ne manque pas de piquant. Un groupe d’amis d’une même école échange les avis. Liliane ne cesse de diffuser des commentaires négatifs sur Aboul-Foutouh, en ajoutant les analyses des experts sur ses réponses lors du débat télévisé. De son côté, Racha, sa camarade de classe, ne tarde pas à publier sur sa page la photo de son candidat préféré, Aboul-Foutouh. Elle a réuni tous les témoignages qui défendent ses idées. Sous le titre : Lis avant de juger, elle cherche à rassembler un maximum d’électeurs.

Toujours sur Internet, après l’élection présidentielle en France, Alaa, un ingénieur de 40 ans, a déclaré que les partisans de Nicolas Sarkozy allaient organiser un sit-in sur les Champs-Elysées à l’instar des «  fils » de Hazem Abou-Ismaïl à la place Tahrir pour réclamer son retour … .

Dina Darwich

 




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