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 Semaine du 7 au 13 mars 2012, numéro 912

 

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Présentateurs sportifs . Le rapport préliminaire de la commission d’enquête met en cause le rôle des animateurs de programmes sportifs dans le massacre de Port-Saïd. Ils sont accusés d’alimenter la haine des supporters.

Pas aussi neutres qu’ils y paraissent ...

« La ville qui a lutté contre l’agression tripartite ne va pas tuer ses enfants », « Le trio Chalabi, Sadeq et Chobeir est la cause de ce massacre », « Débarrassez la scène médiatique de ces feloul ». Ce sont quelques-unes de ces inscriptions que l’on trouve sur tous les murs de Port-Saïd.

Un calme précaire règne sur la ville après la violente tempête du mois dernier, lorsque plusieurs dizaines de personnes sont mortes, en majorité des Ahlawis, dans des émeutes survenues à l’issue d’un match entre Ahli et Masri. Les supporters de Port-Saïd ont été rendus responsables de ce massacre par les médias.

Aujourd’hui, plus d’un mois après les faits, la ville côtière, réputée pour sa passion pour le football, est toujours en deuil. Rien ne brise ce silence mêlé à un profond chagrin, sauf les mélodies qui fusent des camions parcourant les rues et qui illustrent cette grande tristesse. « Toi qui vas à Port-Saïd, baise les mains de ses héros » : des paroles d’une chanson composée à l’époque de l’agression tripartite au cours de laquelle Port-Saïd a étonné le monde par son esprit combatif. Aujourd’hui, la ville se ressaisit et tente d’effacer les stigmates de ce carnage.

« Comment tourner la page ? Les Port-Saïdis ont servi de bouc émissaire dans ce complot ourdi par les médias », explique Mohamad, 30 ans, chauffeur de taxi. « Nous avons participé à la plupart des batailles livrées par l’Egypte, mais aujourd’hui, on doit faire face à la bataille la plus ardue, celle de cette campagne menée par les médias contre notre ville. Les médias ont parlé des Port-Saïdis comme des criminels » ajoute-t-il.

Dans son émission sur la chaîne Modern, le présentateur Medhat Chalabi a montré des images de supporters port-saïdis attaquant les Ultras ahlawis. Il a accusé un jeune supporter port-saïdi, Mohamad Al-Boghdadi, surnommé Mando, d’avoir provoqué le public ahlawi. Selon Chalabi, Mando a été aperçu, pendant la pagaille qui a suivi le match, en train de sillonner le terrain en brandissant une pancarte sur laquelle il y avait des inscriptions provocatrices pour le public d’Ahli.

Dans son programme Al-Haqiqa (la vérité) diffusé par la chaîne Dream, le cheikh Ali Fouda, membre du courant salafiste et personnalité populaire à Port-Saïd qui avait réussi à convaincre Mando de se rendre à la police, a déclaré que la pression exercée par les médias avant le match a été à l’origine de ce massacre sanglant. Il a défendu Mando en assurant qu’il se trouvait dans les vestiaires au moment du drame (et non pas sur le terrain comme l’affirme Medhat Chalabi) et a fourni, pour le prouver, le témoignage de l’un des joueurs, Amir Abdel-Hamid.

Fouda a expliqué que sur la pancarte brandie par Mando se trouvait une prière pour Mahmoud Al-Khatib, l’ancienne star d’Ahli et de la sélection nationale, qui se trouve en Allemagne pour subir une intervention chirurgicale. Cheikh Fouda a enfin accusé les présentateurs des programmes sportifs d’avoir versé de l’huile sur le feu.

D’autre part, une situation très embarrassante a eu lieu en direct au cours du programme présenté par l’ex-gardien de but et membre de l’ex-Parti national, Ahmad Chobeir, lorsque Mohamad Gamal, membre des Ultras zamalkawis, l’a humilié en direct en lui disant que le programme qu’il présente est une trahison pour ses compagnons des Ultras qui ont perdu la vie lors de la tragédie de Port-Saïd. « Je suis là pour te transmettre le message de la mère de l’un de ces martyrs qui assure que tu es le responsable de cette effusion de sang et que tu n’as jamais cessé de porter préjudice à l’image des UItras ahlawis au cours de ta carrière. Après la révolution, tu les as accusés d’être les responsables de ce chaos qui sévit dans la rue égyptienne et des événements qui ont eu lieu à Maspero et rue Mohamad Mahmoud, et tu as tout fait pour monter les citoyens contre eux », a déclaré Gamal.

Chobeir s’est défendu affirmant que cette situation ne le perturberait pas et qu’il poursuivrait son travail journalistique pour éclairer l’opinion publique. « Il y a des personnes qui n’acceptent pas la différence d’opinion », a déclaré Chobeir.

Un rôle ambigu

Les animateurs d’émissions sportives ont été les premiers à être pointés du doigt pour avoir semé la zizanie entre les supporters d’Ahli et de Masri.

 « Ce sont les feloul qui ont comploté dans les coulisses. Il ne faut pas oublier que certains de ces présentateurs faisaient partie de l’ex-régime », explique Khaled, 40 ans, comptable. Gomaa, un planton de 20 ans, partage cet avis. Il estime que l’ex-régime s’est toujours servi du football pour distraire les Egyptiens et leur faire oublier leurs droits les plus élémentaires. « Les présentateurs d’émissions sportives ont servi de marionnettes à l’ancien régime quand il s’agissait d’avancer certaines idées », avance Gomaa.

Après un long silence, les Ultras de Port-Saïd ont publié un bilan sur Facebook accusant les médias de parti pris et de s’être rangés du côté du club Ahli. « Pourquoi ne mentionne-t-on pas la réaction du public de Port-Saïd qui a formé un cordon humain pour empêcher les supporters d’envahir le terrain lors du match et à la mi-temps ? », s’interrogent les Ultras de Port-Saïd. Une subjectivité qui a poussé le quotidien Tahrir à publier en une les caricatures des animateurs impliqués dans ce massacre.

Ce déchaînement médiatique a aggravé la situation. Le rapport préliminaire du comité parlementaire chargé d’enquêter sur les incidents regrette « la position irresponsable de certains présentateurs de programmes sportifs qui ont ravivé le conflit, mobilisé la foule et se sont éloignés du vrai rôle de ce genre de programmes, qui vise à analyser les résultats des matchs », a déclaré le député Achraf Sabet, président du comité d’enquête.

Durant le programme sportif Had wa gad (sévère et sérieux), Alaa Sadeq a de manière virulente attaqué l’arbitre du match et l’a accusé d’avoir été à l’origine de ce massacre car il n’a pas pris la décision d’arrêter le match. Pourtant, tout laissait croire que la situation allait dégénérer.

Cette tension n’est pas seulement une réaction à un match, mais plutôt le fruit d’une haine accumulée depuis des années. « Durant les quatre dernières années, les médias ont mené diverses campagnes au cours desquelles chaque présentateur a dirigé son émission selon sa tendance politique. Or, un journaliste ou un présentateur ne doit jamais révéler ses affinités et doit se montrer objectif pour la simple raison qu’il n’est pas un supporter. Pourtant, ces différents programmes n’ont pas tardé à donner naissance à ce que l’on appelle les médias colorés. Une appellation qui désigne le non-professionnalisme de ces émissions », assure Hassan Al-Mistekawi, critique sportif qui travaille dans les médias depuis 35 ans.

Il ajoute que ce qui a aggravé la situation est le fait que la plupart de ces présentateurs sont membres de la Fédération de football. Or, la Fédération assume une partie de la responsabilité de ce qui s’est passé. Et les présentateurs ne pouvaient pas être totalement impartiaux.

L’image des Ultras a d’ailleurs été ternie par certains de ces présentateurs. Ce groupe a, en effet, participé aux manifestations et aux sit-in qui ont suivi la révolution. Chobeir, par exemple, les a traités de « drogués et de délinquants ».

Mohamad Gamal, connu par le nom de « Jimmy Hood », membre des Ultras zamalkawis, auteur du livre Les Ultras, partage cet avis. Il assure que les médias sportifs auraient dû prendre le pouls de la rue. Les problèmes sociaux ont atteint les stades, et le fanatisme et le racisme sont devenus une monnaie courante. « Le joueur d’origine nubienne, Chikabala, a été humilié à cause de la couleur de sa peau. Hani Ramzi, ex-joueur et entraîneur copte, a été bombardé de slogans fanatiques portant atteinte à ses croyances. Abou-Treika a subi d’autres humiliations ayant trait à ses origines modestes. Les présentateurs auraient dû commenter leurs programmes avec neutralité au lieu d’attiser le feu », assure Jimmy Hood, ajoutant que l’ignorance de certains speakers a aggravé le conflit lors du dernier match entre l’Algérie et l’Egypte, ce qui a provoqué une crise diplomatique entre les deux pays.

Le problème, selon Jimmy Hood, est que certaines personnes qui travaillent dans les médias manquent de professionnalisme et de patriotisme et ne saisissent pas l’importance de ces deux facteurs. Selon lui, « la question est : Pourquoi un ex-footballeur doit-il se transformer en animateur ? Quelles sont ses compétences pour avoir le droit de s’installer devant un microphone et de s’adresser au public, sachant que ce genre de programmes possède une grande audience. La plupart d’entre eux sont des ex-joueurs ou des ex-officiers », explique Hood.

Ce genre d’émissions sportives n’est soumis à aucun contrôle. Selon Al-Mistekawi, la pagaille médiatique règne en Egypte et on remet désormais en question le vrai rôle de ces médias.

Aujourd’hui, ces présentateurs sont devenus muets comme des carpes attendant que la tempête passe. Personne ne veut pour le moment s’adresser aux médias pour défendre ou expliquer son point de vue.

De son côté, l’Union des critiques sportifs, présidée par le journaliste Aymane Ayed, a publié un bilan mettant en garde le public contre le danger que représentent les présentateurs des programmes sportifs et les journalistes corrompus. « On craint que ce groupe ne fasse circuler des rumeurs qui sèment la division dans la rue, et ce, pour acquérir une célébrité ou une popularité sans considération pour l’éthique du métier. Il faut que les spectateurs soient vigilants en choisissant les présentateurs et les émissions sportives en lesquels ils ont confiance », conclut le bilan.

Dina Darwich

 




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