Al-Ahram Hebdo, Enquête | La guerre des images

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Abdel-Fattah El Gibali
 
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Hicham Mourad

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 Semaine du 8 au 14 février 2012, numéro 908

 

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Enquête

Médias . Les vidéos amateurs montrant les actes de violence de l’armée fusent de toutes parts sur le Web. Elles révèlent ce que beaucoup de chaînes de télévision refusent de montrer. Mais les pro-régime les utilisent aussi pour ternir l’image des manifestants.

La guerre des images

«les contestataires vont revenir ! ». « Si on n’obtient pas nos droits, nous sommes prêts à mourir ! ». « Tues dix personnes, tues cent personnes, notre révolution est pacifique ! ». Des slogans scandés par les manifestants lors de la dernière manifestation rue Ahmad Orabi, à Mohandessine. Cette manifestation fait suite à la diffusion d’une vidéo montrant les violences commises par la police et l’armée contre des activistes.

Mais rien n’arrête les activistes. Ils parcourent les quatre coins de l’Egypte pour montrer des vidéos qui « dévoilent la vérité » comme l’explique Racha Azab, coordinatrice d’une campagne ambulante. Munie d’un projecteur et d’un écran géant, cette campagne a pour objectif d’éclairer l’opinion publique et de remettre la révolution sur les rails. Les affrontements dans la rue avec les membres du groupe « Pardon monsieur le président » qui soutiennent Moubarak ne sont plus une source de préoccupation, même si parfois il faut jouer au chat et à la souris avec les baltaguis (hommes de main). Ces derniers ont plusieurs fois tenté de couper l’électricité pour arrêter la diffusion de ces vidéos gênantes.

Des ruelles de Choubra aux bourgades les plus éloignées du gouvernorat de Minya, en Haute-Egypte, en passant par les ruelles d’Alexandrie et les quartiers huppés d’Ismaïliya, ces activistes ne ratent aucune occasion de se joindre aux manifestations. Kaziboune (menteurs) est le nom de cette campagne menée par des hommes et des femmes de toutes tendances politiques.

Selon Racha Azab, l’objectif de cette campagne est de dévoiler au grand jour les mensonges du Conseil militaire. Ces vidéos retracent les actes de violence commis envers les manifestants dès le premier jour de la révolution.

C’est suite à l’appel de l’activiste Lina Mégahed que cette campagne a vu le jour. Pleurant avec hystérie dans l’hôpital, les mains rouges du sang d’un martyr, elle ne cessait de crier avec indignation que « les gens ignorent la vérité. Ils n’ont pas vu ces scènes terribles. Ces images procurent une vive sensation d’écœurement. On ne peut qu’éprouver de l’indignation ou de la répulsion face à des actes aussi violents et aussi cruels ».

Ces vidéos ont ébranlé les médias traditionnels, eux, qui ont choisi de se taire lors des événements sanglants. « Ces médias ne détiennent plus le monopole de la vérité », note Dina Fahmi, coordinatrice du groupe sur Facebook intitulé « Dévoiler les crimes du Conseil militaire ». Ce groupe a lancé un appel sur Internet pour recevoir toutes les vidéos qui montrent les exactions commises envers les activistes. Avec des moyens dérisoires, ce groupe de jeunes âgés entre 22 et 29 ans a décidé de se rendre dans divers lieux pour montrer aux gens ces crimes. Et la guerre des vidéos se propage de plus en plus. Un autre groupe d’activistes a récemment lancé un appel similaire sur Facebook.

Autre scène, autre image

Le groupe qui se nomme « La coalition de la majorité silencieuse » sur Facebook mène une campagne intitulée « Iaaraf adowak » (connais qui est ton ennemi). Situé place Al-Hossary à la cité du 6 Octobre, ce groupe, qui soutient le Conseil militaire, diffuse lui aussi ses propres vidéos. Le but : défendre le Conseil militaire et dénoncer les baltaguis qui s’infiltrent dans les rangs des manifestants. Ce groupe accuse par extension tous les manifestants d’actes de vandalisme comme celui de l’incendie de l’Institut d’Egypte. Selon un ex-général qui a requis l’anonymat, « la vidéo qui circule aujourd’hui entre les mains des activistes concernant la fille qui a été traînée par terre par des soldats de l’armée est truquée par un groupe de jeunes qui a reçu un entraînement aux Etats-Unis et en Serbie afin de déformer l’image de l’armée. Mais cette explication est loin d’être convaincante. Les violences commises par l’armée font désormais légion et les vidéos le prouvant fusent de toutes parts ».

Cette vidéo d’une jeune activiste roulée par terre et frappée à coups de pied par des soldats a bouleversé l’opinion publique. Elle a provoqué de vives polémiques. Certains se sont rangés avec raison du côté de cette pharmacienne. D’autres n’ont pas compati. Un fait qui a poussé beaucoup d’activistes à considérer cette bataille de vidéos comme une guerre psychologique dont l’objectif est de terroriser les catégories marginalisées — comme les coptes et les femmes — pour qu’elles n’assistent plus aux manifestations.

Aujourd’hui, cette vidéo est devenue l’arme magique pour influencer l’opinion publique. Chaque camp possède son propre arsenal. De la bataille électorale aux affrontements entre activistes et forces de police en passant par les débats religieux, de nombreuses vidéos circulent entre les usagers du Net.

Selon l’acteur et activiste Khaled Abdallah, l’Egypte compte parmi les premiers pays au monde en terme d’utilisation de YouTube. « Cela a sans doute une raison. Les gens tentent de connaître la vérité par le biais d’un autre réseau que celui des médias traditionnels », estime Abdallah qui a tourné plusieurs vidéos d’affrontements entre l’armée et les activistes.

Le Financial Times avait écrit dans un précédent numéro que la révolution égyptienne s’était transformée en bataille médiatique, en une guerre de vidéos entre l’armée et les activistes. Le quotidien anglais est allé plus loin en considérant que l’image du jeune activiste Abboudi au visage bouffi et tuméfié par les coups fut l’étincelle qui a déclenché cette guerre.

Cette bataille de l’image a atteint son apogée lors des événements sanglants de Maspero en octobre dernier. A cette époque, les coptes avaient organisé une marche pacifique. Ils ont été attaqués par l’armée. Bilan : 27 morts.

Chaque parti tente de diffuser des images qui soutiennent son point de vue tout en critiquant l’autre, l’accusant d’avoir recours à Photoshop pour gagner la sympathie de l’opinion publique.

Mahmoud Khalil, professeur de journalisme, explique qu’« il s’agit d’un moyen influent d’expression, d’une sorte de révolte contre les médias traditionnels qui ont pendant trente ans fait la propagande d’un pouvoir autoritaire ».

Aujourd’hui, chaque citoyen s’est transformé en reporter. Il lui suffit d’utiliser son portable pour remplir sa mission d’investigateur. La dernière vidéo intitulée Saëd al-oyoune (Eye Hunter) l’a prouvé. Cette vidéo a, elle aussi, secoué l’opinion publique. Elle montrait un policier visant volontairement les yeux des manifestants. La scène a été filmée par un simple passant. Grâce à cette vidéo, le policier a été traduit en justice. « C’est ce qu’on appelle le journalisme citoyen. Un phénomène qui a pris de l’importance après la révolution », poursuit Mahmoud Khalil.

Records de visionnage

Un nouveau groupe intitulé Mosserrine (nous insistons), formé de cinéastes professionnels et d’activistes, bat aujourd’hui des records de visionnage sur YouTube. « On a des équipements de tournage et de montage. On fournit une documentation visuelle sur la révolution depuis son déclenchement aux groupes d’activistes qui souhaitent lancer un projet particulier », explique Khaled Abdallah, un des fondateurs de Mosserrine.

Le premier projet de Mosserrine a été diffusé place Tahrir lors d’un sit-in en juillet dernier. Le groupe a diffusé les plus belles images des 18 jours de la révolution. Ce projet en a inspiré plusieurs autres. Des films et des courts métrages ont également vu le jour à partir d’images d’amateurs à l’exemple d’Al-Magd lil chohadaa (gloire aux martyrs) ou de Arbaa layali min al-qatl (quatre nuits de tuerie).

Khaled Abdallah pense qu’il est temps que le peuple connaisse la vérité. « Cette vérité est claire comme de l’eau de roche. Mais elle peut coûter cher. Ce que l’on craint le plus, c’est que les gens ne sélectionnent les bons et les mauvais prétextes avancés par le pouvoir tels que la stabilité sécuritaire, la crise économique et le chaos. Ces violences pourraient de cette manière devenir légitimes, ce qui ne serait pas acceptable », explique Abdel-Rahmane, un jeune activiste qui a perdu un de ses amis dans les derniers affrontements. Depuis, il ne cesse de diffuser des vidéos montrant la violence de l’armée. Un militantisme qui, d’après lui, permettra la réussite de la révolution.

Dina Darwich

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Trucage ou vérité ?

La crédibilité des vidéos qui circulent sur Internet fait l’objet d’une vive polémique. « Aujourd’hui, avec le progrès technologique, tout est possible. Le trucage d’une vidéo est facile pour qui veut détourner la vérité et faire de la révolution un commerce », explique Ahmad Metwalli, un ingénieur de 30 ans. Il est membre du groupe Assef ya raïs (pardon monsieur le président) sur Facebook. Ahmad a participé à plusieurs manifestations à Abbassiya pour soutenir le Conseil militaire.

Dans son émission Al-Tabaa al-oula (la première édition), le présentateur Ahmad Al-Moslemani met en garde les téléspectateurs quant aux événements de Maspero. Il les incite à ne pas croire les scènes sanglantes qui défilent sur le Net. Selon lui, elles ont été prises à Gaza. « Aux citoyens de rester vigilants. Certains cherchent à tirer profit de cela pour verser de l’huile sur le feu. Après Maspero, des vidéos ont été diffusées sur YouTube par quelques islamistes fanatiques pour faire circuler leurs discours rétrogrades », lance Al-Moslemani. Mais prendre Maspero pour Gaza ? Le mensonge est gros !

Plus les sources d’informations sont nombreuses et plus l’accès à la vérité est facile. « Et donc, il devient difficile pour les médias traditionnels de mentir. Par contre, s’il existe une seule source d’informations, il n’y aura pas de crédibilité », explique Khaled Abdallah, un activiste. Mahmoud Khalil, professeur de journalisme, partage cet avis. Il estime que ce genre de médias alternatifs augmente le degré de professionnalisme des médias traditionnels.

Aujourd’hui, la guerre est en partie passée de la rue au Net. Un fait qui semble angoisser certains conservateurs qui estiment que ces vidéos peuvent déclencher la panique si elles sont mal exploitées. « Les vidéos concernant le massacre de Maspero sont dangereuses », estime l’écrivain Hassan Al-Cheikh.

Mais certains estiment que ces vidéos ont joué un rôle important dans la sensibilisation des citoyens. « Il suffit de citer un exemple : lors de la marche organisée par la campagne Kaziboune à Imbaba, les habitants ont très mal reçu le candidat à la présidence Ahmad Chafiq, qu’ils ont considéré comme un des feloul », conclut Amr, blogueur et activiste qui habite ce quartier populaire.

En dehors de l’Egypte, ces vidéos ont joué un rôle important dans la dénonciation des exactions de certains régimes. Bien que le régime syrien ait interdit la présence de médias étrangers sur son territoire, rien n’a pu empêcher les jeunes militants de diffuser leurs vidéos sur YouTube. Ces vidéos ont permis au monde de savoir à quel point la situation en Syrie est dangereuse. Mais rien ne confirme leur véracité et il est toujours difficile de vérifier l’information sans la présence de journalistes professionnels.

Le délégué de la Syrie à l’Onu, Bachar Al-Gaafari, avait critiqué la position de certains pays, comme les Etats-Unis, qui se sont basés sur ces vidéos diffusées sur YouTube pour juger de la situation. Un fait qui révèle à quel point ces vidéos peuvent changer les destins de certains pays.

 

 




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