Al-Ahram Hebdo, Opinion | Hicham Mourad, Le problème salafistedes Frères musulmans

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 Semaine du 4 au 10 janvier 2012, numéro 903

 

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Opinion

Le problème salafistedes Frères musulmans
Hicham Mourad

La tenue de la troisième et dernière phase des législatives, les 3 et 4 janvier, doit confirmer les tendances déjà observées lors des deux précédentes : le Parti Liberté et Justice (PLJ), bras politique des Frères musulmans, doit émerger comme la première force politique de l’Egypte post-révolutionnaire avec un résultat de quelque 45 % des sièges du nouveau Parlement. Il sera suivi par la coalition des salafistes, emmenée par le parti Al-Nour (lumière), avec le quart des sièges. Les islamistes, toutes tendances confondues, auraient ainsi une majorité confortable de presque trois quarts des sièges.

Mais contrairement aux apparences, les islamistes sont loin de composer un seul bloc uniforme. Des sensibilités différentes existent entre eux. Les deux principales formations, le PLJ et Al-Nour, devraient entrer en rivalité dans l’hémicycle, comme elles l’ont déjà fait lors des dizaines de duels électoraux pour le scrutin uninominal. Frères et salafistes jouent en effet sur le même terrain religieux, usent des mêmes arguments et se disputent presque le même électorat. Même si les Frères musulmans ont une grande longueur d’avance, étant donné leur large expérience politique datant de la création de la confrérie en 1928, les salafistes, novices en politique, risquent de grignoter leur électorat et leur poser à l’avenir une vraie menace.

Les salafistes ont amorcé un large virage idéologique et tactique en décidant de se lancer en politique, après le soulèvement populaire du 25 janvier. En moins de six mois, ils ont créé leurs propres partis politiques, Al-Nour, Al-Assala et Al-Fadila. Alors qu’ils dédaignaient de faire de la politique et soulignaient depuis plusieurs années que la démocratie à l’occidentale est non-islamique, corrompue, impie et hérétique, et conseillaient à leurs disciples de ne pas participer à des élections, les dirigeants salafistes ont finalement estimé que la révolution de janvier et la chute du régime de Moubarak leur offrent une occasion en or pour mettre en place leur vision d’une société islamique en Egypte. En peu de temps, ils ont pu compter sur leur audience parmi les pauvres, ceux-là mêmes qui ont bénéficié des années durant de leurs œuvres de charité. Leur campagne médiatique mettait surtout en avant une image d’hommes pieux, droits, non souillés par la politique politicienne, contrairement, selon eux, aux Frères musulmans. Mais cet argument peut se révéler à terme contre-productif, car les salafistes commencent, eux aussi, à faire de la politique, qui est finalement l’art du compromis avec les autres forces politiques. S’ils se montrent inflexibles et intransigeants sous la coupole, pour coller à leur image doctrinaire et dogmatique, les salafistes risqueraient l’isolement sur la scène politique.

Les salafistes avancent également que la doctrine des Frères souffre de déficiences et de lacunes, contrairement à celle salafiste, conforme au vrai islam. Et c’est là que joueront la rivalité et la bataille « idéologique » entre les deux mouvements islamiques auprès des électeurs. Conscients de l’importance de cette bataille, non seulement à l’encontre des salafistes, mais aussi vis-à-vis des forces libérales, les Frères musulmans ont récemment lancé leur journal Liberté et justice et, surtout, leur chaîne satellite, Misr 25 (Egypte 25). Comme ses concurrentes, celle-ci met l’accent sur les talk-shows, où sont invités des responsables et des spécialistes du courant islamiste et de ses sympathisants. Ils expliquent les objectifs et les politiques et cherchent à rassurer sur les intentions des Frères. L’entrée des Frères sur la scène médiatique des chaînes satellites vise notamment à contrer la domination des salafistes, qui détiennent un véritable empire composé d’une multitude de chaînes avec ses prêcheurs célèbres, de véritables stars, bien connus du grand public depuis plusieurs années.

Une fois au Parlement, Frères et salafistes ne devraient pas avoir les mêmes priorités. Alors que ces derniers devraient mettre plus l’accent sur les questions liées à la morale islamique, éducation, arts, etc., le PLJ éviterait d’évoquer dans un premier temps ces questions, synonymes de tensions avec les forces politiques libérales, avec lesquelles il devrait s’allier dans une coalition gouvernementale, ainsi qu’avec les partenaires occidentaux de l’Egypte, dont il a besoin pour sortir le pays de sa crise économique, née de l’instabilité politique et sécuritaire consécutive à la révolte populaire. La présence des salafistes au Parlement risque de compliquer la tâche des Frères. Les prises de position de ses ultraconservateurs sur des questions liées à l’application de la charia obligeraient parfois le PLJ à adopter des positions proches ou semblables, pour ne pas s’aliéner une partie de son électorat conservateur. Et ce, contrairement à sa volonté initiale de se rapprocher du centre de l’échiquier politique, près des libéraux, pour faire passer son message de modération. Il est probable que le PLJ sera amené à recourir périodiquement à un jeu de balancier entre salafistes et libéraux. Il l’a déjà fait lors de sa campagne électorale. Alors que dans les médias et au Caire, fief des libéraux, il a délivré un discours de modération et offert des assurances sur ses intentions islamiques, ses candidats dans les provinces, qui faisaient face à une rude concurrence des salafistes et mettaient en avant un discours axé sur les valeurs islamiques. Cette politique a valu aux Frères musulmans d’être accusés de tenir un « double langage ».

Le PLJ se distingue des salafistes dogmatiques par son pragmatisme. Les Frères musulmans ont montré tout au long de leur histoire une capacité d’adaptation aux circonstances environnantes, sans perdre de vue leur but ultime de faire de l’Egypte une société plus islamique. Ils croient à une approche graduelle, progressive, non aux électrochocs. D’où leurs messages rassurants adressés aux élites libérales et aux partenaires occidentaux de l’Egypte. Et pour éviter l’échec face au poids énorme des problèmes économiques et sociaux du pays, alors qu’ils sont aux portes du pouvoir, les Frères tiennent à faire participer les libéraux dans un prochain gouvernement de coalition. Leur but est double : d’abord, mettre toutes les chances de leur côté et, ensuite, éviter qu’ils se trouvent seuls responsables en cas de résultats non-probants.

Les priorités des Frères sont en premier lieu économiques, car c’est l’attente de la population. Mais ils savent également que leurs objectifs à long terme — l’islamisation de la société — seront plus faciles à atteindre en cas de réussite économique, que le peuple sera plus réceptif s’il sent une amélioration notable de son quotidien et goûte aux fruits d’un essor économique. Il n’est donc pas fortuit de constater que les Frères, sous la houlette de leur éminence grise, le vice-guide de la confrérie, Khaïrat Al-Chater, sont en train de mettre au point ce qu’ils appellent le « projet de renaissance » de l’Egypte. Axé sur le développement économique, mais aussi l’éducation, indispensable à un essor économique durable, le projet cherche à tirer profit de l’expérience de la Turquie et de la Malaisie en matière de développement économique et d’éducation, de celle du Singapour en administration et de celle de l’Afrique du Sud en dialogue politique .

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