Sobhi Mechreqi
est un maître du non-dit. Dans son 2e recueil de nouvelles
Massälet charaf (une question d’honneur), il parvient à
saisir les questions existentielles dans un langage poétique
et sous un nouveau jour. En voici deux extraits.
La poupée
Elle trouve le bonheur avec son grand-père alors qu’ils sont
assis sur le gazon sous la statue de la Renaissance
d’Egypte. Elle refuse et il rit. Il boit le café et elle
mange les crêpes de sa grand-mère.
Elle regarde le kiosque d’à côté et contemple la poupée.
— Grand-père, ce jouet …
— Oui, ma chérie.
— Je veux qu’elle se couche à mes côtés.
Ils reviennent vers la vieille maison en déambulant sous les
arcades. La grand-mère pose les grains de musc sur le
charbon en braise et les contemple.
Sous le rideau du lit, elle entend des voix précipitées et
rapides, puis une voix forte et surprenante, puis la poupée
disparaît.
— N’aie aucune crainte … C’est le jeu dans la salle de la
gare.
Elle pose sa tête sur l’oreiller. Elle entend les roues du
train.
— Grand-mère, le train d’Alexandrie est arrivé.
— Non, c’est le train de Louqsor.
Des années et des nuits, la grand-mère attend le retour de
son mari. Elle se tient debout à côté du kiosque et elle
contemple les poupées. Le train de son grand-père arrive de
loin. La fumée blanche emplit le ciel de la gare. Elle
regarde le plafond. Le train s’arrête. Son grand-père
descend avec l’allumeur. Elle danse. Il s’essuie les mains
et la prend dans ses bras. Ils marchent sous les arcades. La
grand-mère allume le charbon et l’odeur de l’encens qu’elle
surveille.
Avec son grand-père, au musée de la gare, elle regarde les
anciens trains. Il lui explique ce qui est écrit sur les
plaques en fer. Elle contemple les grandes cheminées aux
larges ouvertures.
— Grand-père, tu peux conduire ce train ?
— Je peux.
Elle rit d’un rire innocent et fort. Elle attire le regard
des visiteurs. Elle danse et il la prend dans ses bras. Elle
se tient à côté du kiosque des poupées. L’horloge de la gare
sonne les onze heures.
Le gardien de la gare sonne trois coups puis un seul coup.
Le train s’ébranle. Ils marchent sous les arcades jusqu’à la
maison.
Son grand-père lui a beaucoup raconté à propos des wagons de
légumes, d’animaux et de farine. Il y a eu une panne après
la venue du train. Ce jour-là était fatigant. Il avait dormi
sur un banc en bois près d’une ligne de train sans
utilisation.
L’allumeur l’avait appelé, mais il n’avait pas entendu.
Il partit et la grand-mère ne l’avait pas cru. Elle
l’attendait tous les soirs. Elle allumait le charbon et
l’encens.
Elle lui demande :
— Où est grand-père ?
— Il est parmi nous. Il viendra un jour avec le train. Il
lancera douze sifflets.
Elle part tous les jours à la gare en attendant le sifflet
du train. Elle demande aux conducteurs des trains.
— Mon grand-père n’est pas venu avec vous ?
Dans la vieille maison, sa grand-mère déclare qu’il va
revenir. Elle est partie à la gare. Elle regarde sa montre,
11h. Elle marche sur les rails avec sa poupée dans les bras.
Elle voit les signes rouges et verts avec difficulté.
La buée est dense. Il y avait un ouvrier et des signaux
rouges et verts.
Elle pose ses oreilles sur la route et entend le bruit du
train qui arrive de loin. Le train passe très rapidement. La
poupée tombe sur les rails. La fillette avance pour prendre
la poupée. Sa mère la gronde et la pousse au loin.
Une question d’honneur
La rue se remplit de chaises et de personnes venues du sud
avec leurs fusils. La musique emplit tout le quartier avec
les microphones des DJ qui arrivent des bâtiments proches.
Tout le monde accueille chaleureusement les amis et les
parents. Le père se met debout pour saluer ses cousins et
pour leur présenter les boissons glacées. Il leur a demandé
d’attendre pour leur annoncer l’honneur de la fille puis les
inviter à dîner.
L’annonce de l’honneur de la fille tarde. La mère s’assoit
avec son grand voile noir en mettant toute sa force sur ses
jambes. Elle fredonne : « La triste a voulu être heureuse,
mais elle n’a pas trouvé de place ». Le père s’installe la
tête baissée en ne quittant pas la fenêtre de la mariée.
La coiffeuse Fathiya Al-Amcha dit au mari de se calmer et
que tout ira bien. Fathiya la coiffeuse est au fait des
secrets des maisons, et des corps des femmes. Elle connaît
la vérité. Elle sait qu’un homme a trahi une mariée, qu’il a
émigré au Golfe et que ses nouvelles ont été coupées.
Le marié dit : J’ai longtemps essayé mais il n’y a pas une
seule goutte de sang. Quelle est la solution, oncle ?
La coiffeuse sort un mouchoir parsemé de gouttes de sang.
Elle avait égorgé un pigeon et prit de son sang sur son
mouchoir.
La coiffeuse accourt vers la fenêtre de la chambre et elle
le bouge en l’air pour le montrer aux présents en bas.
Le DJ s’élève et la chanson que tous les jeunes du quartier
connaissent retentit. Ils chantent en chœur. Les youyous
retentissent également. Les personnes venant du sud tirent
des coups de feu en l’air.
La mère enlève son voile noir et se met à danser, des danses
hystériques au rythme du mezmar.
Traduction de Soheir Fahmi