Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | La révolution en large

  Président
Abdel-Fattah El Gibali
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

Nos Archives

 Semaine du 25 au 31 janvier 2012, numéro 906

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  25 janvier

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Egypte

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Kiosque

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Voyages

  Sports

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Nulle part ailleurs

Provinces . Du nord au sud de l’Egypte, la révolution de 2011 n’a eu ni la même intensité ni le même déroulement. Chaque gouvernorat a réagi à l’appel selon ses caractéristiques. Et un an après, la flamme de la colère est toujours présente.

La révolution en large

« Nous, les Alexandrins, avions mille et une raisons pour nous révolter, bien plus que dans les autres gouvernorats d’Egypte. Juste avant la révolution du 25 janvier, on sentait le bouillonnement, c’était comme si l’on se préparait moralement à quelque chose », dit Hanaa Aboul-Ezz, journaliste. Elle poursuit : « Même si beaucoup de choses ont poussé le peuple à sortir dans la rue pour réclamer liberté et justice dans les quatre coins de l’Egypte, à Alexandrie, un drame avait marqué les esprits ». D’après Aboul-Ezz, la révolution a commencé à Alexandrie après le décès de Khaled Saïd, mort à cause de la torture de la police. Ce jeune sera le « Bouazizi » d’Egypte. Plus encore, en décembre 2010, une catastrophe a eu lieu, suivie d’une série de dénonciations de la corruption dans les municipalités à cause des effondrements perpétuels d’immeubles, dont une usine constituée de 7 étages et qui a causé la mort de 30 personnes.

Le soir du nouvel an 2011, la ville a connu un autre drame, l’attentat contre l’église des Deux saints, où 43 personnes ont perdu la vie. Et les gens n’étaient pas encore remis du choc qu’un autre drame survint. Sayed Bilal, un jeune homme alexandrin sourd-muet, meurt à cause de la torture pendant l’interrogatoire. Une bavure de plus de la part de la police. Du coup, l’ambiance dans la ville est devenue électrique et les visages reflétaient haine et rancune.

De quoi pousser les Alexandrins à organiser une série de sit-in et de manifestations qui ont atteint leur apogée le 25 janvier avec le reste du peuple. La mosquée d’Al-Qaëd Ibrahim est devenue La Mecque des manifestants.

Le chercheur Abdel-Rahmane Youssef explique que si Le Caire est devenu l’emblème de la révolution, sans la révolte dans les différents gouvernorats, la révolution aurait eu du mal à prendre de l’ampleur. Du 25 janvier au 11 février, ils ont bougé et réagi en répétant les mêmes slogans, en chantant en chœur le même rythme, mais pas toujours avec la même force.

Durant un an, il y a eu des gouvernorats très rebelles et d’autres beaucoup moins. A chaque région son tempérament, ses motifs et ses conditions. « C’est sur la plage du château de Ras Al-Tine que nous, les Alexandrins, avons appris les premiers que Moubarak allait sans doute quitter le pouvoir », confie Hanaa Aboul-Ezz. Elle tient à rappeler que le 11 février 2011, jour où le régime est tombé, les manifestants avaient déjà occupé la plage et la cour du château et seule une porte les empêchait de pénétrer dans ce palais. Normalement, c’est une zone interdite et personne n’a le droit d’y accéder, elle est surveillée sur une distance de plusieurs kilomètres. « On a compris ce jour-là que les forces armées étaient en train de nous transmettre un message : Moubarak n’est plus là », raconte-t-elle.

D’un sit-in à l’autre

D’après la jeune journaliste, tous les citoyens pensaient pouvoir jouir d’un peu de repos et que la situation allait s’améliorer, puisque l’objectif était enfin réalisé. Cela n’a pas été le cas. A l’instar du Caire, depuis cette date, les Alexandrins vivent dans l’action permanente et passent d’un événement à l’autre. Se déplacer d’un sit-in à l’autre devant le siège du gouvernorat ou ailleurs et organiser des rassemblements devant la cour de justice pour dénoncer l’arbitraire lors des procès de policiers impliqués dans la mort de manifestants. Quant aux manifestations du vendredi, elles sont devenues aussi sacrées que la prière du même jour. Les rendez-vous sont pris devant Al-Qaëd Ibrahim et la place Smouha. « Une scène que personne ne peut oublier : celle du jour où les gens ont pénétré dans le siège de la Sûreté d’Etat. Les outils ayant servi à la torture ont été mis devant nos yeux comme la chaise électrique, les pinces, les couteaux et d’autres instruments tranchants, c’était ahurissant », se rappelle Aboul-Ezz qui ajoute avoir été marquée par l’attitude des policiers qui tremblaient de peur tandis que les soldats de l’armée les protégeaient.

Tout comme Le Caire, Alexandrie a vécu ses événements révolutionnaires et d’autres anti-révolutionnaires.

Le mois de novembre dernier, lors des batailles devant le Conseil des ministres au Caire et l’incendie de l’Institut d’Egypte, des inconnus ont pris d’assaut et au même moment le siège de la direction de la Sûreté d’Etat à Alexandrie. « Ici ou là-bas, on ignore l’identité des gens qui ont attaqué ces lieux, et la manière dont les choses se sont déroulées. Ce qui nous laisse perplexes. Il y a beaucoup de zones d’ombres », dit Aboul-Ezz.

Si Le Caire et Alexandrie sont les deux grandes villes qui ont fait éclater la révolution, Suez a été aussi à la hauteur, et cela depuis le 21 janvier. A cette date, les habitants de la ville ont organisé des manifestations en hommage au peuple tunisien et ont lancé des slogans hostiles à Moubarak, l’invitant à rejoindre Ben Ali à Jeddah. « Personne ne s’imaginait qu’il y aurait une telle révolution, mais Suez est un gouvernorat chaud et rebelle par nature », explique Sayed Noun, correspondant d’un journal cairote. A noter que le président déchu ne s’est pas rendu dans ce gouvernorat durant trente ans, ce qui explique la haine que la population de Suez éprouve à son encontre. Ces habitants étaient convaincus que la fin de Moubarak viendrait par leurs mains. Ils n’ont pas hésité à affronter la police dès le premier jour de la révolution et ont compté beaucoup de martyrs. « Nous sommes habitués à offrir nos vies pour notre pays. Chaque citoyen ici est un héros et on élève nos enfants de manière à ce qu’ils deviennent des hommes vaillants, ne craignant pas la mort », dit Noun, en expliquant la philosophie des habitants de Suez qui a été le théâtre de plusieurs batailles lors des guerres avec Israël. Il cite l’exemple de ce jeune qui a tenté de s’immoler pour pousser Moubarak à quitter le pouvoir.

Pas de répit

Ici, à presque 100 km à l’est du Caire, et un an après le déclenchement de la révolution, le gouvernorat de Suez n’a pas connu de répit et garde des pulsions révolutionnaires. Des rues sont encore fermées, les blindés de l’armée sont partout, exactement comme les premiers jours de la révolution. La place Al-Arbeïne, où prenaient lieu les manifestations, est cernée par ses pèlerins et garde encore ses banderoles suspendues, réclamant le jugement des responsables de l’ancien régime. « On ne parle pas de révolution, on l’a faite. La révolution pour nous c’est un état que l’on vit tout le temps. Condamner les policiers accusés d’avoir tué les manifestants est notre objectif actuel, et c’est la seule chose qui peut panser nos plaies », affirme Gamal Sélim, avocat et activiste. Il explique que la notion de martyrs chez les habitants de Suez est sacrée. C’est un peuple qui a offert les premiers martyrs de la révolution et des milliers d’autres à travers l’histoire de l’Egypte. « On est prêt à garder cette âme révolutionnaire encore 100 ans jusqu’à l’accomplissement de notre objectif et ce, pour vivre dans la dignité et punir les coupables », commente Noun avec détermination.

En s’éloignant des points chauds de la Méditerranée et du Canal de Suez, il y aussi le sud du pays, où une autre forme de la révolution a lieu. Robustes, timides et conservateurs, les révolutionnaires de Qéna ont réagi à la hauteur de leurs caractéristiques. « On a manifesté à la place Tahrir, au Caire », dit Moustapha Al-Galess, jeune activiste et membre du comité de la révolution à Qéna. Chômage, pauvreté, humiliation, cherté de la vie ... la situation dans le sud est encore plus lamentable qu’ailleurs. Cependant, d’après Al-Galess, les habitants de Qéna sont tenus par la nature de la structure démographique du gouvernorat. Ils sont issus de trois grandes tribus dont les relations sont très tendues, à tel point qu’il existe des endroits dans la ville interdits aux uns ou aux autres. Du coup, cela restreint toute activité politique et toute action. Mais cela n’a pas empêché la population de sortir de temps en temps pour manifester à la place Al-Saa. «  On sortait en même temps que les grandes manifestations de la capitale, mais avec un nombre moins important pour éviter les problèmes pendant les rassemblements », explique Al-Galess. Ce dernier, comme beaucoup d’autres habitants de Qéna, est venu manifester au Caire, loin de la situation sensible qu’ils vivent à Qéna. C’est presque le cas de tous les gouvernorats du sud. Et d’après Abdel-Rahmane Youssef, cela est dû à la nature conservatrice de ces lieux. Là, les gens glorifient la hiérarchie et n’encouragent pas le changement bien que la région soit l’une des plus démunies et où sévit un fort taux d’analphabétisme. Pour eux, le respect des coutumes et la loyauté envers la tribu ou envers la famille sont la première priorité de la vie. « Une culture tout à fait différente de celle des habitants du nord et des villes côtières », explique Youssef. Ces villes, selon lui, sont plus ouvertes sur l’intérieur que l’extérieur du pays comme c’est le cas d’Alexandrie, de Suez, d’Ismaïliya, ou de Port-Saïd. Cependant, ces gouvernorats du sud ne sont pas restés complètement en marge des événements. On a vu ainsi les habitants de Qéna sortir par milliers durant des semaines pour protester contre le gouverneur choisi par le premier ministre. A Assouan aussi, la révolution a donné aux Nubiens des ailes et ils ont manifesté il y a quelques mois contre leur gouverneur pour réclamer le droit de revenir sur leurs terres spoliées lors de la construction du Haut-Barrage. Pour l’activiste Aboul-Ezz Al-Hariri, les habitants du sud manifestent en général pour des questions d’ordre local. La même chose, continue-t-il, se dit pour certains gouvernorats ruraux situés entre le nord et le sud et qui n’ont bougé que poussés par d’autres cherchant certains profits, comme les groupes islamistes. « Cependant, je suis tout à fait d’accord sur le fait que tous les Egyptiens avaient besoin de cette révolution, et la différence entre leurs réactions dépend de la manière dont on les sensibilise politiquement », dit Al-Hariri. Un an après, le sort de la révolution n’est pas encore définitivement joué.

Hanaa Al-Mekkawi

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Howaïda Salah -Héba Nasreddine
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.