Un an après sa mort, l’on se souvient des vers de
Mohamad Afifi Matar
qui ont déploré « le train de cendres qui combat les
coups de fouets » dans un royaume de désespoir et n’ont pas
pu atteindre le printemps. Voici quelques vers de son
recueil Rossoum ala qechrat al-layl (dessins sur l’écorce de
la nuit).
Dessins sur l’écorce de la nuit
Royaume du désespoir
Patrie du séjour éternel
-1-
Sur la terre du cœur tremblant et nu
Je marche tremblant à travers les champs de sang
Et un sombre parfum vient se poser sur moi et me fait
suffoquer.
Ces arbres noirs
M’ont donné pour nourriture les fruits de la douleur
Et la corbeille de mon âme s’est remplie de fruits amers.
Quand j’ai dansé seul et que le rythme fut régulier
Le cliquetis des arbres noirs s’est déchaîné
Sur la pluie des désirs et des corps
Et des arcs-en-ciel s’ouvraient
Le jaune est un soleil sauvage
Et le vert est une lune qui monte dans les nuages
rougeoyants.
Les arbres font tressaillir les fleurs
Des yeux barbares s’ouvrent
Ils me dévorent, ils me crachent,
Et les corps de cristal
M’ouvrent une fenêtre sous le ciel du monde.
A travers les champs du cœur las
Je suis bercé par la lumière qui tourne à la source de
l’astre
Et la mort jaillissant avec des rêves et des secrets
Des nuages noirs se répandent de ses seins empoisonnés.
-2-
Je suis le mendiant de la nuit, son gueux nu,
Sur ma face les chemins du monde se croisent au milieu de la
nuit
La porte s’ouvre et un être humain me lapide
Elle se referme et les ténèbres et les lumières déchirent
mon cœur
Alors je cherche ma voix folle …
-3-
Une cloche d’argent sur l’esplanade,
Le rossignol est dans la cage de la nuit
Les voix égorgées se rencontrent
Sur le pont enchanté les chevaux des échos se rencontrent
Ils livrent une bataille et enfoncent leur poignard dans le
cœur.
Entre le mouvement et la cadence
Le désespoir m’a fait tomber un masque, puis un autre
masque,
Et la danse qui monte des soupirs du cœur
S’effondre dans le séisme de l’harmonie.
Entre les ténèbres et les lumières
Mon épi vert s’est brûlé, et la lampe des secrets s’est
éteinte
Et mon cœur a pris pour patrie la terre de la désespérance.
20-10-1967
Train de la fournaise et des cendres
Le train des cendres qui lèche la chaleur brûlante fait
ployer la voie du jour
Et passe avec le tourbillon de la terre abreuvé par l’été
des champs
D’un feu attisé combattant des coups de fouets.
Le vacarme monte
Et la cravache du feu vibre dans les vitres
Et les poids de mon corps s’exténuent, les deux bras et les
flancs meurent,
Le scalpel de la neige et de la mort le fait avancer, il
décline, chaque membre suivant chaque organe,
Et dans la vigueur du feu de l’enfer un spectre tremble,
venu de toi,
Les fouets du vacarme terrestre s’éloignent
Je me réfugie dans l’ombre de tes yeux, entre les champs,
Je vois à travers tes yeux la naissance d’un cosmos
Et la fontaine de l’abondance l’arrose de vin et de sérénité
Ô toi, limon de mon cœur, j’ai effleuré tes yeux pour que je
voie
La naissance de la terre, alors j’ai pâli,
J’ai senti la neige pénétrant à travers mes os
Et le feu … le feu dévastant ma tête.
Et le train des cendres court toujours, il lèche la chaleur
brûlante
Sous le jour …
Le cheval et la montagne
Premier poème
Le cheval du vent, à travers le désert du commencement et de
la création,
A appris la danse de l’éclair
Et le roulement des tempêtes et des soleils verts d’une
racine à l’autre
Et l’explosion des lignes muettes dans le cahier du tonnerre
divin …
Une course dans les déserts brûlants
Et les jarres de la première boue se sont déversées
Sur ses flux des villes et des coupoles se sont dressées
Et les sources ont jailli avec l’huile et le vin
Son hennissement a tiré la corde sacrée dans les nuages
blancs au-dessus de la terre.
Le cheval du vent a pénétré dans les flots de la mer
Et les soleils des herbes, du soufre et de l’azur se sont
embrasés
Les mâts bleus ont donné des fleurs
Les fioles ont été remplies de l’huile
Et mille ports se sont ouverts et les fontaines ont jailli
de la lumière.
Le cheval du vent est passé par là et s’est attardé un
moment parmi les arbres des jardins
Une grappe de fruits n’a pas assouvi sa faim
La coupe du pollen spirituel ne l’a pas enivré
— C’était une des saisons de la faim —
Il s’est roulé un moment dans la boue et ses pieds
tressaillaient dans la bourbe de la terreur,
Il a fait un cercle autour des herbes sèches parasites.
Le cheval du vent est passé à travers les portes de la
défaite
Vers la terre du silence des steppes fabuleuses de
l’égarement
Le cheval du vent s’est enfoncé, au fond des gouffres de la
montagne,
Et les rochers l’ont emprisonné,
Il a écouté les cantiques éthérés.
Il cherche les lueurs des éclairs de son ciel de chants
Il a henni, pourrait-il retrouver les choses oubliées dans
les cahiers du tonnerre ?
Et danser la danse divine de l’éclair …
Second poème
Dans les champs de pierres
La nuit a planté des racines bohémiennes
Et des légendes de chants nomades
Et les vignes éternelles au cœur du rocher se sont
irriguées.
Dans les champs de pierres
Les jardins sont le poumon de la terre
Et des veines ont été plantées dans les villes du silence
Pour faire couler dans leurs ténèbres le vin des feux.
Qu’entend maintenant le cheval de l’éternité ?
Qu’a-t-il à courir entre les veines des montagnes
Provoquant des étincelles au nerf de la terre
Les veines ont frissonné, tantôt tendues, tantôt détendues,
Leur frisson a fait tressaillir les édifices de la terre mur
après mur
Et les restes des ruines du temps muet et de la terreur ont
tremblé
Ils ont penché, dans une longue attente, ils ont perçu le
premier tremblement de terre.
Ô cheval de l’éternité
Enfonce les veines de la terre pour que brûle la terre
Et que le sang verdisse
Enfonce-toi dans le nerf du monde et galope sur les racines.
Troisième poème
Je suis venu, comme en portant une charge d’héritage, comme
étant régenté par la loi dans mon sang,
La vieillesse de l’époque a attisé son feu sidéral
Les mots de la nature se sont embrasés
Et le silence m’a nourri du pain du malheur.
Je suis venu comme étant chassé par des volontés
De la mer et des voies de l’abîme
La naissance du tonnerre, entre les veines profondes, m’a
arrêté.
Traduction de Suzanne El Lackany