Al-Ahram Hebdo,Société | L’apprentissage de la politique

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 Semaine du 3 au 9 août 2011, numéro 882

 

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Société

Société . Depuis la révolution du 25 janvier, la politique est devenue le sujet de prédilection des Egyptiens. Au sein des foyers, les différends se multiplient et les disputes conjugales s’exacerbent. Témoignages.

L’apprentissage de la politique

Elle est partie à la place Moustapha Mahmoud pour crier son soutien à l’ex-président déchu, Moubarak, le lendemain de son célèbre discours où il avait annoncé qu’il n’avait pas l’intention de se représenter aux élections présidentielles et que son seul souhait était de « mourir sur cette terre ». Son mari, lui, était au même moment à la place Tahrir. Cela faisait 16 jours qu’il n’avait pas quitté le lieu en attendant le départ de Moubarak et la chute du régime. Chahira, traductrice de 38 ans, a rejoint le groupe Facebook « Pardon M. le président ». Tamer, son époux, médecin de 42 ans, a participé à un autre groupe sur le même site sous le nom « Moubarak, je ne te pardonnerai jamais ».

Et lorsque le procureur général a annoncé que Moubarak sera transféré en justice et qu’il est impliqué dans le meurtre de centaines de manifestants à la place Tahrir lors du vendredi de la colère, Chahira ne pouvait pas y croire et voulait rendre visite à l’ex-président qui séjourne actuellement à l’hôpital de Charm Al-Cheikh pour lui demander pardon.

Tamer, lui, voit les choses différemment. Il fait partie d’un groupe d’activistes qui veulent que Moubarak soit également condamné pour d’autres crimes tels que la mort de milliers d’Egyptiens chaque année à cause du cancer et de l’hépatite C, à cause de la nourriture et de l’eau polluées. Et ce, sans compter les 1 034 personnes qui ont trouvé la mort lors du naufrage du ferry Al-Salam. Un naufrage dû à la négligence.

Depuis le déclenchement de la révolution du 25 janvier, les discussions politiques animent le foyer. Tous les débats se terminent en dispute. « Je pense que Moubarak a été victime de ses fils, sa femme, des hommes politiques et des hommes d’affaires qui l’entouraient. Ce sont eux seuls qui doivent payer le prix », lance Chahira. Des paroles qui ne font qu’énerver son mari qui pense que Moubarak « n’a aucune excuse ». « La corruption était partout, les richesses du pays ont été pillées. S’il se sentait incapable de gérer le pays, il n’avait qu’à partir », réplique Tamer.

La position vis-à-vis de l’ex-président n’est pas le seul sujet qui divise les foyers égyptiens. Dans la même famille, les avis et les positions divergent sur d’autres aspects et événements politiques qui font l’actualité. Pour ou contre la condamnation de Moubarak, pour un régime militaire ou un régime civil, pour ou contre un Etat laïque ou islamiste, les discussions vont bon train dans chaque domicile. Et les avis divergent … Certains foyers ressemblent à un champ de guerre.

En effet, le peuple égyptien ne s’intéressait pas beaucoup à la politique. Il était plus penché sur ses besoins quotidiens. Pourtant, aujourd’hui, les choses sont en train de changer. La politique s’impose au quotidien des familles égyptiennes. Pour la première fois, les Egyptiens s’adonnent à ce jeu et sont convaincus qu’ils peuvent jouer un rôle dans l’avenir de leur pays. Et la famille n’est qu’un microcosme d’une société qui connaît beaucoup de changements en ce moment et qui est surtout avide d’exercer un rôle et de s’exprimer.

Bien avant les élections parlementaires, et alors que la nouvelle loi électorale n’a pas encore été promulguée, les discussions autour des candidats vont bon train. On est chez Ahmad, 70 ans. On a l’impression d’assister à une campagne électorale. Ce fonctionnaire à la retraite pense que les candidats des Frères musulmans ont plus de chance lors des prochaines législatives. Sa femme, Mahassen, 63 ans, fait tout pour que cela ne devienne pas une réalité. Elle a décidé d’adhérer au parti des Egyptiens libres, fondé par l’homme d’affaires copte Naguib Sawirès et prônant des idées libérales. Chez eux, chaque discussion politique se transforme en véritable querelle. Et la situation atteint son apogée lorsque le couple aborde la nature de la prochaine période. « Mon mari pense que je refuse l’accès des islamistes au pouvoir car ils vont nous imposer le port du voile. Pour moi, c’est une vision très superficielle des choses. Car ce n’est pas le voile qui m’inquiète, mais tous les autres changements qui seront introduits. Leur langage, leur discours, et même leur regard m’angoissent. J’ai l’impression qu’ils veulent transmettre un certain message même s’ils font tout pour prouver qu’ils sont ouverts d’esprit », avance Mahassen. Cette dernière est issue d’une famille d’hommes d’affaires et a fait son éducation dans une école religieuse. « J’ai été élevée dans une école de sœurs et j’avais des liens très étroits avec mes enseignants et camarades coptes. Ça ne me dérange pas si le futur président d’Egypte soit copte. L’important c’est qu’il ait une vision pour la reconstruction du pays », explique Mahassen.

En zappant sur les chaînes satellites, le couple ne peut s’empêcher de parler politique. Ahmad voit que sa femme a une manière de raisonner très stéréotypée vis-à-vis des islamistes et qu’elle est fascinée par tout ce qui vient de l’Occident. « Je lui donne l’exemple de la Malaisie, qui a réalisé un grand progrès dernièrement sous un régime islamique. Cela fait des années que nous balançons entre gauche et droite. Donnons la chance aux islamistes et ensuite jugeons-les », lance Ahmad. Des discussions qui se terminent mal et qui allaient mettre fin à un mariage qui a duré plus de 35 ans. Aujourd’hui, pour éviter ce genre de conflit, le couple a décidé de ne plus partager la même chambre, surtout lorsqu’il s’agit de suivre l’actualité sur les écrans de télé.

Le droit de s’opposer

Chez Fatma et son mari, la situation est encore pire. Galal, le mari, a dû envoyer sa femme chez ses parents durant les 20 jours qui ont suivi la chute du régime, car Fatma a tout simplement osé rejoindre les rangs des manifestants à la place Tahrir. « Ma femme ne travaille pas. Elle n’a jamais quitté le foyer sans ma permission. Mais lors de la révolution, c’était une autre personne. Elle a participé à tous les vendredis. Et le vendredi du départ allait être le vendredi de son départ à jamais de la maison », s’indigne Galal, qui a interdit à sa femme depuis ce jour de s’approcher de la politique.

Le phénomène n’inquiète pas les observateurs. « Cette situation est tout à fait normale. Cela fait plus de 30 ans que nous vivons sous un régime autoritaire. Nous avons fait une révolution et nous faisons nos premiers pas vers la démocratie. Ces divergences ne sont qu’une conséquence normale, un premier pas vers une liberté d’expression dont nous étions privés », assure l’écrivaine de gauche Farida Al-Choubachi, qui était présente avec son fils de 45 ans et son petit-fils de 18 ans à la place Tahrir. Elle poursuit : « J’ai été très contente quand mon petit-fils s’est opposé à mon analyse politique des événements. C’est à ce moment seulement que j’ai senti qu’un changement réel est en train de prendre place dans notre société », commente Choubachi.

Elle est convaincue que la jeune génération qui a fait cette révolution est plus capable de déterminer son avenir. Un avis partagé par le socio-politologue Ahmad Yéhia, pour qui les Egyptiens ne sont pas habitués à la culture de la divergence. Il qualifie cette période de transition d’« adolescence politique ». Ce qui explique pourquoi les réactions des individus, même au sein de la même famille, peuvent être très violentes.

Chérine et sa sœur Samar ont des avis contradictoires à l’égard de la révolution. Chérine, qui travaille comme journaliste, a dû boycotter sa sœur et son beau-frère durant la révolution, car cette dernière l’a accusée de soutenir Moubarak sous prétexte qu’elle tirait profit de sa présence au pouvoir, puisqu’elle était proche de cet univers. Samar ne pouvait pas pardonner à Moubarak, responsable, à son avis, de la mort de son père à cause du cancer. « Ce sont les engrais cancérigènes importés par les corrompus du ministère de l’Agriculture qui ont causé la mort de mon père », crie Samar, directrice d’une école et sœur de Chérine, tout en la bombardant de reproches de toutes sortes.

D’après Madiha Al-Safati, professeur de sociologie à l’Université américaine, la démocratie est une culture qui se développe graduellement et qui doit toucher à tous les domaines de la vie. « Les familles égyptiennes n’ont pas été habituées à la culture du dialogue. Il est normal que l’on passe par de telles périodes de confrontations et on arrivera évidemment à une maturité politique », analyse-t-elle.

Sur Facebook, une autre bataille a été déclenchée cette semaine entre Salma et son frère. Ce dernier est l’un des membres de la campagne électorale soutenant l’accès de Baradei au pouvoir. Salma, elle, voit que c’est une personne qui ne connaît rien du pays et qui nous vient de l’étranger. « La Constitution américaine exige que le président du pays ait passé au moins cinq ans continus dans son pays. ElBaradei est un président importé », révèle Salma. Elle prône l’ex-premier ministre Ahmad Chafiq comme futur président et lui a rendu visite parmi un groupe de ses fans sur Facebook. Une position qui semble choquer son frère, qui considère que toute personne ayant appartenu au régime de Moubarak doit être exclu de la scène politique. « ElBaradei est le premier à avoir lancé dans la société l’idée du changement. Il est venu pour assister aux manifestations lors du vendredi de la colère alors qu’il était menacé d’être arrêté », se justifie Loäy, le frère, professeur à l’université.

Pour éviter toute confrontation, ces frère et sœur préfèrent aujourd’hui que l’échange d’avis se déroule uniquement sur Facebook. Lors des réunions familiales, le père, professeur à la faculté de droit, a décidé d’interdire tout débat politique lorsque ses enfants sont présents chez lui. Salma et Loäy ont réussi à arriver à un compromis. « Chacun de nous a le droit de s’exprimer, de soutenir le candidat qui correspond à ses idées, mais pas d’insultes », confie Salma. Un pas réel vers une démocratie au sein d’un foyer égyptien .

Dina Darwich

 




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