Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Au goût de la révolution

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Labib Al-Sebai
 
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 Semaine du 3 au 9 août 2011, numéro 882

 

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Nulle part ailleurs

Ramadan . C’est le premier après la révolution du 25 janvier. Il s’annonce très chaud. L’actualité et les événements politiques en font un mois exceptionnel. Petite virée.

Au goût de la révolution

C’est la star de l’été. Le Ramadan 2011 est caniculaire avec des températures qui avoisinent les 42°C. Les corps et les esprits sont de plus en plus amorphes et paresseux. Les spécialistes de la météo ont prévu un Ramadan plus chaud que les années passées vu qu’il tombe cette fois-ci au début du mois d’août. De quoi déclarer l’état de canicule. Tout au long du mois de juillet, Le Caire brûlait sous le feu d’un soleil accablant. Presque sans répit. A croire que le disque solaire s’y est rapproché un peu plus. On dirait même l’enfer. Mais en plus du climat, ce sont les esprits qui sont surchauffés à cause des événements politiques. Et pourquoi pas ? N’est-ce pas le premier Ramadan venu après la révolution du 25 janvier ? Un Ramadan post-révolutionnaire qui s’annonce chaud et différent de par son actualité, ses événements politiques successifs, ses sit-in et ses manifestations de million.

Le marché des dattes situé dans la ville d’Al-Obour, à la périphérie du Caire, est d’habitude pris d’assaut par des clients appartenant à toutes les classes sociales durant les premiers jours du mois sacré. Cependant, les prémices du Ramadan s’annoncent mal dans ce souk habituellement bondé. Les vendeurs de dattes chassent les mouches. A l’entrée, les commerçants ont installé leurs marchandises. Des tas de dattes empilés sur des étalages ou dans d’énormes sacs en toile sont exhibés aux clients. « Révolution, martyrs, armée. Nous avons aussi des dattes Facebook, Twitter et Tahrir », tels sont les nouveaux noms donnés aux différents genres de dattes noires, rouges, jaunes ou marron par les marchands pour attirer les clients et promouvoir leurs produits.

En fait, depuis quelques années, les variétés de ce produit portent les noms de personnalités publiques. Une tradition qui se perpétue et qui révèle une implication politique et une certaine conscience chez les commerçants.

Les dattes aux noms de la révolution

Mais cette année, les noms sont inspirés de cette révolution qui a changé le visage du pays et bouleversé le trône des symboles du pouvoir.

Les noms des personnalités politiques, les vedettes et les stars du football comme Obama, Abou-Treika ou Haïfaa Wahbi ont cédé leur place à d’autres. « Les chohada (martyrs) est le nom attribué à une excellente variété de dattes. C’est la plus chère. Elle se vend à 30 L.E. le kilo et se caractérise par sa couleur sombre, son aspect moelleux et sa taille moyenne. Les dattes Armée sont très sucrées et d’une grande taille. Leur prix atteint les 25 L.E. alors que les dattes Révolution se vendent à 15 L.E. le kilo. Al-Adely (nom de l’ex-ministre de l’Intérieur Habib Al-Adely) est attribué à la plus mauvaise variété de dattes vendue à 2 L.E. le kilo. S’il y avait une variété infecte, elle aurait sans doute porté son nom », explique Ibrahim, un marchand de dattes. Et ce, sans compter les dattes du tycoon de l’industrie du fer Ahmad Ezz, actuellement en prison.

Ibrahim explique que non seulement le changement a touché les surnoms mais aussi les prix ont grimpé pour atteindre une hausse de 35 %.

Autre scène, autre image. Au quartier de Sayeda Zeinab, l’éclairage et les couleurs des lanternes accueillent les visiteurs. Ici, l’ambiance et les aspects du mois sacré sont omniprésents avec le yamich (fruits secs) et les fawanis (lanternes) qui s’étalent à perte de vue. Dans tous les coins du quartier, notamment aux alentours de la rue Al-Sad, des vendeurs ambulants, qui auparavant ne pouvaient écouler leurs marchandises sur les trottoirs qu’en payant des dessous-de-table au policier de passage, sont aujourd’hui partout. Révolution oblige, ils exposent de nouvelles lanternes en forme de char ou avec les couleurs du drapeau égyptien avec différents calibres, dessins et avec des chansons patriotiques de l’actrice Chadia et Mohamad Mounir. Leur prix varie entre 60 et 120 L.E. « Nous n’avons plus peur. Nous pouvons gagner notre pain sans que personne ne le partage avec nous », lance Abbass, vendeur de lanternes. Et Bien que ces marchands souffrent de la récession, ils affirment que le Ramadan 2011 est exceptionnel. « Il est vrai que les clients ne sont pas nombreux, car les têtes sont ailleurs. Tout le monde est sur le qui-vive, préoccupé par les manifestations et ce qui va se passer à la place Tahrir. Mais plusieurs parents tiennent quand même et malgré la crise économique qui a touché les familles à en acheter, les parents tentent tant bien que mal d’apporter la joie au cœur de leurs enfants. Ils leur achètent une nouvelle lanterne. Il ne faut surtout pas rater le fanous d’al-sawra (la révolution) », explique Ali, un autre vendeur.

Pour Ali, ce Ramadan a un autre goût merveilleux parce qu’il vient après une très longue attente qui a duré environ deux décennies de peur, d’oppression, de mutisme et d’injustice ... « Enfin, nous respirons l’oxygène de la révolution et l’air de la liberté », dit-il.

Disparition des tables organisées par les caciques du régime

L’autre grande caractéristique de ce Ramadan 2011, ce sont les tables de charité organisées aujourd’hui par les citoyens simples, les associations caritatives et quelques hommes d’affaires. Ces tables, que dressaient autrefois avant la révolution des stars, des hommes politiques et des députés du PND pour faire de la propagande électorale, semblent avoir maintenant un peu reculé. C’est normal car plusieurs hommes d’affaires et députés ont été emprisonnés ou sont épinglés par la justice qui enquête sur leurs revenus. Ils préfèrent se faire tout petits.

Personne ne peut oublier les files d’attente qui se formaient autour de la table gigantesque de Fathi Sourour, ex-président du Parlement, dressée au quartier de Sayeda Zeinab. Elle recevait quotidiennement un millier de citoyens invités à prendre un iftar délicieux. Hassan Fathallah, fonctionnaire et habitant du quartier, qui avait l’habitude de fréquenter la table luxueuse de Sourour, s’inquiète de son sort pour ce Ramadan. « J’ai une famille nombreuse et je touche un salaire mensuel de 250 L.E. Je ne peux pas acheter de la viande, même lors des fêtes, vu sa cherté. Autrefois, sur la table de Sourour, on nous présentait des repas différents : de la viande ou du poulet avec du riz, des légumes et de la salade verte. Il y avait aussi de la viande grillée et du poisson, sans oublier les boissons, les fruits et les desserts. Ce voleur nous offrait des repas avec notre argent qu’il a volé », se souvient Hassan. Il pense aller avec sa famille à la place Tahrir, car on dit que les tables de charité y seront dressées tout au long du mois.

Les Frères musulmans participent à cette action

Mais, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Certains activistes de tendance islamiste ont l’intention de profiter de cette nouvelle ère de liberté. Depuis quelques années, dresser une table de charité requiert une autorisation préalable des autorités. « Ils nous mettaient les bâtons dans les roues et nous empêchaient d’organiser des tables de charité, même dans les jardins, sous prétexte qu’elles entravaient la circulation, alors que les tables du PND occupaient les rues et les places publiques et personne ne disait rien », confie Abdel-Rahmane Abdallah, un membre des Frères musulmans. Et d’affirmer que lorsque les Frères parvenaient à organiser une table de charité, celle-ci était supervisée par des policiers. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Les salafistes ne manquaient pas de signer présent soit en dressant des tables de charité ou en distribuant des sacs de provision appelés « sac de la révolution ». Une bataille qui bat son plein à la grande joie des gens défavorisés. « Le meilleur de vous est celui qui se rend le plus utile aux autres », rétorque Abdel-Rahmane, en citant le hadith du prophète : « Que Dieu accepte nos bonnes actions ».

Or, si le quartier de Sayeda Zeinab était réputé par la table fastueuse de Sourour, celui de Mohandessine l’était aussi par celle de la mosquée Moustapha Mahmoud. Cette table, qui servait autrefois 13 000 personnes quotidiennement, arrive à peine aujourd’hui à distribuer un millier de repas. Manque de donations à cause de la crise économique ou mauvaise réputation de la place comme étant le lieu de rassemblement des sbires de l’ancien régime.

Kamal Moustapha est propriétaire d’un magasin de vêtements dans le quartier de Mouski. Il a organisé pendant environ une dizaine d’années une table pour 250 personnes par jour. Cette année, il n’a pas pu assurer cela, faute de moyens. La crise financière s’est répercutée avec force sur les dons versés aux mosquées, aux orphelins et aux associations caritatives qui ne cessent de lancer d’appels à travers la télévision pour mobiliser les bienfaiteurs à faire sortir leur zakat durant ce mois sacré. Sans oublier le Facebook et les groupes de tous noms qui ont tous en commun le mot Ramadan … et qui encouragent les gens à faire des œuvres de charité. On en compte une centaine de groupes. « Cartons de la révolution », « Sacs du bien », « Un sac pour une famille en besoin » ... Les slogans ne manquent pas, les conseils et instructions non plus. Le sac contenant 2 kg de riz, 1 kg de sucre, 1 kg de beurre, 1 bouteille d’huile, 500 gr. de raisins secs, 1 boîte de tomate concentrée, 500 gr. de dattes, 1 kg de lentilles et 2 kg de pâtes coûte 65 L.E.

L’autre caractéristique du Ramadan 2011 : la grille des programmes télé. Retard dans les tournages, annulation de projets de feuilletons, report de tournage, retrait d’annonceurs et des scénarios à réadapter ... Selon Walid Aboul-Séoud, critique d’art, les revenus des stars ont connu cette année une baisse de 50 %. Durant le Ramadan, mois de concurrence, la donne a sans doute changé. « Cette année, le nombre de feuilletons ne dépassera pas les 20, contre plus de 90 l’année dernière », confie Aboul-Séoud. Tareq Nour, propriétaire d’une agence de publicité et d’une chaîne satellite qui travaille seulement durant le mois du Ramadan, assure que les feuilletons ont été gravement touchés par la baisse des publicités. De son côté, le département de production à la Télévision égyptienne a déjà annulé le contrat de quatre feuilletons prévus durant ce Ramadan. S’ajoute à cela la fameuse « liste noire » des acteurs qui ont tenu jusqu’au dernier moment à défendre la famille Moubarak. Les téléspectateurs ont menacé de les boycotter à cause de leur position vis-à-vis de la révolution. Les producteurs, acteurs et annonceurs crient à la catastrophe. « Dans cette grille du mois du Ramadan, il y a d’une part les feuilletons qui s’adaptent aux révolutions arabes, des émissions politiques et de divertissements en pôle position. Un choix que les producteurs n’hésitent pas à mettre en avant non pas par manque de productions cinématographiques mais pour répondre, selon eux, à une conjoncture politico-sociale qui nécessiterait une continuité du débat. Et, d’autre part, des émissions divertissantes pour apaiser les tensions », assure Nour.

Samira, une femme au foyer qui restait autrefois figée devant son petit écran durant le mois du Ramadan, espère pouvoir boycotter la télé cette année. « J’essaierai de passer un bon Ramadan sans feuilletons et consacrer mon temps aux prières et à la lecture du Coran », confie-t-elle, tout en ajoutant que même sa famille a boudé la télé depuis la révolution du 25 janvier. Son agenda a été complètement changé : le mari ne rate aucune manifestation à la place Tahrir, le fils participe à un sit-in devant le Conseil des ministres et la fille rejoint une grève des infirmières devant l’hôpital Qasr Al-Aïni.

Et si la famille de Samira a insisté pour rester au sein des événements brûlants, celle de Nagwane a décidé de passer une bonne partie du Ramadan dans la fraîcheur, au bord de la mer et loin de la tension et de la chaleur. « Il fait trop chaud au Caire. Comment donc jeûner près de 17 heures d’affilée dans cet enfer ? C’est vraiment une rude épreuve », dit Nagwane. Rien à dire : A Porto Marina, un calme olympien règne sur les plages. Les façades de Chilis, Carino’s et Studio Misr sont garnies de fanous et d’affiches promettant des mets d’iftar et de sohour bien délicieux. C’est un paysage idyllique avec les yachts, la musique occidentale qui fuse de partout, des tables en forme de balançoires, des places avec vue sur la mer. Une ambiance qui promet un iftar au goût différent. Par ailleurs, il y a des tables de charité, des cours de religion, mais aussi des soirées musicales. Le Ramadan est différent à la Côte-Nord. On a l’impression que la révolution égyptienne n’est pas arrivée à Marina. Un Ramadan auquel la révolution a donné un cachet pas comme les autres, mais qui reste quand même fidèle aux traditions.

Chahinaz Gheith

 




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