Les instants fugitifs, les
contemplations et les portraits qui forment les toutes petites nouvelles de Chérif Abdel-Méguid sont fortement marqués par sa
passion pour l’image cinématographique, mais aussi pour l’écriture concise de
la blogosphère. Voici quelques fragments de son recueil de nouvelles Al-Garima
al-kamela (crime parfait).
Crime parfait
1
Aux aguets
Le
barbier qui me poursuit du regard en allant et en revenant du travail me
regarde de la pointe de ses yeux de derrière ses lunettes que cale le gros os
de son nez. Il suit la poussée de mes cheveux calmement comme un chasseur
adroit. Lorsque je vais chez lui, je le retrouve riant d’un rire sûr de lui
comme s’il avait fait le pari que j’irais le voir en ce jour précisément. Il
pousse ses lunettes en arrière avec son index et presse sur le derrière de mon
crâne. Raison pour laquelle je n’ai jamais regretté de l’avoir tué avec les
mêmes ciseaux qu’il utilise et de lui sortir les yeux des pupilles comme preuve
de mes remerciements pour sa bonne action.
2
Pointure 36
Pour
des raisons strictement sexuelles, j’aime les femmes qui ont de petits pieds,
mais pas comme ce fou du film Something About Mary. Avec tous mes respects pour
notre mère Nature et ses étranges actions, je ne peux absolument pas m’imaginer
aimant une femme dont la pointure du pied est le 46 ou ayant des oignons au
pied comme ma collègue au boulot. Je vais te faire part mon ami de l’un de mes
petits secrets pour que tu saches l’étendue de mon amour la femme ne découvre
jamais ses pieds pour toi que dans ton appartement ou le sien ou dans l’endroit
où vous vous rencontrez. Je parle ici évidemment de ses pieds dont les orteils
ressemblent aux touches de piano. Tu ne regretteras pas si tu les embrasses et
tu seras heureux de terminer ce que tu as commencé.
3
Cinéma Isis
Lorsque
le gosse pénétra pour la première fois dans la salle de cinéma muni de toutes
les armes nécessaires, le paquet de cigarettes dans les chaussettes et le
paquet de pépin dans la poche, il s’attendait à visionner quatre films en un
seul programme. Il sentit qu’on s’était moqué de lui lorsque les lumières
s’éteignirent et qu’on changea le film pour lequel il avait pris le billet
d’entrée. Mais il ne perdit pas beaucoup car l’héroïne turque avait entrepris
son acte délicieux avec tous les comédiens et n’avait pas regretté d’avoir agi
de la sorte comme dans les films égyptiens.
4
Des traces secondaires
Le
voici qui avait été sauvé de la mort par miracle alors qu’ils l’avaient compté
parmi les morts et son dernier caillot de sang n’avait laissé que quelques
traces secondaires comme le fait de ne plus pouvoir parler, de ne plus bouger
et de ne pas se souvenir des événements de sa vie, qu’ils soient importants ou
futiles. Il fallait uniquement surveiller les ulcères du lit pour que les
mauvaises bactéries ne le rongent pas et ainsi que les champignons résultant de
cette position étendue qu’il gardera le restant de sa vie.
5
Indigestion
Il
allait prendre conscience que l’indigestion sera sa maladie chronique à
laquelle il devra s’habituer. Plus son mal prendra de la puissance plus il se
souviendra de ses premiers jours lorsque ses pets bruyants étaient une raison
de joie pour sa famille alors qu’il était enfant. Maintenant, il lui faut les
contenir avec difficulté pour démontrer que c’est un homme vertueux. Il sera
sûr, à cause des médicaments nombreux contre les ballonnements qu’il porte sur
lui, qu’ils sont les seuls palliatifs et sa preuve d’être devenu un homme mûr.
6
Contre-révolution
La
voix était basse mais continue d’une manière qui le fit réfléchir à ce qu’il
pouvait y avoir dans la chasse d’eau. Il n’arrivait pas à se lever maintenant
de sa place et il n’arrivait pas non plus à ignorer ce bruit qui s’élevait. Il
arrêta ce qu’il faisait, porta ses vêtements et découvrit le couvercle. Les
sauterelles sortirent de partout, sautant dans toutes les directions. Il courut
rapidement alors que les sauterelles sautillaient comme si elles allaient le
tuer. Il se dirigea vers la terrasse. Il était impossible, mais les sauterelles
étaient à la terrasse ou dans la rue, dans le réfrigérateur ou sur l’asphalte,
dans la machine à laver. Heureusement que je n’étais pas encore fou. Nous
sommes mardi et je m’appelle Chérif, mais ce sont les sauterelles comme dans le
film de Thomas Anderson Mangolia qui agissent de manière folle. La seule
exception c’est que le ciel ne laisse pas encore tomber des sauterelles et
c’est ce qui laisse un peu d’espoir. Il trouva les sauterelles qui
pourchassaient les hommes dans la rue, les attaquaient dans les maisons et qui
conduisaient même les voitures. Mais pourquoi ne l’attaquaient-elles plus
personnellement ? Il découvrit enfin la raison. En fait, il sautait et laissait
percer des bruits forts comme des sauterelles actives qui recherchaient un
étang où vivre.
7
Un amour en cinq prises
Première prise
Leur
relation débuta en un instant où chacun d’entre eux fuyait une relation passée.
Ils voulurent être francs l’un avec l’autre, Mais ils se mentirent.
Deuxième prise
Ils
continuèrent à se tromper l’un l’autre.
Troisième prise
Chacun
d’entre eux découvrit son être.
Quatrième prise
Ils
continuèrent à essayer de nouveau et à ouvrir de nouvelles pages.
Cinquième prise
Ils
découvrirent que l’amour qui meurt par un arrêt cardiaque ne peut revenir à la
vie.
8
Rupture
La
cabine téléphonique va pleurer à chaque fois que quelqu’un d’autre essaierait
de l’utiliser. La route racontera aux passants ce qu’elle a vu, l’asphalte de
la rue dira sa colère et ses peines. Le signal de la route sera étonné en
découvrant l’un des deux amoureux alors qu’il circule seul.
9
Prédiction
Après
des échecs et des cassures infinis, tu vas trouver ta route personnelle. Mais
ton cœur sera atteint des petites blessures qui ne se cicatrisent pas. Tu
sauras alors que le temps qui te reste pour le bonheur est très restreint, mais
assez suffisant pour que tu meures de joie.
10
Amour
Au
dixième jour du coma, ils pleurèrent pour lui.
Au
cinquantième jour, ils ressentirent de l’ennui.
Au
centième jour, ils débranchèrent les fils.
11
Légende
L’arbre
qu’ils avaient sanctifié pendant des milliers d’années et dont ils racontent
l’histoire en des versions différentes, ne les avait pas touchés de malédiction
lorsqu’ils l’avaient arraché.
12
Divorce
Ils
prirent les cuillères et les couteaux, le butagaz, la machine à laver
automatique, le satellite, et le chauffe-eau. Tous les rideaux, les lustres,
les matelas, le mixer et les abat-jour, les deux pièces du salon et de la salle
à manger. Mais ils me laissèrent les moments intimes et les moments malheureux,
les photos du mariage, le fœtus mort au quatrième mois, les radios et les
prises de sang. Tout ce qui me permit de sentir que je n’avais pas beaucoup
perdu.
13
La page de nécrologie
Petit,
il ne trouvait aucun sens à la page nécrologique. A quarante ans, il y vit les
photos de beaucoup de ses amis. Maintenant, il avait 77 ans et il trouvait que
c’était la page la plus importante du journal.
14
Delivery
Personne
parmi les passants de la route ni les conducteurs des voitures n’octroya
d’attention au corps étendu de celui qui ramène les commandes aux maisons. Une
ambulance qui passait par hasard s’arrêta devant lui, mais elle portait un
malade. Le conducteur appela le numéro gratuit du restaurant où il travaillait.
Les roues de la moto continuaient à tourner en l’air et sur les côtés de la
boîte où on garde la nourriture était écrit :
Nous
nous qualifions de rapidité pour faire parvenir la nourriture.
15
Crime parfait
Le
deuxième coup mena à une blessure profonde dans le cœur, ce qui fait éjecter le
sang comme dans un jet d’eau de jeux au milieu d’une lumière jaunâtre diffuse
provenant du plafond. Tandis que les vingt-quatre coups suivants ne laissèrent
que des blessures profondes ou superficielles et quelques cicatrices légères. On
pourrait imaginer que le vol était le motif principal. Pourtant, ce qui les
étonna le plus c’est ce qu’avait prouvé le médecin légiste à savoir que l’homme
tué était mort d’une attaque cardiaque lorsqu’il avait vu le couteau élevé
devant lui.
16
Une relation
Premier feuillet
Si tu
viens l’après-midi de la télé, tu vas trouver la nourriture chaude, je vais
être chez maman comme je te l’ai dit. Si tu restes avec tes amis au
centre-ville et que tu ne viens que le soir, enlève la nourriture dans le
frigidaire et ferme le moteur après ton bain. Ne laisse pas allumé comme
d’habitude et éteins le réchaud. Fais gaffe, je ne vais pas pouvoir te
téléphoner ou t’envoyer des messages parce que mon téléphone portable a un
problème d’écran. Je l’arrangerai en rentrant. (Je t’aime beaucoup).
Deuxième feuillet
Joyeux
anniversaire. Je ne pourrai pas fêter avec toi ton anniversaire, j’ai du
travail à Alexandrie et peut-être que je vais y passer la nuit … Dis-moi ce que
tu penses des fleurs.
Traduction de Soheir Fahmi
Chérif Abdel-Méguid
Est né au Caire en 1971. Il est diplômé de la faculté de commerce extérieur de l’Université de Hélouan en 1993. Il a ensuite assisté à de nombreux ateliers d’écriture de scénario et s’est lancé dans l’écriture de scénario de documentaires, de courts métrages, mais surtout de programme télévisés de renom comme celui de Assir al-kotob (l’essence des livres). Il a commencé par l’écriture d’une pièce de théâtre Concerto al-zawguein (le concert du couple) aux éditions de l’Organisme général des palais de la culture en 2003. Puis a publié 3 recueils de nouvelles dont Khedmet ma baad al-bie (service d’après-vente) aux éditions Merit qui a été décoré par le 1er prix Sawirès pour la nouvelle égyptienne en 2008. Et Al-Garima al-kaméla (le crime parfait) aux éditions Dar Nahdet Misr en 2011. Et chez le même éditeur, un roman Farq al-tawqit (décalage horaire) également en 2011. Abdel-Méguid est doué pour la photographie et on lui a déjà consacré quatre expositions.