Prix booker du roman
arabe .
Les maisons d’édition égyptiennes ont entamé le marathon des
candidatures pour la 5e édition. Elles misent sur la
nouvelle donne de l’après-25 janvier pour voir un de leurs
romans primé.
Peut-être une occasion pour l’Egypte
«
La révolution n’est pas encore terminée », répète Fatma Al-Boudy,
directrice de la maison d’édition Al-Eïn.
Atténuant ainsi l’impact de la révolution sur les choix de
sa maison. « Je pense qu’un bon roman sur la révolution du
25 janvier n’a pas encore eu le temps de se cristalliser
dans la conscience et l’esprit d’un écrivain ». Al-Eïn
a choisi trois romans dont Al-Ahd
al-guadid (la nouvelle époque),
au titre révélateur, du romancier Khaled Al-Béry.
Un nom déjà retenu dans la présélection du
Booker de l’an dernier qui
comprend 6 nominés, pour son roman
Raqsa charqiya (danse
orientale), relatant la « démission » d’un jeune d’un
mouvement de l’islam politique. Le second roman présenté par
Dar Al-Eïn vise également un
écrivain sélectionné parmi les 16 meilleurs romans nominés
en 2009, Ezzeddine
Chokri Fisher, qui présente
cette année Enaq end
guisr Brooklyn (étreinte sur le
pont de Brooklyn).
« Mais on peut trouver une majorité de romans critiquant la
situation sociopolitique sous le règne de l’ex-président.
Surtout la pauvreté, l’ignorance, la maladie et la
corruption. Avec quelques prédictions, selon lesquelles
cette situation pénible ne peut continuer et que quelque
chose arrivera pour bouleverser ce régime », reprend Fatma
Al-Boudy. C’est le cas du 3e
roman présenté par Al-Eïn,
intitulé Trois oranges mamelouks, de l’écrivain nubien
Haggag
Adoule. Il laisse entendre en 4e de couverture que «
l’Egypte bénie se développe rapidement sous le règne d’un
sultan au pouvoir raisonnable et devient une puissance que
craint le proche et le lointain. Tandis qu’elle se détériore
beaucoup plus rapidement sous le règne d’un sultan injuste
et corrompu. Son peuple est donc maussade, sa richesse est
épuisée. L’Egypte sera une cible pour tout étranger envieux
». Et se demande à la fin du fragment si le peuple égyptien
manque d’effervescence et de colère, qui
pourrait bouillonner contre ses oppresseurs ?
Les nominations des différentes maisons d’édition
égyptiennes revêtent une importance majeure cette année.
Elles semblent donner un nouveau souffle au prix qui, après
sa première édition de mérite allant au grand romancier
égyptien Bahaa
Taher, est tombé dans divers
conflits. Dans ses trois éditions suivantes, le prix a
souvent été accusé de corruption et de complots de la part
des comités du jury. Des observateurs affirment que les
scandales qui ont accompagné les éditions précédentes ne
sont que l’image du champ littéraire dans le monde arabe
soumis au pouvoir politique de l’argent. De grands écrivains
égyptiens comme Gamal Al-Ghitani
et Radwa Achour ont refusé
l’année dernière de soumettre leurs romans au prix, signe
d’objection sur le degré d’objectivité du jury et du prix en
entier. C’est dans le contexte du printemps arabe que nombre
de maisons d’édition mettent leur espoir dans un nouveau
élan du prix et un climat de démocratie et d’anticorruption
qui prendrait place dans le monde arabe.
Le monde des animaux pour critiquer
Les nominations d’Al-Dar Al-Masriya
Al-Libnaniya sont également
liées au climat sociopolitique de la période d’avant la
révolution. Elle a choisi le roman
Zaman al-débaa (le temps
des loups), premier roman du conseiller
Achraf Al-Achmaoui et
dont l’action se déroule dans une forêt fictive indéfinie,
ses protagonistes sont tous des animaux. Le romancier a
utilisé le monde des animaux pour critiquer la réalité
puisque son roman plonge dans les coulisses de la
gouvernance avec ses corruptions, ses intrigues et ses
complots. En second, le roman Al-Atél
(le chômeur) de l’écrivain Nasser Iraq, traitant d’un
problème qui devient de plus en plus angoissant en Egypte :
le chômage, tout en s’inspirant de l’assassinat de la
chanteuse libanaise Suzanne Tamim,
dont passion, argent et corruption étaient les principaux
acteurs.
La maison d’édition Merit n’a
pas encore annoncé ses romans nominés pour le
Booker arabe. Par contre,
Mohamad Hachem, son directeur,
assure que la révolution n’influencera pas leur choix. « On
choisit les bons romans indépendamment de leurs sujets. Ils
peuvent être, par exemple, historiques, romantiques ou
sociaux », explique Hachem.
Tandis que la maison Al-Shorouk
ne révèle pas ses nominés avant l’annonce de la longue liste
en septembre prochain, la maison d’édition
Madbouli présente des romans aux
sujets diversifiés. Comme le roman social L’Ancien chanteur,
du romancier Sabri
Naïm, et le roman
Ramad onsa
(les cendres d’une femme), de la romancière yéménite Nada
Chaalan, qui tourne autour de la
souffrance de la femme yéménite sous le joug des tabous de
l’illicite et de l’antimoral dans la société arabe, ainsi
que l’oppression sociale et psychique qu’exerce la société
tout entière vis-à-vis des
femmes. Le dernier roman est celui de Mohamed
Gaafar,
Chahed malek (témoin),
qui essaye de déclencher une rébellion chez le lecteur en
posant des questions choquantes à l’exemple de : Qui est le
traître qui a fait de la pauvreté l’épidémie qui habite
notre pays ? Qui est l’assassin qui a empoisonné notre
agriculture et notre nourriture ? Qui sont les faux témoins
qui ont falsifié la volonté du peuple lors des élections et
en plein jour ?
Quant au roman le plus représentatif de la révolution, il
s’agit de 2025 … le dernier appel de Moustapha Al-Husseini,
nominé au prix Booker par la
maison d’édition Dawen. Ce roman
aborde le sujet d’un groupe de jeunes frustrés qui forment
un mouvement armé ayant pour but de faire chuter le régime
politique. Bien qu’il soit publié quelques jours avant la
révolution du 25 janvier, ce roman anticipe les événements
et raconte ce qui se passe à la suite de l’avènement de
Gamal Moubarak au pouvoir comme héritier de son père. Le
romancier présente un scénario pessimiste de la
post-révolution qui prétend diviser l’Egypte en petits pays
au nord, au sud et à l’est, avant que cette révolution
dirigée par les jeunes puisse mettre fin à un régime
corrompu pour commencer une nouvelle ère de liberté, de
dignité et d’égalité sociale.
Entre romans critiques et fiction prédicative, le menu
copieux de cette édition apportera un nouvel espoir qui sera
remis au meilleur roman arabe, début 2012 à
Abou-Dhabi.
Dalia
Farouq