Erythrée .
Le président Issayas Afeworki
fait le point sur le nouvel ordre mondial, suite aux
révolutions ayant secoué le monde arabe, et l’état
déplorable du continent africain.
« Le partenariat doit reposer sur
un échange commercial et
des investissements »
Al-Ahram
Hebdo : Quelle lecture faites-vous des révolutions qui
secouent le monde arabe pour instaurer la démocratie ?
Issayas Afeworki :
Je ne les appelle pas révolutions, mais explosions pour
certaines raisons. Cependant, nous ne pouvons pas
généraliser. L’Egypte n’est pas la Tunisie, ni Bahreïn, ni
la Libye ni les autres pays arabes. Chaque pays a sa propre
réalité. Les événements de l’Egypte étaient un résultat
accumulatif de 40 ans. L’Egypte était visée
internationalement, et le pouvoir corrompu était une
réalité. Il ne faut quand même pas ignorer le rôle régional
et international qui a contribué à la création de cette
réalité qui a entraîné en fin de compte l’explosion. La
situation économique précaire qui s’est accumulée au fil des
décennies a engendré un état que les gens ont appelé à tort
une révolution, faute de programme clair et de dirigeants de
ce mouvement. Ce qui est survenu est assimilé à une
explosion spontanée à cause d’accumulations, manipulées par
un nombre de pays qui ont joué un rôle non seulement tout au
long des 30 ans de l’investiture de Moubarak, mais ceux qui
étaient motivés par des objectifs qui se sont joués sur 40
ans au cours desquels l’Egypte s’est engagée dans des
guerres et a dû affronter des problèmes qui ont fait d’elle
une véritable force régionale. Les tentatives de détruire
l’Egypte ne se faisaient pas uniquement de l’intérieur. Si
le moment des comptes est venu, il faut les demander
également aux forces régionales et internationales qui ont
créé ces conjonctures.
— Voulez-vous éclaircir plus le rôle du facteur extérieur ?
— L’Egypte a pendant longtemps souffert d’une distribution
inégale de ses richesses et d’un contrôle abusif d’une
minorité aux dépens d’une large majorité. Les questions sont
: qui soutenait cette force minoritaire et quel est ce
gouvernement qui a engendré tout cela ? Il faut d’abord
parler des origines de ces crises, de cette explosion et de
ce chaos. Ce régime jouissait du parrainage de tous les pays
qui le taxent aujourd’hui de dictature et de dilapideur de
fonds. Où étaient ces forces, ces banques américaines,
européennes et les investisseurs de ce qu’on appelle le
secteur privé mondial, alors qu’ils sont eux-mêmes impliqués
dans ces vols ? La privatisation et la destruction de
l’économie et l’agriculture égyptiennes n’ont pas été
accomplies par les Egyptiens uniquement. Il faut étudier ces
données avec soin si le véritable objectif est de changer la
réalité et pour que l’Egypte occupe la place qu’elle mérite
loin du chaos qui règne actuellement. Ceux qui ont été
surpris par l’explosion tentent de créer un chaos, afin
d’avoir le temps de planifier et de réarranger les
situations. Tout le monde doit en être conscient. L’Egypte
n’est pas la propriété des Egyptiens uniquement, mais de
toute la région.
— Ces forces sont-elles derrière la crise confessionnelle
actuelle ?
— C’est clair et net. Il est complètement illogique de voir
en Egypte des clivages ou des problèmes entre musulmans et
coptes. Tout le monde doit se tenir sur ses gardes pour ne
pas tomber dans ce piège.
— Qu’attendez-vous de la nouvelle Egypte après la
révolution, que ce soit au niveau de son rôle régional ou
international ?
— Il est inquiétant que cette explosion soit survenue sans
organisation, objectif, stratégie ou commandement. Par
conséquent, le fait de traiter avec ces phénomènes d’une
manière spontanée n’est pas la solution. Nous guettons pour
voir si cette spontanéité sera bridée et organisée et pourra
dessiner les aspects de l’avenir ou non.
— Pour ce qui est des relations bilatérales entre nos deux
pays, comment les voyez-vous après la révolution et les
accusations qui se sont multipliées quant au recul du rôle
de l’Egypte tournée vers l’Afrique ?
— Même les Egyptiens disaient que la boussole de l’Egypte
avait dérivé vers le Nord, ignorant la situation au Soudan,
dans le bassin du Nil et en mer Rouge. Maintenant, les
Egyptiens sont en quête de la bonne orientation. D’ailleurs,
nous portons notre jugement sur la réalité et non pas sur
les espérances.
— Comment l’Erythrée s’apprête-t-elle aux vents de
changement et qu’en est-il du pluralisme ?
— Nous sommes au cœur du Moyen-Orient mais nos potentiels
sont limités. Une coopération entre nos deux pays sera
certes fructueuse loin des ingérences et des séditions
externes.
Quant au pluralisme, c’est un simple produit utilisé pour
démanteler les sociétés, bien que ceci ne veuille pas dire
que nous ne voulons pas de démocratie. Nous ne voulons
certes pas de sédition à l’instar de celle entre les
musulmans et les coptes. Les revirements internes concernent
seulement les peuples et non pas les forces étrangères.
— Que pensez-vous de la réaction de la communauté
internationale envers les soulèvements des peuples ?
— La communauté internationale était-elle uniquement formée
de l’Amérique et de l’Europe ? Où sont la Chine, le Brésil,
l’Allemagne et l’Inde ? Ces forces ne sont-elles pas celles
qui mènent le nouvel ordre mondial ? Et où sont l’Afrique,
l’Amérique Latine et l’Asie ?
— Vous aviez dit auparavant qu’il n’y a pas d’alternative à
l’unité du Soudan. Comment allez-vous traiter avec le
nouveau gouvernement ?
— Nous sommes toujours convaincus qu’une erreur humaine est
intervenue, mais nous avons communiqué avec le mouvement
populaire pendant plus de 20 ans. Nous avons sympathisé avec
le droit à l’autodétermination du Sud et nous avons toujours
espéré que la marginalisation du Sud prendrait fin.
— Puisque vous parlez d’un voisinage sûr, quelle est votre
relation avec le voisin éthiopien ?
— Il n’y a aucun problème actuellement. Les litiges
précédents étaient dus aux problèmes de frontières et du
report injustifié d’un règlement suite à l’arbitrage. Il n’y
a pas nécessité qu’un pays occupe les territoires d’un autre
et qu’il compte sur des forces étrangères pour créer des
problèmes. Il s’agit là d’une partie de jeu pour diviser la
région et générer des séditions entre peuples et pays.
— 20 ans après l’indépendance, comment voyez-vous l’avenir
de votre pays, à l’heure où les observateurs prévoient un
essor économique ?
— L’avenir est prometteur. Les 20 dernières années, nous
avons posé les fondements du développement économique
durable : en agriculture, en infrastructures, en la
distribution de la richesse et en opportunités pour les
citoyens.
— Que pensez-vous des organisations internationales
existantes ?
— La dépendance quant aux institutions mondiales représente
un fardeau pour l’économie. Nous n’avons pas besoin de
donations. Nous comptons sur notre propre potentiel. Le fait
de compter sur les autres a marginalisé le continent quant à
l’économie mondiale. Lorsque les organisations accroissent
en nombre, les crises économiques et politiques ne font que
se multiplier. La coopération est le pilier de notre
économie à une étape donnée, ensuite vient celle d’investir
pour bâtir un développement économique solide à l’avenir. En
effet, notre région n’a pas besoin d’aides et les ressources
et potentiels peuvent tout régler.
— A votre sens, les partenariats de l’Afrique avec le Japon,
l’Europe et la Chine sont de pure forme ?
— Effectivement, il s’agit de partenariats de pure forme. Le
partenariat doit reposer sur un échange commercial et des
investissements. Mais, en réalité, ils se limitent à des
aides humanitaires à un continent marginalisé. Un vrai
partenariat signifie ventes et achats pour l’Afrique ainsi
qu’un surplus commercial, autrement, on serait plutôt devant
une relation inégale.
— Comment voyez-vous le monde après la mort de Bin Laden ?
— Ils ont fait d’Al-Qaëda une organisation, un «
épouvantail » pour se doter de prétextes pour l’ingérence.
Al-Qaëda est devenue un problème mondial associé à la peur
qu’elle véhiculait surtout au Moyen-Orient possédant plus de
60 % des ressources en énergie. La présence ou absence de
Bin Laden n’est pas une cause fondamentale et les gens
doivent regarder au-delà de ce niveau.
Propos recueillis par Marwa Tewfik