Syrie .
Pour l’Etat hébreu, c’est une crainte du démantèlement d’un
régime syrien soucieux de stabilité, en dépit de son
hostilité, qui domine.
Israël : la peur de l’inconnu
«
Pas de commentaire ». C’est la consigne donnée par le
premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, aux membres
de son gouvernement sur la conduite à tenir face aux
événements de Syrie. Les Israéliens suivent la situation
dans ce pays avec un œil méfiant. Perplexité ou impuissance
? Gagnant ou perdant ? Les analyses divergent. Un vrai
dilemme vient donc s’imposer aux Israéliens qui, en y voyant
une opportunité, ne nient pas en même temps la présence d’un
risque.
En effet, la Syrie, l’un des principaux pays voisins
d’Israël, n’est pas liée à un traité de paix avec l’Etat
hébreu, présentant un grand risque pour ce dernier. Pour le
rappeler, les deux pays sont toujours officiellement en état
de guerre. Damas exige un retrait intégral du plateau du
Golan, occupé depuis 1967. Les dernières négociations de
paix entre les deux pays, sous médiation de la Turquie, ont
été suspendues fin 2008 à la suite de l’offensive
israélienne sanglante à Gaza.
De plus, des observateurs mettent en garde contre
l’instabilité en Syrie qui pourrait menacer la sécurité
régionale et contre l’éventuelle émergence d’un gouvernement
encore plus hostile à Israël. Et l’on craint bien sûr
l’arrivée à Damas d’un régime islamiste qui remettrait en
question le fragile équilibre entre les deux pays. Un
scénario effrayant vient donc se dessiner. les Israéliens
craignent la possibilité de transmission de l’arsenal
d’armes syrien dans « des mains irresponsables », en cas de
chute du régime de Bachar Al-Assad.
Par ailleurs, les frontières restent un sujet d’angoisse.
L’Etat hébreu s’inquiète ainsi de la situation à la
frontière sur le plateau du Golan. Elle est calme pour
l’heure, mais comment cela évoluera-t-il en cas de
changement de régime ? Le régime Assad, père comme fils, a
donné au fil des ans une certaine stabilité faisant de la
frontière entre les deux pays une des plus sûres, bien plus
qu’avec le Liban et même la Jordanie. Soucieux d’éviter la
moindre confrontation directe avec un ennemi qu’il sait très
supérieur, Damas s’est même abstenue de réagir à l’attaque
aérienne — israélienne selon tous les experts étrangers —
menée en septembre 2007 contre une centrale nucléaire
construite secrètement dans le nord de la Syrie avec l’aide
de Pyongyang.
Les médias israéliens évoquent d’ailleurs avec inquiétude la
possibilité d’une guerre civile en Syrie, qui pourrait
profiter aux Frères musulmans. Sur la radio publique, le
commentateur Mordehaï Kedar a évoqué, lui, le scénario d’un
démembrement de la Syrie, avec un Etat kurde au nord, druze
au sud, une enclave bédouine à l’est, et la région de Damas
transformée en principauté alaouite, le courant religieux
minoritaire auquel appartient Al-Assad. Cette implosion
permettrait, selon lui, de revenir au Moyen-Orient éclaté
entre les différentes communautés ethniques et religieuses
qui prévalait à l’époque de l’Empire ottoman.
« Camouflet à l’Iran »
Cette révolution syrienne serait aussi un véritable coup
pour Téhéran. Certains analystes insistent sur le fait qu’un
changement de régime syrien fera perdre à l’Iran son
principal allié dans la région et privera les mouvements de
résistance palestiniens de l’un des systèmes qui les
soutient le plus. « Il pourrait s’avérer que le printemps
arabe tourne en un hiver iranien ». C’est par cette formule
à l’emporte-pièce que Benyamin Netanyahu a résumé la
position de son pays. C’est ce qu’affirme aussi Michaël
Eppel, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université de Haïfa,
qui explique que « l’affaiblissement du régime à Damas
serait un camouflet à l’Iran sur le plan stratégique, ce qui
constituerait un développement positif non seulement pour
Israël mais aussi pour la Jordanie et d’autres pays arabes
pro-occidentaux ... Cela porterait aussi un coup dur au
Hezbollah, l’allié d’Assad ».
En Israël, ce qui inquiète par-dessus tout, c’est que l’Iran
et des éléments du Hezbollah aident activement le
gouvernement de Damas à réprimer dans le sang cette
insurrection. Un haut responsable du ministère des Affaires
étrangères a cité les propos de manifestants locaux
témoignant qu’une partie des hommes de la sécurité déployés
pour disperser les manifestations parlaient persan,
attestant du lien étroit unissant Damas à Téhéran. Dans les
jours qui viennent, estime-t-on en Israël, on pourra
discerner plus clairement l’ampleur de l’intervention
iranienne dans les tentatives qui sont déployées pour
stopper les masses populaires protestant dans les rues. La
Syrie est une acquisition iranienne, et il est clair que les
Iraniens craignent de perdre tout ce qu’ils y ont investi.
C’est pour cette raison qu’ils interviennent davantage dans
ce pays que partout ailleurs dans le monde arabe. Le dilemme
demeure. Et avec les révoltes qui se poursuivent, les
méfiances, voire les craintes israéliennes, ne cessent de
s’accroître. Reste à savoir comment évoluera la situation
dans les semaines qui viennent.
Chaïmaa Abdel-Hamid
Aliaa Al-Korachi