Syrie .
Le régime de Bachar Al-Assad, de plus en plus contesté,
utilise la force contre les manifestants de manière brutale.
Il profite cependant d’une certaine faiblesse de l’Occident
à son égard.
Un peuple face au tyran
La
contestation contre Assad fils est un fait inédit en Syrie.
Mais voilà sept semaines déjà que les manifestations
ébranlent le pays. Des manifestations qui, au départ,
réclamaient la liberté et la fin de la corruption avant
d’exiger la chute du régime. Le mouvement, en provenance du
Maghreb arabe, frappe le Machreq en direction de l’un des
pays les plus grands et plus importants stratégiquement dans
la région. Ce printemps, qui a porté ses fruits en Tunisie
et en Egypte en moins d’un mois, s’est-il arrêté aux portes
de Damas, repoussé par une répression violente des
protestations ?
Deraa, symbole de la révolte populaire et ville assiégée par
l’armée dans une opération de « traque des groupes
terroristes » — comme la décrivent les responsables syriens
— est l’un des exemples de cette répression sanglante.
Depuis le début de la contestation syrienne le 15 mars, le
régime d’Al-Assad accuse des « gangs criminels armés » ou
des « groupes terroristes » d’être à l’origine des
violences.
Des habitants ont trouvé la mort sous les balles de l’armée
et des militants ont été arrêtés. C’est Maher, frère de
Bachar Al-Assad, qui aurait dirigé l’opération de
répression.
Des interpellations ont eu lieu dans les villes de Rakka et
Kamichli et dans les faubourgs de Damas. Mais les militants
en faveur de la démocratie ont promis de nouvelles
manifestations sous le slogan « Semaine de la levée du siège
», en allusion à Deraa et Douma, les deux villes encerclées.
Les Syriens semblent avoir appris de leurs confrères
tunisiens et égyptiens en surmontant le mur de la peur et en
bravant les interdictions sécuritaires et offrant des morts
en faveur de « la liberté ».
« La liberté par un simple non, et elle se rapproche »,
écrivent les militants syriens sur Twitter.
Mêmes réactions, mêmes erreurs
Le régime, lui, n’aurait pas assimilé la leçon des ses
frères de la Ligue arabe : Ben Ali et Moubarak, et semble
autant qu’eux attaché au trône. Il réagit de façon presque
identique dans son recours à la force et donne l’ordre à son
armée de tirer sur le peuple. Les ONG de défense des droits
de l’homme évoquent la mort d’au moins 600 personnes depuis
le début de la révolte. Des chiffres contestés par le régime
qui évoque la mort de « terroristes ».
Assad, qui avait succédé à son père à la tête du pays il y a
11 ans, utilise le même vocabulaire que les ex-présidents
tunisien et égyptien et s’efforce de prendre des mesures qui
ne diffèrent presque pas de celles qu’adopte Ali Saleh au
Yémen et fait appel à l’armée, à l’instar de Kadhafi en
Libye.
Il y a deux semaines, Bachar Al-Assad décide ainsi de lever
l’état d’urgence en vigueur depuis un demi-siècle. Trop tard
! Les manifestants, qui réclamaient au départ la levée de
cet état d’urgence qui imposait des restrictions
draconiennes, exigent désormais le départ du fils qui leur
était imposé par le père dans une république monarchique.
Le régime fait la sourde oreille aux exigences et annonce
dans un nouveau lifting la création de trois comités pour «
étudier des réformes politiques, judiciaires et de sécurité,
économiques et sociales, avant de les soumettre au
gouvernement pour être discutées et adoptées ». Une annonce
faite par l’agence de presse officielle sans autre
précision.
Entre-temps, le parti Baass, au pouvoir, similaire au Parti
National Démocrate (PND) de Moubarak, et qui dirige le pays
depuis 1963, a enregistré la démission de quelques centaines
de membres (lire page 5).
Rien n’indique pourtant que le cercle au pouvoir autour
d’Assad est en train de se briser. L’armée, l’élément le
plus important dans l’équation et qui était un facteur
décisif dans le cas tunisien et égyptien en refusant de
tirer sur les manifestants, lui reste fidèle.
Les révoltes font peur à l’Occident
Le régime syrien compte sur une réticence occidentale à
dénoncer les crimes commis par le régime. Une intervention à
la libyenne est par ailleurs inenvisageable sur le
territoire syrien. L’Occident n’a pas hésité longtemps à
intervenir en Libye alors que pour la Syrie, il s’est
contenté de quelques menaces et de sanctions sans véritable
importance, puisque la Syrie est déjà soumise à un régime de
sanctions américaines. Barack Obama s’est limité à une
mesure sans intérêt en sanctionnant trois proches de Bachar,
notamment son frère et l’un de ses cousins dont il a gelé
les avoirs aux Etats-Unis.
Dans le New York Times, l’ancien diplomate américain au
Proche-Orient, Martin Indick, estime que « si le nombre de
morts se compte par dizaines de milliers, Washington devra
envisager une intervention humanitaire ». Mais pas plus !
Autant que l’Egypte, la situation chez les Assad inquiète
l’Occident. Même si elles détestent le régime syrien, les
diplomaties occidentales craignent que s’il est renversé,
les options qu’ils redoutent le plus soient désormais
possibles. Ils ne veulent pas d’un lendemain incertain dans
un pays allié de l’Iran, de la Turquie, du Liban, du
Hezbollah et du Hamas et dont l’influence rejoint même
l’Arabie saoudite et s’étend jusqu’à la Russie.
L’après-Bachar, pensent nombre d’observateurs, ouvrira la
porte à une islamisation ou une libanisation religieuse de
la Syrie, dominée aujourd’hui par la secte chiite
minoritaire des Alaouites, dont fait partie le clan Assad.
Une Syrie sans Bachar serait encore plus dangereuse à leurs
yeux et notamment pour les Israéliens qui occupent toujours
le territoire syrien du Golan. A tel point que Benyamin
Netanyahu a demandé à ses ministres d’adopter un profil bas
à propos de la Syrie. Même Ankara redoute une
déstabilisation de la Syrie qui risquerait de se répercuter
dans les régions kurdes de la Turquie. Ankara a ainsi
dépêché des émissaires à Damas pour tenter de convaincre le
régime syrien de renoncer à la force et d’entamer des
réformes démocratiques. Il faudrait aussi regarder du côté
de Téhéran pour voir si le régime iranien serait près à
lâcher son allié de longue date.
Pourtant, tous les ingrédients sont réunis pour un
changement en Syrie. Les revendications des manifestants
augmentent et le nombre croissant des victimes contribue à
la fin du régime. Il finira par tomber un jour ou l’autre,
mais quand ?
Samar
Al-Gamal