Journée Internationale du Travail .
La célébration a revêtu une valeur symbolique cette année
après la chute du régime Moubarak.
En quête d’un avenir meilleur
«
Liberté signifie justice sociale », ont scandé des milliers
de travailleurs ayant envahi l’emblématique place Tahrir au
Caire dimanche, à l’occasion du 1er mai. Des représentants
de syndicats indépendants ont pris la parole devant les
manifestants rassemblés sur la place. Ils ont réclamé la
mise en place d’un salaire minimum de 1 200 livres
égyptiennes, le jugement des responsables syndicaux
corrompus, de meilleures conditions de travail et
l’indépendance des syndicats.
Dans un communiqué commun, 49 organisations, dont la
Coalition des jeunes de la révolution, des partis
politiques, des groupes de gauche et des syndicats, ont
réclamé l’instauration de salaires minimum et maximum et le
gel des avoirs des dirigeants syndicaux liés au régime
Moubarak.
Tôt le matin, la rue Qasr Al-Aïni, qui débouche sur la
place, a témoigné d’une forte affluence avec notamment de
nombreux autobus transportant des ouvriers de divers
gouvernorats. « Vive les libertés syndicales », « La grève,
un droit légitime », lisait-on sur des banderoles brandies
par la foule. La journée a commencé par une dénonciation
publique des politiques de la privatisation qui ont marqué
les années Moubarak. Ensuite, les dirigeants syndicaux ont
été appelés à prendre la parole. Certains travailleurs de
diverses entreprises se bousculaient afin de se saisir du
haut-parleur et pouvoir ainsi partager leurs doléances et
adresser leurs plaintes au Conseil des ministres et au
Conseil suprême des Forces armées.
« J’ai été témoin d’une affaire de corruption dans la
société d’assurance où je travaille. Les responsables ont
intenté plusieurs procès contre moi pour m’obliger à fermer
la bouche. Aujourd’hui, je suis venu réclamer la fin de la
corruption et le jugement rapide de tous les corrompus »,
lance Amgad Al-Cheikh, un employé. « J’ai quatre enfants et
mon salaire ne dépasse pas les 400 livres, comment peut-on
survivre dans de telles conditions financières ? »,
s’indigne d’une voix nerveuse Hassan Mohamad, un ouvrier
venu spécialement de la ville de Port-Saïd pour l’occasion.
Il est forcé de constater que la révolution « n’a pas changé
grand-chose. Avant, un kilo de tomates était à une livre,
aujourd’hui il a atteint les 4 L.E. Nous voulons sentir un
vrai changement », souhaite-t-il.
Vers 18h, le ministre de la Main-d’œuvre, Ahmad Al-Boraï, a
surpris les manifestants, en débarquant sur la place Tahrir
pour célébrer le 1er mai avec eux. « Les salaires, les
contrats décents de travail et les libertés syndicales sont
nos premières priorités », assure le ministre. Aux plus
mécontents, il demande de patienter. « Je respecte vos
plaintes, mais je ne peux pas donner des solutions
immédiates. Nous travaillons à améliorer les conditions des
travailleurs, mais on a besoin de temps », répond-il.
« Enfin, nous pouvons obtenir nos droits par la loi, sans
restriction ni entrave de la sécurité de l’Etat », note sur
un ton de satisfaction Moustapha Al-Charqawi, travailleur à
la Société du lin de Tanta, l’une des sociétés du secteur
public qui s’est fait connaître par d’innombrables grèves et
sit-in au cours des deux dernières années.
Sous l’ère Moubarak, la création de syndicats indépendants
était interdite, et les organisations syndicales affiliées
au régime n’étaient pas reconnues par les instances
internationales du travail. Toutefois, au cours des trois
dernières années, le mouvement ouvrier a réussi à créer
quatre syndicats indépendants (quoique non reconnus) dont
ceux des taxes foncières, des retraités, ainsi qu’une «
Association indépendante des enseignants ». Après la
révolution, bon nombre de syndicats indépendants ont vu le
jour comme celui des travailleurs des transports publics. Le
12 mars dernier, le ministère de la Main-d’œuvre a décrété
la « libéralisation » des syndicats qui englobe la liberté
de créer des syndicats et des unions ouvrières ainsi que de
s’affilier à des institutions homologues à l’étranger, sans
l’autorisation de l’Etat. Des droits impensables dans un
passé proche mais très naturels aujourd’hui alors que
l’ancien dirigeant de la Fédération égyptienne des
syndicats, contrôlée par l’Etat, est sous le coup d’une
enquête pour corruption.
Même si les photos de l’ancien président Gamal Abdel-Nasser
côtoyaient les drapeaux rouges brandis par des manifestants
ce dimanche, il ne faut pas s’attendre à une réédition de
l’expérience socialiste des années 1960, et malgré les
déclarations du gouvernement de transition qui se veut
rassurant à l’égard des hommes d’affaires, les manifestants
sont rassurés que le temps du capitalisme sauvage et des
gouvernements d’hommes d’affaires est révolu.
Talaal Choukr, président de l’Union générale indépendante
des travailleurs (récemment formée), se permet d’être
optimiste. Le ministère de la Main-d’œuvre se penche
actuellement sur l’élaboration d’une loi pour garantir les
libertés syndicales nouvellement acquises.
Ola
Hamdi