Feuilleton .
Le tournage de la biographie de l’homme d’affaires Ahmad Al-Rayane
fait du bruit. Certains y voient plus qu’une œuvre
dramatique, et notamment une volonté visant à ternir la
réputation des islamistes avant les élections.
Les enjeux d’une histoire
Pas
de Ramadan sans séries télé, et surtout des biographies
controversées : cette règle vaut en Egypte comme ailleurs
dans le monde arabe. Pourtant, cette année, le feuilleton
phare du Ramadan pourrait être, pour la deuxième année
consécutive, une saga politico-historique. Ecrit par les
deux scénaristes Mahmoud Al-Bezzawi
et Hazem Al-Hadidi,
Al-Rayane — dont le budget
dépasserait les 10 millions de L.E. — retrace l’histoire de
l’homme d’affaires de tendance islamique Ahmad Al-Rayane,
dans le temps propriétaire d’une société d’investissement
des capitaux, sujette à l’un des procès les plus célèbres du
XXe siècle. Il a été condamné à 23 ans de prison. Et
aujourd’hui, quelques mois après sa libération, la
production d’une œuvre biographique sur sa personne enflamme
la critique. Puisque d’aucuns ont accusé le comédien Khaled
Saleh, interprétant Al-Rayane,
d’avoir été payé par l’homme d’affaires, afin d’embellir son
image. « Je refuse de pareilles accusations, car en tant
qu’artiste, mon rôle est de présenter des personnages avec
lesquels je n’ai aucun rapport en dehors du scénario »,
explique Khaled Saleh. Et d’ajouter : « J’avoue être attiré
depuis des années par le personnage d’Al-Rayane.
J’ai cherché à le rencontrer après sa sortie de prison pour
bavarder avec lui sur sa vie et son rapport aux cercles du
pouvoir durant les années 1980. J’ai réussi à enregistrer
plus de 15 heures avec lui, sur lesquelles est basée une
grande partie du scénario ». Et à lui également d’affirmer :
« La vie d’Ahmad Al-Rayane est
assez riche en éléments dramatiques ! A titre d’exemple, sa
vie a été toujours dominée par trois composantes : la
religion, l’argent et les femmes, de quoi justifier son
mariage avec 13 femmes, interprétées, entre autres, par
Dorra et
Riham Abdel-Ghafour ».
Pour sa part, le scénariste Hazem
Al-Hadidi nie toute possibilité
de pro-islamisme, ou de faire la propagande d’Al-Rayane
: « Ce n’est pas du tout une œuvre biographique pour qu’on
soit accusé — même avant le
tournage — de manque d’objectivité. Par contre, on peut la
considérer comme une œuvre fictive basée sur une biographie,
montrant la fine distinction entre l’ambition et la
convoitise ». Pour lui, « les 15 premiers épisodes sont
construits autour de faits purement fictifs, mais qui
conviennent au personnage. Ses confessions nous ont beaucoup
aidé à écrire le scénario. Au
lendemain de la révolution du 25 janvier et la chute de
l’ancien régime, il s’est montré assez franc ».
Une mission délicate
Le projet du feuilleton est né il y a trois ans. Toutefois,
il n’a connu d’essor que l’année dernière, avec la diffusion
du feuilleton consacré à Hassan Al-Banna, fondateur du
mouvement des Frères musulmans. La popularité d’Al-Banna
garantissait le succès de son autobiographie, ce qui n’est
pas du tout le cas d’Al-Rayane,
d’où l’intérêt du nouveau feuilleton focalisant sur les
moments-clés dans la vie d’un homme d’affaires mal-aimé. La
réalisatrice Chérine
Adel, qui n’a jamais caché le
peu d’affinité qu’elle a avec ce genre de personnages
controversés, affirme vouloir faire « une œuvre assez
regardée », favorisant une réflexion différente sur un homme
d’affaires polémique. Il n’est cependant pas question
d’objectivité totale pour autant, puisque Ahmad Al-Rayane,
en chair et en os, a suivi de près la conception du
scénario. Référence historique ? C’est bien ce retour en
grâce qui pourrait exaspérer une partie de la classe
politique, surtout en dévoilant la relation entre religion,
argent et pouvoir. Les uns s’inquiètent d’ailleurs que
l’œuvre donne une vision erronée de l’Histoire. « Dans un
pays accusant presque 40 % d’analphabétisme, plusieurs
œuvres biographiques sont bien parties pour devenir la
référence historique sur les faits qu’elles racontent »,
signale l’avocat Nabil Al-Ansari, l’un des détracteurs du
feuilleton.
D’autre part, il s’avère clair que l’ancien régime, qui se
méfiait de tous les mouvements islamiques depuis
l’assassinat de Sadate en 1981, « n’aurait jamais autorisé
le tournage d’un tel feuilleton. La censure allait notamment
s’opposer à sa diffusion sur la télévision publique »,
explique Chérif Sedqi, critique
de cinéma. D’après l’équipe de travail, il ne s’agit pas ici
de remettre en cause la portée de l’action d’Ahmad Al-Rayane
ou d’émettre un jugement de valeur sur l’homme, mais de
montrer comment il a su, à un moment donné, faire partie de
l’histoire du pays et de ses cercles du pouvoir.
Yasser
Moheb