Théâtre .
Actuellement sur les planches d’Al-Talia,
Laylat al-qatala
(la nuit des meurtriers) soutient la révolution et met en
garde contre le chaos. Un succès.
Gare à l’anarchie
«
Ce n’est pas le salon, c’est la salle de bain. Ce n’est pas
la salle de bain, c’est la cuisine ». Ces paroles sont
chantées par le jeune Lalo et ses sœurs, pendant un jeu
nocturne assez bizarre. Un jeu qui se termine souvent par un
meurtre et un châtiment et par l’expression de leur volonté
de se débarrasser de leurs parents.
Cette chanson rend plus explicite l’idée-clé de la pièce la
plus célèbre de l’écrivain cubain José
Triana La nuit des meurtriers, traduite par le
critique Fathi Al-Achri au début
des années 1980 et donnée pour la première fois en Egypte en
1984.
L’intérêt accordé à cette pièce est lié à plusieurs
facteurs. D’abord, il s’agit d’une pièce pour trois acteurs
seulement. Deuxièmement, sa structure dramatique complexe
permet à chaque acteur d’approfondir pleinement son
personnage. Mais le plus important est que l’intrigue permet
de débattre l’idée de la révolte sociale, politique ou
religieuse. La pièce aborde également la différence entre la
remise en cause de toute autorité et le chaos, notamment en
l’absence d’une vision globale des choses. D’où l’importance
de cette présentation théâtrale à l’heure actuelle, dans la
petite salle d’Al-Talia.
Vers la fin de la pièce, les trois protagonistes semblent
dire : « Faites attention, notre révolution est encore à ses
débuts … Les jours qui viennent peuvent nous conduire au
désordre ».
Le metteur en scène, Tamer
Karam, a décidé de commencer la pièce au seuil même du
théâtre. Deux jeunes filles, habillées en noir, accueillent
les spectateurs, avec en main des torches qui éclairent
leurs visages. Puis elles se dirigent vers les sièges où les
spectateurs remarquent la présence d’un jeune homme debout
au fond de la scène. Il porte une sorte de cadavre, couvert
d’un drap blanc taché de sang. Ainsi on est témoin d’un
crime qui a commencé par un jeu.
Le jeune homme au cadavre pousse un cri aigu, annonçant le
début du spectacle. La salle est plongée dans le noir puis
la lumière s’accompagne d’une musique bruyante et de coups
rapides sur le sol. Les filles se joignent au frère pour
entamer un jeu dangereux. Leur conversation dévoile que ce
n’est pas leur première nuit, et quand les deux sœurs
refusent de jouer sous prétexte que le jeu est devenu
ennuyeux et inutile, le frère les oblige à y prendre part :
un despote est né.
Les événements se précipitent, misant sur l’échange des
rôles : les trois comédiens les alternent, celui du père, de
la mère et des amis. Le désaccord entre le frère et l’une
des sœurs est utilisé par le dramaturge et le metteur en
scène pour distinguer ce qui relève du jeu et ce qui tient
de la réalité, de la nuit du meurtre.
Le texte de José Triana est
d’une galanterie qui ne laisse pas le spectateur tomber dans
le piège d’une fausse sympathie avec les fils, malgré la
logique de leur prétexte. Le texte nous pousse à repenser et
à comparer la logique des parents à celle des enfants.
Le décor maintient la logique du jeu. Par exemple, les
chaises portent les motifs d’un jeu de cartes, rappelant
quelque part qu’il s’agit d’un jeu et lançant aux
spectateurs : « Attention, vous êtes arbitres et témoins de
ce jeu ». Le metteur en scène s’est servi également de la
musique pour dire que la comédie — qui fait exploser les
rires — implique aussi un crime caché.
L’élément le plus important de cette pièce reste le jeu des
trois comédiens (Younès, Jessi
et Yasmine) sans lequel le
spectateur sombrerait dans l’ennui. Le jeune metteur en
scène Tamer Karam réussit à
dévoiler les capacités de ses comédiens. Résultat : une
belle mise en garde contre le chaos.
Mohamad Al-Roubi