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 Semaine du 4 au 10 mai 2011, numéro 869

 

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Ecrivain et surtout un best-seller international, Khaled Al-Khamissi est le genre d’intellectuel qui croit en la force des mots. Après Taxi et L’arche de Noé, il prépare un nouveau livre sur les révolutions arabes.

Conteur et témoin

Dans les librairies, chez les bouquinistes et vendeurs de journaux du centre-ville, le nom de Khaled Al-Khamissi est bien connu : « C’est l’homme du taxi ». Plus précisément c’est l’auteur de Taxi, hawadite al-mashawir (Taxi, les contes des trajets). L’ouvrage a fait un tabac début 2007 et a été traduit en différentes langues. Ses contes font le tour d’horison des opinions. Il s’agit en fait d’un récit évoquant les maqamat (séances), un genre littéraire arabe, développé au Xe siècle. « Taxi est basé sur la sagesse et la conscience du peuple égyptien avec ses différentes catégories », souligne l’auteur. L’œuvre adoptant un langage proche de la vie quotidienne évoque les dépressions, les critiques et les attitudes des Egyptiens. En fait dans Taxi, Al-Khamissi soulevait l’irritation latente et la conscience politique du citoyen. Il prévoyait certes un changement et trouvait dans la révolution du 25 janvier un pas vers l’avenir. Mais en tant qu’intellectuel engagé, il se méfie du rôle de l’armée. « A travers l’espace et le temps, l’intellectuel et l’armée ne s’accordent pas. L’intellectuel aspire à avoir des leaders ayant une conscience publique. Au niveau de la conception, il y a une contradiction », déclare Al-Khamissi. Et parlant plus particulièrement de l’Egypte aujourd’hui, il déclare : « Je n’accuse pas l’armée égyptienne de trahison. Mais le problème est que beaucoup de sujets ne sont pas clairs. Il y avait des demandes de la part des révolutionnaires auxquelles personne ne s’intéresse. On cherchait à avoir un conseil présidentiel élu, une solution plus logique dans les circonstances actuelles jusqu’à la formation de nouveaux partis politiques, mais aucune mesure n’est prise à cet égard. En plus, beaucoup de décisions prises sont ensuite rétractées. Actuellement, tout se passe avec un esprit aléatoire et arbitraire. Il y a beaucoup de questions sans réponses. La démocratie ne va pas de pair avec la politique du black-out. On a encore des problèmes ». Ainsi résume-t-il la situation.

Pourtant, il s’insurge contre les propos de ceux qui répandent que le peuple égyptien n’est pas encore apte à la démocratie. Furieux et sur un ton sarcastique, il riposte : « Des bêtises. Cromer, quand il a dit une chose pareille au début du XIXe siècle, tout le monde s’est soulevé contre lui et on l’a qualifié de colonialiste indigne. Il y avait une tendance parmi les politiciens et hommes du pouvoir à suggérer ces idées : nous sommes un peuple faible, sans moyens ni force. C’est en fait l’angle de mon article ». Al-Khamissi vient de terminer son article L’Acteur, l’objet et la théorie du bouc émissaire, paru il y a quelques jours dans le quotidien Al-Shorouk. « Nous sommes l’un des plus anciens peuples à avoir une vraie grande civilisation. Et nous possédons une véritable conscience politique ». Les aventures de Taxi en témoignent.

Al-Khamissi reflète la vie de tous les jours dans un langage simple entre classique et dialectal. Traumatisme, humour et sarcasme. Il opère également une analyse sociopolitique à travers ses chroniques publiées tous les dimanches dans Al-Shorouk.

Comme plusieurs, il a souffert de l’ancien régime. « Tout au long de ma vie, j’ai été confronté à des situations et des problèmes loin de toute logique, c’est dépressif », lance-t-il.

Enfant, il a été élevé dans une famille réputée pour ses activités culturelles et son poids dans la vie intellectuelle. Fils de l’intellectuel de gauche Abdel-Rahmane Al-Khamissi et Faten Al-Choubachi, il doit toute son éducation à son grand-père maternel, Moufid Al-Choubachi. Après la mort de sa mère et le départ de son père, le petit trouve en son grand-père l’homme idéal : « Il s’est consacré à la lecture et à la créativité. Ecrit des critiques, traduit de multiples ouvrages … ». Entouré de livres, Khaled Al-Khamissi s’intéresse à la culture et au rôle de l’intellectuel.

Le lycéen de Bab Al-Louq obtient son bac et fait sciences politiques. « J’ai étudié afin de comprendre le monde ». Son séjour en France pour parachever ses études supérieures a alimenté son esprit. Pourtant, le jeune homme, qui connaissait déjà les milieux parisiens et qui avait énormément voyagé, n’a pas pu opter pour le départ : « Vivre loin de l’Egypte m’est impossible. Je ne trouve plus d’oxygène loin d’ici. Mes voyages ne dépassent pas souvent quelques semaines et je me trouve toujours en proie à une nostalgie terrible », explique-t-il. « Mon voyage pour le master a dépassé les six mois. Le jour de mon retour en Egypte, j’étais très ému. L’avion atterrissait, la porte s’ouvrait et il y avait un soldat de la sécurité de l’aéroport. Brusquement, je l’ai serré très fort dans mes bras. L’homme ne comprenait rien ». Al-Khamissi a été très étonné de la vague d’immigration chez les Egyptiens. L’arche de Noé, son deuxième roman, décrit ainsi les différents types de classes sociales qui cherchent à tout prix à émigrer.

Non seulement l’auteur s’attache à l’Egypte, mais plus particulièrement au Caire, à ses rues et au centre-ville. « Toute ma vie s’est déroulée dans le centre-ville. Mon enfance avec mes parents était dans un appartement situé dans l’immeuble Groppi, puis la maison de mon grand-père était rue Gawad Hosni ». Aujourd’hui, sa maison, en même temps son bureau, se situe au 6e étage à la rue Abdel-Khaleq Sarwat. Pas très loin en effet de la place Tahrir.

Une quinzaine d’années de rêve et de dépression ont marqué la vie du jeune homme à double culture, notamment après son retour en Egypte. Rêve de scénariste, rêve de société de production culturelle, rêve d’éditeur …, dans tous ses projets Al-Khamissi était confronté à de multiples obstacles. Son premier scénario n’a pas vu le jour, les productions télévisées ou cinématographiques de sa société ont été rejetées par la télévision et le cinéma : « J’avais l’impression que les responsables de la Télévision ne parlent pas l’arabe. Toujours un dialogue de sourds ». A l’époque, le cinéma favorisait la trivialité. Ce qui était loin de son travail.

Des rêves avortés sur le plan professionnel. Oui, mais Khaled assure : « L’homme ne peut pas vivre sans rêve. J’avais aussi de petits rêves que j’ai réussi à concrétiser. Ils constituent ma vie que j’aime ». Les moments de joie remontent alors à la surface.

En octobre 1990, à Hurghada où Al-Khamissi tentait sa chance dans l’écriture cinématographique avec le film Turquoise (un de ses rêves avortés), un coup de fil a complètement bouleversé sa vie. « Ma femme m’a annoncé qu’elle était enceinte de ma fille May. J’étais au comble de la joie. Beaucoup d’émotions m’ont envahi et je me suis mis à pleurer, voire à sangloter, en continu pendant une heure ». Les mêmes sensations sont encore éprouvées lors de la naissance de ses jumeaux, Badr et Bahaa. « Je ne sais pas si c’est le bonheur qui s’empare de tout père ou si c’est une joie due à l’acte de procréation, à l’idée d’avoir une descendance ou simplement l’instinct humain ».

Un rêve, daté de 2005, a vu le jour. Al-Khamissi écrit et éprouve une grande joie. L’acte d’écrire est le rêve qui l’accompagnera à jamais, dit-il. Car finalement, il y a trouvé son chemin et ne déplore guère les années passées. « En janvier 2007 j’ai tenu en main mon premier exemplaire de Taxi, je me suis senti un homme heureux ». En 2009, L’arche de Noé, a constitué un autre bonheur. « Mes livres sont aussi mes enfants ». L’écriture, malgré la joie qu’elle procure à l’auteur, lui fait passer des moments assez durs. « Je suis comme la pendule de l’horloge, je me dis souvent : c’est bien ce que j’ai écrit, c’est bien de s’exprimer, puis les secondes suivantes je me dis : non ce n’est pas important, je dois tout supprimer ». Un conflit qui l’accompagne sans cesse. Le va-et-vient continue jusqu’à la fin. « Dois-je publier le livre ? », une question cruciale. Car Al-Khamissi est conscient de l’importance du mot, de sa responsabilité et de son influence.

Les premiers lecteurs de ses manuscrits de Taxi étaient les intellectuels Galal Amin, Abdel-Wahab Al-Missiri et Somaya Ramadan. Et pour L’arche de Noé, il a eu recours aux membres de la famille Al-Choubachi. A travers ces amis et parents, il a finalement décidé d’aller contacter son éditeur.

Un troisième ouvrage est en cours de préparation. Al-Khamissi poursuit ses analyses sociopolitiques, puise dans l’histoire des classes sociales et écrit en coopération avec deux autres auteurs, Adel Refaat et Bahgat Al-Nady, qui adoptent ensemble le pseudonyme de Mahmoud Hussein, pour faire un livre sur la révolution. « Pourquoi les révolutions arabes ont eu lieu. Le livre tâche de fouiller profondément dans ce sujet. Ce n’est plus une question de Facebook, de Moubarak ou de la mort de Khaled Saïd …, toutes ces raisons ne sont pas suffisantes afin de déclencher une révolution. Il y a plusieurs éléments sociopolitiques qui se tissent durant une longue période et qui touchent en profondeur les diverses classes ». Le livre sortira à la fois en arabe et en français chez l’éditeur Grasset, en octobre prochain.

May Sélim

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Jalons

1962 : Naissance au Caire.

1980 : Baccalauréat du Lycée de Bab Al-Louq.

1984 : Diplôme de sciences politiques à l’Université du Caire.

2007 : Publication de son premier livre, Taxi.

2009 : Publication de son roman L’arche de Noé.

2011 : Participation à la conférence littéraire Ecrire la Méditerranée. Et collaboration pour un prochain ouvrage sur la révolution.

 

 

 




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