Al-Ahram Hebdo,Société | Le grand chambardement

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 Semaine du 25 au 31 mai 2011, numéro 872

 

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Société

Célébrités . Les stars du show-business anti-révolution n’ont plus la faveur du public. Waël Ghoneim, Nawara Negm ou encore Amr Hamzawi, pour ne citer qu’eux, sont devenus les figures emblématiques de la nouvelle Egypte qui se construit.

Le grand chambardement

« Les héros, ce sont les martyrs, ceux qui sont tombés sous les balles de la police ou des baltaguis. J’ai vu un jeune homme répéter : Vive l’Egypte, jusqu’à ce qu’il ait rendu l’âme. Un autre, plus vieux, a perdu un œil. Il s’est avancé vers les soldats en criant qu’il était prêt à offrir l’autre œil pour l’Egypte. Moi, j’étais terrifiée, je courais pour me cacher », dit Asmaa Mahfouz qui refuse d’être considérée comme une héroïne. Faisant partie des fondateurs du mouvement du 6 Avril et membre de la Coalition de la révolution, cette jeune de 26 ans a joué un rôle crucial en postant, le 18 janvier sur YouTube, la vidéo historique appelant les Egyptiens à se rendre sur la place Tahrir le 25 janvier. Peu avant, Asmaa s’était rendue sur la place Tahrir en soldat solitaire et avait houspillé les gens qui n’osaient pas la rejoindre. Elle implorait les jeunes de ne pas s’immoler par le feu mais de se lever pour combattre le régime. Elle disait : « S’il nous reste un peu d’orgueil et si nous voulons vivre dans la dignité, nous devons aller sur la place Tahrir le 25 janvier. Moi, j’y serai chaque jour et je distribuerai des tracts dans la rue. Je ne m’immolerai pas par le feu. Si les forces de sécurité veulent m’éliminer, qu’elles le fassent. Si vous estimez être des hommes, alors rejoignez-moi le 25 janvier. Ne dites pas qu’il n’y a pas d’espoir. L’espoir disparaît seulement quand vous dites qu’il n’y a plus d’espoir ». Cet appel, qui est entré dans l’Histoire, a été l’étincelle qui a propulsé le mouvement révolutionnaire et a fait tomber le régime corrompu de Moubarak. Son message a bel et bien été entendu. Hassan, étudiant à la faculté de polytechnique, et des milliers d’autres internautes l’ont suivie. « Lorsque j’ai vu sa vidéo implorant les jeunes de ne pas s’immoler par le feu mais de combattre le régime, j’ai senti que j’étais un lâche face à l’immense courage et l’audace d’Asmaa. Cette jeune femme nous a donné une leçon magistrale en matière de lutte non violente pour la liberté », explique Hassan qui voit en Asmaa une révolutionnaire, et en même temps une femme douce et très féminine. Depuis, Hassan s’est lancé dans la bataille. Il n’a raté aucune manifestation et a assisté à tous les rassemblements sur Internet.

Mais si Hassan admire l’activisme d’Asmaa, d’autres comme Samira, professeur d’anglais, n’acceptent pas l’image que cette jeune femme se donne d’elle-même, notamment lorsqu’elle se proclame des instigateurs de la révolution et se comporte comme la porte-parole du peuple. Samira préfère plutôt Nawara Negm et Israa Abdel-Fattah, deux autres organisatrices-clés des manifestations. « J’ai été éblouie par leur optimisme, leur enthousiasme, leur modestie, leur intelligence et leur lucidité politique. Elles ne voulaient pas jouer les héroïnes. Elles font partie des jeunes qui étaient venus à la place Tahrir pour chercher non pas la mort, mais la vie en toute dignité. Elles ont subi l’attaque infâme et violente des malfrats du régime, les prétendus manifestants pro-Moubarak, cette horde de sauvages qui a déferlé sur les jeunes militants de la liberté pour les brûler, pour reprendre les termes d’une starlette de deuxième rang, Samah Anwar, qui ne supportait pas que des gamins défient son bien-aimé raïs », dit-elle.

Nawara Negm, Asmaa Mahfouz, Amr Hamzawi, Waël Ghoneim, Israa Abdel-Fattah, Chadi Al-Ghazali Harb et d’autres encore ont lutté pour transformer le militantisme « online » en une véritable mobilisation de rue défendant les droits des citoyens. Ils sont devenus des figures éminentes et les sujets phare de toutes les chaînes satellites. Aujourd’hui, les yeux sont braqués sur ces nouvelles stars et leurs photos sont à la une des journaux. Et cela grâce à la révolution égyptienne qui les a propulsés sur le devant de la scène nationale et même internationale pour certains, à l’exemple de Waël Ghoneim, directeur de marketing à Google Moyen-Orient. Ghoneim arrive en tête du classement du Time Magazine des personnalités les plus influentes dans le monde. Pendant la révolution égyptienne fin janvier, Waël Ghoneim est passé du statut d’ingénieur anonyme à celui de leader de la révolution en quelques jours seulement. Il a mené le mouvement de contestation à partir de ses comptes Facebook et Twitter, grâce auxquels il envoyait des messages de soutien aux cyber-dissidents emprisonnés ou battus à mort par des policiers du régime de Moubarak. Ghoneim est alors interpellé à son tour le 27 janvier et libéré douze jours plus tard.

Lors d’une interview télévisée accordée à la chaîne égyptienne Dream 2, il a fondu en larmes en voyant les photos des jeunes Egyptiens tués lors des manifestations. Le lendemain, il a été accueilli en héros sur la place Tahrir. « Son rôle dans la révolution a été symbolique, mais aujourd’hui, Waël Ghoneim se plie au sens du devoir et de la responsabilité envers son pays. N’a-t-il pas annoncé sur Twitter qu’il prenait une année sabbatique de chez Google pour lancer une ONG ? Il veut utiliser les nouvelles technologies pour lutter contre la pauvreté et améliorer le niveau de l’enseignement en Egypte », commente Karim, médecin qui s’est installé à Tahrir pendant la révolution pour soigner les blessés. Et d’ajouter : « Où sont les stars égyptiennes ? Elles font pâle figure. Elles devaient être au premier rang de la contestation populaire. Beaucoup étaient embarrassées et ne peuvent ni se ranger du côté de la population qui manifeste, craignant le régime de Moubarak, ni se ranger du côté de l’Etat, de peur de perdre leur popularité auprès du public ! Aujourd’hui, ces stars sont devenues minuscules à mes yeux ! Oum Kalthoum, Abdel-Halim, Fayrouz et Youssef Chahine, eux, connaissaient réellement la valeur de l’honneur et de la dignité ! ».

Le jeu de l’ancien régime

Des doigts se pointent déjà sur ceux qui ont d’une manière ou d’une autre fait partie ou joué le jeu de l’ancien régime. Connus pour leur loyauté au président Moubarak, plusieurs artistes célèbres ont disparu du paysage médiatique depuis le début de cette révolte. C’est le cas par exemple du chanteur Tamer Hosni qui a été expulsé de la place Tahrir par les manifestants. Il avait déclaré que Moubarak était son père ou encore le zaïm (le leader). Ou encore Adel Imam, sommité de la comédie égyptienne, qui n’a pas cessé de répéter que le président et ses hommes ont préservé l’Egypte pendant 30 ans, en apportant la paix au pays. Il y a aussi Talaat Zakariya, l’acteur du film Le Cuisinier du président, qui a traité les jeunes de Tahrir de « gens méprisables », ainsi que le chanteur Mohamad Fouad qui a déclaré qu’il « se suiciderait » en cas de démission de Moubarak. Sans oublier Afaf Choeib, une comédienne qui n’a pas caché son regret face aux événements et notamment au couvre-feu qui l’empêche d’acheter à son petit-fils la pizza et le kébab. La presse égyptienne a aussi rapporté que le chanteur Amr Diab s’est envolé avec sa famille vers l’Angleterre. En revanche, d’autres stars connues ont préféré suivre la révolution dans leurs domiciles, c’est le cas de Mohamad Sobhi et de Yéhia Al-Fakharani, qui se sont exprimés avec tristesse et douleur sur la situation dans le pays à travers Al-Jazeera Moubasher.

Cependant, face à ces grands perdants, qui sont sortis du cœur du public, deux jeunes Egyptiens ont créé un groupe. Ils appellent au boycott des artistes qui ont exprimé leur soutien au régime durant les manifestations. « C’est nous qui les avons transformés en stars, nous avons acheté leurs albums, nous sommes allés voir leurs pièces, nous avons téléchargé leurs films … », lance Samir, l’un d’eux. Tareq Al-Chénnawi, ce critique de cinéma, pense que tout événement historique est accompagné d’une mémoire et d’un imaginaire qui se forgent sur l’instant. Inutile d’essayer de créer une mythologie de la révolution du 25 janvier en y transposant des idéaux propres d’art militant ou de représentativité sociale des artistes. Oum Kalthoum a su rester dans les mémoires comme la plus grande cantatrice de l’histoire arabe. Pourtant, il ne faut pas, d’après lui, mettre tous les artistes dans le même panier, vu que plusieurs d’entre eux ont été les premiers contestataires du régime, à l’instar du grand acteur Salah Al-Saadani, Khaled Aboul-Naga, Khaled Youssef, Hani Salama, Amr Waked, ou encore le poète Hicham Al-Gakh, dont les poèmes engagés ont beaucoup de succès sur Internet.

Mensonges et futilités

Selon la sociologue Nadia Radwane, les derniers événements vécus par l’Egypte ont remis à l’ordre du jour la relation entre les artistes et les jeunes. La révolution du 25 janvier a réveillé les jeunes de leur « coma ». Ils se sont enfin libérés de tous ces mensonges et futilités. « Les jeunes ont commencé à bien réfléchir et à changer leurs conceptions face à leurs idoles après que ces derniers eurent enlevé leurs masques et montré leurs vrais visages. Adieu aux stars comme Tamer Hosni. Sa vidéo a été reçue avec mépris par les groupes contestataires de Facebook. Difficile de voir Hosni arriver en grande pompe au milieu d’une foule en liesse qui l’attend pour lui serrer la main, après avoir été condamné à une peine de prison pour avoir falsifié son acte de naissance afin d’échapper au service militaire », souligne Nadia Radwane. Et d’ajouter que Waël Ghoneim et ces milliers de jeunes ne sont que l’expression d’une nouvelle génération politique. Ils ont porté de nouvelles valeurs qui ont fait irruption sur la scène politique et ont introduit les valeurs du courage et du sacrifice de soi au lieu des calculs politiques des acteurs et des stars traditionnels.

Aïda, la trentaine, qui était fan de Tamer Hosni, confie qu’elle le boude depuis sa prise de position durant la révolution. Son idole aujourd’hui est Amr Hamzawi, ce directeur de recherche à la Fondation Carnegie au Moyen-Orient pour la paix internationale et membre du Comité des sages. « Non seulement il est élégant, charmant et séduisant, mais c’est aussi un homme à la sagesse communicative qui parvient à toucher toutes les couches de la société. Il ne se contente pas de décrire la réalité : il œuvre pour la transformer », précise Aïda. Et d’ajouter : « La nouvelle ère qui est la nôtre ne veut plus d’ambivalence ». Elle exige une intransigeance claire et une prise de position indubitable en faveur des revendications légitimes du peuple. Aujourd’hui, il faut compter avec un nouvel acteur qu’on s’est obstiné à ignorer pendant longtemps, un unique acteur disposant de lui-même et de ses goûts : le citoyen

Chahinaz Gheith


 

Les cheikhs, stars de la révolution

Si l’on observe le rôle des différentes forces religieuses pendant la révolution, on ne peut que constater qu’il a été très conservateur, politiquement parlant. Le grand mufti et le cheikh d’Al-Azhar ont émis des fatwas sur demande, interdisant les manifestations sous prétexte qu’elles représentaient une forme de contestation contre le pouvoir des dirigeants (waliy al-amr), interdite par l’islam. Un fossé entre la dynamique de la rue et celle des acteurs religieux officiels s’est alors formé. Rares sont les acteurs religieux qui ont soutenu le mouvement de protestation dès le premier jour, comme le cheikh Youssef Al-Qaradawi.

Ce cheikh, un des plus influents du monde sunnite contemporain — et dont les émissions sur la chaîne Al-Jazeera rencontrent une audience inégalée dans le monde musulman — a galvanisé des centaines de milliers de personnes à la place Tahrir pour la prière du vendredi suite à la révolution égyptienne. Dans son prêche, il a mis en garde les autres dirigeants arabes et appelé à pouvoir aller prier en Palestine, à Al-Qods. Il a recommandé patience et persévérance aux jeunes révolutionnaires et a exhorté les travailleurs, les paysans et les employés en grève, ou regroupés dans des sit-in de protestation, à travailler pour la reconstruction de l’Egypte. Il a demandé de faire confiance à l’armée qui saura répondre pas à pas à leurs légitimes revendications. Des conseils largement écoutés au sein de la population.

Qu’ils soient muftis, prédicateurs dans leurs mosquées ou à la télévision, ils ont été sommés de réagir à la révolution du peuple. Mais tous n’ont pas eu les réactions attendues : certains ont échoué, d’autres se sont rattrapés au dernier moment et seuls quelques-uns ont réussi haut la main à refléter l’engouement populaire.

Selon la sociologue Nadia Radwane, pendant la révolution, les cheikhs salafistes ont aussi joué un rôle. Avec l’extension du mouvement, ils ne se sont plus opposés à celui-ci, mais tentaient de le contenir, se contentant de rappeler l’importance de la protection des biens publics et de souligner la nécessité de s’opposer aux voyous et aux voleurs. Nadia cite à titre d’exemple Safouat Hegazi, le champion des foules, qui a prouvé être finalement plus égyptien que salafiste. Il s’est pleinement acquitté de sa tâche de « guerrier pacifique » et a fait preuve de courage en ralliant les manifestants dès le premier jour. Il a fait de son corps un rempart contre les coups assénés par les voyous du régime, le mercredi 26 janvier. Des actions remarquées par beaucoup. D’autres se sont consacrés à la prière, ne pensant qu’au meilleur moyen d’éviter que le sang des innocents ne coule davantage.

Prendre la parole à la télévision était une autre possibilité. C’est ce qu’a fait le cheikh Mohamad Hassane. Ce cheikh, dont l’étoile brille plus fort d’un jour à l’autre, notamment après le rôle qu’il a joué lors des violences contre l’église de Saul à Atfih, a lui aussi profité des circonstances. Fidèle à lui-même et parfaitement dans son rôle de « conciliateur humaniste sincère », préférant toujours le dialogue à toute autre initiative, il possède une page sur Facebook au succès grandissant. Un grand nombre de visiteurs lui demandent désormais de présenter sa candidature à la présidentielle. Un tremplin appréciable ...

Curieusement, c’est celui que l’on croyait le moins enclin à se mêler de politique, à savoir le jeune prédicateur branché Amr Khaled qui a le plus clairement soutenu le mouvement de protestation. Non seulement il a d’emblée appuyé le soulèvement avec des demandes clairement politiques (notamment la révision de la Constitution), mais il a aussi appelé les militants de son réseau d’initiatives de développement à soutenir les actions en cours et s’est engagé à envoyer 50 000 jeunes dans la rue pour protéger les institutions publiques. Amr Khaled s’est rendu à plusieurs reprises sur la place Tahrir et a appelé le régime à écouter les demandes de la jeunesse. « Si la dynamique de politisation de ce prédicateur s’inscrit dans un processus de longue durée, la contestation en Egypte l’a clairement accélérée et clarifiée », conclut Radwane.

Chahinaz Gheith

 

 




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