Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Les diables de l'asphalte

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 Semaine du 25 au 31 mai 2011, numéro 872

 

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Nulle part ailleurs

Transports . Depuis son apparition dans les rues, le microbus n’a cessé de provoquer des remous. Incontournable, ce véhicule est méprisé de ceux qui l’utilisent comme de ceux qui le croisent. Mais les chauffeurs aussi sont des victimes ...

Les diables de l'asphalte

Ces chauffeurs aux mines patibulaires que l’on voit tous les jours au volant des microbus sont devenus un élément caractéristique du Caire. « Ramsès — Abboud », crie un chauffeur alors qu’un autre répète sans arrêt : « Midane Tahrir — Mazallat » tout en formant de la main une circonférence, symbole du rond-point. Un troisième hurle comme un sourd : « Choubra – Al-Teraa » tout en disposant ses deux mains en croix pour signifier un carrefour. Une cacophonie de hurlement et de mimiques gestuelles forme le quotidien de ces chauffeurs un peu particuliers ...

Un Etat dans l’Etat ? Peut-être. Et son pouvoir ne cesse de monter et de s’imposer, surtout depuis la diminution des forces de police dans les rues du Caire. Les chauffeurs de microbus — il est impossible de ne pas le constater — ont abusé de cette situation. « Alors que ces chauffeurs n’ont pas le droit de rouler sur les ponts pour des raisons de sécurité, aujourd’hui ils le font et même devant des agents de police. D’autres vont plus loin en circulant en sens interdit », se plaint Doaa, qui cite l’exemple du policier de Maadi qui s’était fait agresser car il essayait de réprimer un chauffeur de microbus.

Depuis son apparition dans la rue égyptienne à la fin des années 1990, le « microbus magique » ne cesse de provoquer des remous. Aujourd’hui, ces véhicules envahissent les rues du Caire, raflant tout sur leur passage. Selon les chiffres de l’Administration centrale de la circulation, le nombre de microbus qui parcourent les rues du Grand-Caire atteint désormais 10 000.

D’après les études de l’Organisme du trafic, les microbus transportent environ 2,5 millions de citoyens par jour. Les chauffeurs règnent en maître dans les rues du Caire et dans d’autres grandes villes d’Egypte et arrivent à satisfaire quasiment tous les besoins en déplacements. « Lorsque les chauffeurs de microbus ont fait grève le mois dernier, la capitale a été complètement paralysée. Les gens s’entassaient sur les trottoirs et on a dû attendre plus de deux heures pour rentrer chez nous », confie Siham, avocate de 36 ans. Un constat qui révèle que leur présence nuisible est cependant indispensable.

La grève s’est terminée par une décision du procureur général stipulant que ces chauffeurs peuvent renouveler leurs permis de conduire sans avoir à verser les amendes qui leur ont été infligées. Un encouragement à enfreindre davantage les règles de conduite ...

Monde à part

Un petit monde qui a imposé sa présence et son diktat à tout ce qui tourne autour de ce moyen de transport inévitable. Les enfants font partie de ce monde. Les chauffeurs se servent de gamins qui tiennent debout sur les rebords des portières pour ramasser l’argent des billets. Ils n’oublient pas d’annoncer l’itinéraire du véhicule aux passagers. Dans toutes les stations, des hommes aux allures de vigiles organisent le va-et-vient des véhicules contre une somme d’argent qu’ils imposent de force.

Malgré tous ces chauffeurs uniques en leur genre — qui subissent et font subir —, ils tentent de survivre, cernés par des fripouilles qui sucent leur sang. « C’est un microcosme de la société égyptienne. Une société en pleine crise qui tente de sortir de l’impasse. Il est vrai que ce véhicule est synonyme de conditions de misère de personnes marginalisées par la société. Des véhicules qui sèment aussi où ils passent une culture de chaos et donne un spectacle où la loi du plus fort règne. Pourtant, ce moyen de transport a réussi au cours des dix dernières années à faire diminuer le nombre des chômeurs », analyse la sociologue Madiha Al-Safti, professeur à l’Université américaine.

« Les chauffeurs de microbus ont créé une nouvelle façon de conduire. Ils ont fait apparaître un véritable bouleversement dans le monde du transport », assure Yasser Ayoub, écrivain à l’hebdomadaire Al-Youm Al-Sabie, dans son article « Le microbus, un dossier de sécurité d’Etat ». Un chaos qui ne semble pas avoir de justification pour tous ceux qui visitent le pays pour la première fois et vivent cette aventure : celle de faire le tour du Caire en microbus.

Le journaliste américain Jeffrey Flashman, qui s’est lancé dans cette aventure pour rédiger son article, donne son point de vue : « Le microbus peut être comparé à une souricière. Des voitures en très mauvais état, bourrées de passagers et qui circulent avec difficulté dans les rues et ruelles de la ville. Ces microbus sont le reflet d’une ville accablée par des problèmes de tous genres ». Un constat qui a attiré l’attention du ministère américain des Affaires étrangères qui n’a pas hésité à lancer plusieurs appels à ses ressortissants pour les avertir du risque qu’ils encourent en prenant un microbus.

Mais cette « vision américaine » ne semble pas plaire aux fidèles du microbus. Hanane, un femme de ménage de 29 ans, assure que le microbus est le moyen de transport le plus adéquat pour les pauvres. « Au moins, on a une place où s’asseoir. Le microbus est le moyen de transport public le moins cher. Mais c’est un calvaire au quotidien que de le prendre. Même si le bus est plein à craquer, le chauffeur continue de faire monter des passagers. Parfois même, ils se tiennent sur le rebord de la portière alors que le véhicule roule à toute allure. Ce qui est un véritable danger », commente-t-elle. Elle ajoute : « Si le microbus disparaît des rues du Caire, les souffrances des pauvres pour se rendre au travail ou rentrer chez eux vont s’amplifier. L’énergie dépensée dans les moyens de transport sera encore plus grande ».

Victimes du métier

Les chauffeurs de microbus sont aussi victimes d’actes de violence. « C’est pour cette raison qu’on a été présents à la place Tahrir. Nous sommes malmenés par tout le monde », lance Mahmoud, un chauffeur. Il poursuit : « Notre travail est un véritable casse-tête. On doit verser des pots-de-vin tout le long du trajet. Aux stations gérées par des gens qui dépendent de la police, on doit verser encore de l’argent. Ceux qui entretiennent de bonnes relations avec les policiers bénéficient d’une certaine immunité. Il nous arrive même de verser de l’argent aux agents de la circulation pour éviter les contraventions qui peuvent atteindre 500 L.E. Et c’est bien la raison de notre dernière grève. Nous sommes cernés de partout pour ce gagne-pain amer ».

Pourtant, certains chauffeurs gardent un côté humaniste. « Dans les stations, on rencontre d’anciens chauffeurs qui ont été victimes d’un accident de la route. Et on n’hésite pas à leur donner une petite somme d’argent pour survivre », poursuit Mahmoud.

Pour atteindre le monde des grands, celui des minibus qui circulent dans les rues du Caire depuis des décennies, la tâche des chauffeurs de microbus a été dure. Il fallait qu’ils montrent leurs biceps pour s’imposer. « Les chauffeurs de microbus sont un peu responsables de la montée de la violence dans la rue égyptienne. Nombreux sont ceux qui portent une arme blanche sur eux et qui n’hésitent pas à l’utiliser en cas de nécessité et avec beaucoup d’habileté », confie Abdel-Rahmane, un journaliste qui utilise ce moyen de transport pour se rendre à son travail. Il suffit de lire les pages de faits divers pour le constater. Quelques mois avant la révolution, un chauffeur de microbus a tué un policier qui a essayé de porter secours à une fille victime d’une tentative de viol. Autre scène, autre image : à Mahalla, les chauffeurs de microbus ont coupé la route pour empêcher les autobus publics de passer. Dans ce gouvernorat, un groupe de jeunes avait lancé un appel sur Facebook demandant aux citoyens de boycotter le microbus après la hausse du prix du billet.

Leur propre code

On accuse aussi les microbus d’être les responsables du chaos, de la laideur et de l’absence de discipline dans la rue égyptienne. « Ces chauffeurs s’arrêtent n’importe où pour prendre ou faire descendre des passagers sans tenir compte ni des feux de signalisation ni du code de la route. Ces chauffeurs ont leur propre code. La semaine dernière, le pont du 6 Octobre a été bloqué durant une demi-heure. La raison était qu’un microbus s’était garé sur une pente pour prendre des passagers. Deux jours après, un chauffeur de microbus a osé prendre l’autoroute en sens inverse ! », confie Karim, un ingénieur.

Selon son humeur, le chauffeur fait des détours ou change de destination pour réaliser un maximum de gain. Et le simple citoyen n’a pas droit à la parole ...

« Beaucoup de chauffeurs de microbus n’ont pas de permis de conduire. Ils sont parfois au volant alors qu’ils sont sous l’emprise de la drogue. Beaucoup d’entre eux sont des repris de justice et leurs casiers judiciaires sont loin d’être vierges », avance Tareq, journaliste. Il poursuit : « Au Ramadan dernier, l’écrivain Abdel-Rahmane Tewfiq, vice-ministre au ministère de l’Information, a trouvé la mort sous les roues d’un microbus. C’était à la suite d’une bagarre et le chauffeur n’a pas hésité à l’écraser devant tout le monde ».

A l’intérieur du microbus, l’image des chauffeurs n’est pas plus reluisante. « Le chauffeur impose son goût en matière de musique et gare au passager qui s’y oppose ! », lance Nahla, une fonctionnaire habituée de ce moyen de transport. Elle se tait un instant puis raconte : « Je suis montée dans un microbus il y a deux jours et le chauffeur a blasphémé en se cognant la tête contre le pare-brise, sans s’excuser par la suite. Cinq minutes plus tard, il a mis une cassette d’un cheikh très rigoriste et nous a obligés à nous taire pour entendre son discours. Un contraste incompréhensible et une dictature non justifiée, surtout que certains passagers sont des coptes et ne sont pas obligés d’entendre une chose qui ne les concerne pas ». Entre les malheurs des chauffeurs et ceux que ces derniers font subir aux passagers, le microbus reste un monde à part : un monde peu apprécié et pourtant indispensable.

Dina Darwich

 




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