Dans Al-Aberoune (les passagers),
Al-Béchir Bin Salama
tisse un roman en quatre volets, où la souffrance et le
plaisir éloignent l’empreinte de la raison. Tout comme
l’expérience de la vie.
Les passagers : Aïcha
Ali arriva dans son village pour rendre visite à sa famille
après une longue absence. Dès qu’il pénétra dans la maison
familiale, il apprit que Aïcha, la compagne de sa jeunesse,
avait répondu à l’appel de son Dieu tôt le matin et qu’elle
s’était débarrassée de la souffrance dont elle avait goûté
les affres de tous genres bien qu’elle ait été encore proche
des années de jeunesse.
Il ne pouvait imaginer que Aïcha la fille pleine de gaieté,
qui aimait la vie avec espoir, intelligence et finesse,
serait le jeu des orages de la vie et s’en irait aussi
rapidement et avec cette violence destructrice.
Il posa sa main droite à la place du cœur pour atténuer ses
coups rapides. Pourtant, il ressentit des piqûres comme
celles des aiguilles qui lui frappaient le cœur. Il pressa
l’endroit de la douleur avec sa main et la fit taire en
disant :
Il aurait mieux valu que les larmes se répandent, faisant
éclater toute la douleur pour la faire disparaître.
Mais la douleur lorsqu’elle se terre dans le cœur de cette
manière est semblable à un défunt qu’on pose dans un tombeau
pour qu’il soit la proie des vers qui font disparaître tous
les détails de l’être pour en faire partie du néant. La
douleur qui habite le vivant est semblable au vers qui ronge
le mort. Tous deux ne causent que des dégâts à leurs
propriétaires. Qui parmi les vivants n’est pas à la merci du
sentiment de douleur qui en devient maître, ébranlant son
être ? De la même manière qu’agit le plaisir qui est
l’antidote de la douleur.
Il avait compris que le plaisir et la douleur avaient pris
en otage tous ceux qu’il avait connus alors qu’il était
enfant ou adolescent. Il avait rarement trouvé de place
importante pour la raison. Combien souvent les vents de la
douleur ou du plaisir soufflèrent sur le bateau de la vie
pour les faire basculer sur les feux des sentiments. Il ne
trouva aucune voile capable de maîtriser et de faire face à
ses caprices en s’aidant de la raison et de ses lois.
Il se dirigea tout de suite vers l’endroit des condoléances
à côté de sa maison et il y trouva la famille de Aïcha : son
deuxième mari, son père et ses frères. Il présenta à tout ce
monde ses condoléances. Il attendit là-bas la sortie du
cercueil.
La pluie commença à tomber en fines gouttelettes,
dispersées. Un vent froid souffla qui lui frappa la joue et
qui se faufila à sa jambe. Il se réveilla d’un genre de
perte de sens qui l’avait immergé. Il revit alors rapidement
le parcours de la vie de Aïcha et combien nombreux sont ceux
qui installés sur les sièges actuellement l’avaient menée
rapidement à là où elle était arrivée maintenant : son père
Al-Taher, son frère Al-Nasser, son deuxième mari Al-Moukanaz
et son neveu Al-Azhar.
Il revint à son semblant de coma de nouveau. Toutes les
personnes assises en face de lui disparurent comme sous
l’effet de la magie. Et Khaled, le premier mari de Aïcha,
fit son apparition bien droit devant lui. Il était un jeune
officier à l’armée française, grand de taille, vêtu d’un
uniforme militaire élégant. Il avait à la main un genre de
bâton qui lui permettait de battre Salem le rabib de Aïcha
qui portait les vêtements d’un simple soldat. Les coups se
précipitèrent tellement qu’ils trouèrent les oreilles de Ali
et les cris de Salem montèrent. Mais Ali frotta ses yeux et
il découvrit que les cris arrivaient de la maison du défunt.
Les coups venaient de leur essai de faire entrer le cercueil
de la porte dont les angles refusaient d’obéir et se
pressaient de force contre le mur.
Il vit à nouveau à ce moment les personnes assises sur les
chaises les visages rembrunis. Il n’y avait aucun bruit si
ce n’est l’activité des mouches qui tombaient sur les têtes,
les épaules, les nez et les yeux comme si elles
participaient à des noces. Les mains les chassaient
dignement et de manière respectable. A l’exception
d’Al-Taher qui fut dérangé par une mouche qui fit de son
mieux pour visiter son nez, les prunelles de ses yeux, comme
si elle l’espionnait et qu’elle voulait connaître le degré
de la douleur de ses larmes et de ses muqueuses. Il était
comme une personne qui avait pris conscience du jeu de la
mouche et il décida de la poursuivre. Il dressa la main
rapidement, la renvoya au loin et l’attrapa sans merci. Puis
il appela celui qui mènerait le cercueil et le suivit
jusqu’au tombeau.
Pourtant, Ali remarqua à côté de la défunte sur le cercueil
un autre petit corps enroulé dans un tissu et il ne put
s’empêcher de demander à l’un des proches en secret la
raison de ceci. Il lui dit :
C’est sa nièce qui est morte le même jour et de la même
maladie, la tuberculose que Dieu nous en préserve à tous.
Elle l’aimait beaucoup et demandait toujours à Dieu qu’elle
l’accompagne partout. Dieu lui a exaucé son vœu. Chose
étrange, je vous jure.
Les gens marchèrent entre les ruelles et les passages
jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au tombeau. Ils enterrèrent
Aïcha et la petite fille. Les parents se mirent debout sous
un arbre pour recevoir les condoléances des gens. Ali
attendit un moment. Il lança un regard à Al-Taher son frère
et il le trouva troublé et la mouche poursuivait encore son
pirouettement autour de lui. Cependant, elle n’arrivait pas
à attendre longtemps près de ses prunelles. La main de
Taher, alors qu’il saluait les personnes qui présentaient
leurs condoléances, ne lui donnait pas l’occasion de se
venger de sa sœur morte il y a peu.
Mais alors qui prendrait la vengeance de Aïcha après tout ce
qui lui était arrivé ?
Tout ce qui lui était arrivé Ali le connaissait. Etape par
étape surtout que Aïcha lui avait raconté un an avant sa
mort ses épreuves. Mais il connaissait également d’autres
détails, qui avaient été absents de Aïcha et qu’il avait
rapidement attrapés par-ci par-là depuis que son père
Al-Taher avait quitté le village et qu’il s’était établi
dans la capitale qu’il avait quittée définitivement sans
retour.
Traduction de Soheir fahmi