Privatisations . Les
mauvaises performances de plusieurs entreprises privatisées incitent ouvriers
et activistes à demander un retour dans le giron du gouvernement. Un choix
qu’il se refuse pour l’instant à faire. Enquête.
Appel pressant pour nationaliser
La volonté d’un retour au
secteur public est de plus en plus pressante chez les ouvriers d’usines
privatisées. L’espoir est de généraliser l’exemple de Omar Effendi avec la
décision de la Cour administrative d’invalider le contrat de vente à
l’investisseur saoudien Anwal. « Ce verdict nous a incités à poursuivre nos
protestations. J’ai beaucoup souffert sous la tutelle du secteur privé. Ce
dernier veut liquider l’activité de la société pour vendre les terrains »,
souligne Khaïry Marzouq, le président d’un syndicat des ouvriers auprès de la
société Al-Nil pour l’égrenage du coton (voir encadré). Il a déposé une plainte
au niveau du procureur général réclamant le retour de la société au secteur
public, souligne-t-il à l’Hebdo. Khaïry est l’un des milliers d’ouvriers d’une
dizaine de sociétés privatisées ayant organisé des protestations ces deux
derniers mois. Après avoir vécu des années de souffrance sous une gestion
privée, ils condamnent le gaspillage des richesses de leurs entreprises. La
liste des sociétés comprend 7 entités (sur 300 entreprises privatisées) :
Salemco, la société pour les équipements téléphoniques, Automobile Al-Nasr,
Tanta pour le lin et l’huile, Telemisr, la société égypto-américaine,
Amnestionn.
L’appel à la nationalisation est
appuyé par une large catégorie de la société. Selon un sondage sur la
corruption effectué sur 1 737 personnes, « 90 % d’entre elles soutiennent le
rôle de l’Etat dans la gestion de l’économie », souligne l’étude publiée par le
Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram il y a un mois. Un
autre rapport du « Centre de la Terre pour les droits de l’homme », portant sur
la corruption ayant accompagné la vente des entreprises publiques en Egypte,
souligne que les recettes de la privatisation de 314 sociétés depuis le début
du programme ont été de 32 milliards de L.E. tandis que le montant des
analystes est de 320 milliards de L.E. « L’écart entre les deux chiffres marque
le volume de l’argent volé », note Ibrahim Al-Essawy, expert économique et
membre du parti de la coalition populaire. Le rapport note que les ouvriers
sont les victimes de la privatisation. « Leur nombre était de 1,25 million au
début du programme, mais en raison de la vague des licenciements dans le
secteur privé, leur nombre est de 400 000 actuellement », mentionne Karam
Saber, avocat auprès du Centre de la Terre.
Malgré les sondages révélateurs,
le gouvernement fait la sourde oreille. Surtout que les Etats-Unis, principaux
fournisseurs d’aides, ont exprimé un refus net à la tendance. L’ambassadrice
américaine au Caire, Margaret Scobey, a assuré lors d’une table ronde la
semaine dernière que « la nationalisation serait un coup pour l’investissement.
Le secteur public ne pourra pas résoudre les problèmes, l’Histoire a prouvé que
la privatisation est plus apte à aider les pays à passer à la démocratie ». Adel
Al-Mozi, chargé de gestion au ministère d’Investissement, s’est abstenu de
discuter de la validité de cette tendance en précisant à l’Hebdo que « son
ministère examinera les sociétés privatisées à condition d’avoir un fondement
juridique. Sinon, la nationalisation est loin d’avoir lieu », souligne-t-il. Mohsen
Al-Jilani, président de la société holding du textile (publique), est à la tête
des opposants, décrivant la nationalisation comme étant « un pas en arrière ». Pour
lui, l’exemple de Omar Effendi est « un cas particulier » qui ne devrait pas
être généralisé.
Un processus difficile
Magda Qandil, directrice du
Centre égyptien pour les études économiques, un think tank d’investisseurs
égyptiens, énumère les difficultés dans le cas où le gouvernement déciderait de
reprendre ces entreprises. « Le retour au secteur public n’est pas une mission
facile, puisque le gouvernement a déjà prouvé son échec à les gérer »,
dit-elle. Pour elle, « il faut être très vigilant en étudiant le choix de la
nationalisation ». Une étude menée sur les entreprises privatisées a précisé
que les nouveaux propriétaires n’ont pas injecté de nouveaux investissements
dans leurs entreprises. « Il faut réviser la performance financière des
sociétés privatisées au niveau de la productivité et des profits avant et après
la privatisation pour pouvoir évaluer », dit-elle.
Même les partisans de la
nationalisation ont des réserves. Ibrahim Al-Essawy note que le moment est
propice pour réviser les contrats conclus dans le cadre de la privatisation,
surtout que la majorité sont entachés de corruption. « La nationalisation est
acceptable si le juge dit qu’il y a corruption. Ce système est adopté par un
grand nombre de pays », souligne-t-il.
Opinion partagée par Hussein
Abdel-Hadi, coordinateur du mouvement « Non à la vente de l’Egypte ». Pour lui,
« il faut se hâter pour présenter des plaintes auprès du procureur général,
afin que les enquêtes commencent ».
De sa part, Ahmad Al-Naggar,
expert économique au CEPS d’Al-Ahram, trouve qu’il est préférable pour qu’une
société redevienne publique de prouver l’existence de cas de collusion entre
responsables gouvernementaux et acheteurs. L’exemple le plus flagrant est la
société Al-Maragel, unique productrice des chaudières à vapeur au Moyen-Orient,
vendue en 1994 pour 17 millions de L.E. Après quelques années, elle a été
liquidée et ses terrains sur le Nil ont été vendus à un prix très élevé pour le
compte d’un grand projet touristique. « Ce cas n’est pas isolé. Il y a aussi le
cas de la société d’équipements téléphoniques entre autres. En somme, la
nationalisation est faisable, mais de manière restreinte et avec des conditions
», conclut Al-Naggar.
Dahlia Réda
Gilane Magdi