Coupures de Presse . Petites escales et gros plan sur des informations d’arrière-plan, du Sinaï au quartier de Boulaq Al-Dakrour au Caire en passant par la Haute-Egypte, et les écoles du dimanche.

L’Egypte à deux vitesses

Première escale au Sinaï où, d’après le quotidien Al-Shorouk, 10 tribus ont mis au point une « déclaration constitutionnelle coutumière pour affronter les problèmes du Sinaï ». Il s’agit, selon le journal, qui place l’article en haut de page, d’une réunion populaire des chefs de tribus pour « faire face aux carences sécuritaires et à la tension, et s’entendre sur des règles pour maîtriser la situation ». La réunion s’est soldée par la signature d’un document intitulé « la régulation sociale et la réactivation de la justice coutumière ». Il est question, selon les signataires, de faire face aux « déviations qui se propagent dans la société sinaouie ». Parmi les points importants : « la protection des biens de l’Etat à l’intérieur du territoire de la tribu. Interdire Shiaat al-dam, qui veut dire que la famille de la personne tuée peut, dans les trois jours qui suivent l’assassinat, tuer et spolier les biens du tueur et de sa famille ». Si les intentions sont bonnes, il n’en demeure pas moins qu’elles sont loin de l’esprit de Tahrir d’instaurer un Etat de droit. Paradoxalement un petit article en bas de page dans le quotidien Al-Wafd illustre cette juxtaposition de deux Egyptes sur tous les plans d’ailleurs, et annonce : « Charaf discute avec les conseils spécialisés de l’urbanisation du Sinaï ». Le chef du gouvernement a discuté avec ces conseils le rapport de la commission des politiques financières et économiques sur l’urbanisation du Sinaï qui met l’accent sur « la nécessité de transformer le projet de développement du Sinaï en projet national, afin de changer radicalement le Sinaï ».

Dans le journal en ligne Al-Badil, Bassel Ramsis revient, lui, sur cette juxtaposition à travers la question des écoles du dimanche. « Ces écoles sont une institution à part entière à l’intérieur de l’Eglise égyptienne, elles remontent, selon certains, au XIXe siècle, et leur mission était d’appendre aux enfants et aux jeunes les préceptes de la religion. Or, durant les dernières décades, elles ont connu une profonde transformation pour devenir des mastodontes qui offrent divers services aux jeunes coptes allant des excursions au cours de soutien en passant par la création de clubs sportifs. Bref, toutes les activités qui leur permettent de vivre à l’intérieur d’une société à part entière et les dispensent de côtoyer la société qui entoure l’église. Et peu à peu, ils commencent à regarder la société avec suspicion, puis avec du refus. La sécurité pour eux ne se réalise qu’aux côtés de Jésus et de ceux avec lesquels ils partagent tout à l’intérieur de l’enceinte de cette société ecclésiastique ». Et de conclure : « Maintenant, l’Egypte de janvier est le lieu qui a le pouvoir de donner la possibilité historique de mettre fin aux écoles du dimanche ou aux écoles du vendredi, pour permettre aux citoyens de sortir de leur chasse gardée religieuse. Ces barricades solides qui nous séparaient du régime au temps de Tahrir et que nous poussions au fur et à mesure pour libérer plus d’espace doivent revenir, pas pour nous séparer, mais pour isoler ceux qui œuvrent à détruire notre révolution ».

Le journal Al-Wafd a consacré un dossier aux quartiers informels, l’autre illustration de cette Egypte à deux vitesses sous le titre « Les quartiers informels … Les bombes de la pauvreté et de la violence ». Pas de chiffre exact sur le nombre de ces quartiers dont la majorité se trouve au Caire. « Les chiffres de l’Organisme de mobilisation et des statistiques parlent de 1 221 zones. 60 % des enfants sont privés d’écoles et se retrouvent sur le marché du travail. Ces quartiers comptent 18 millions d’habitants, à savoir 37 % des habitants des zones urbaines et 38 % d’entre eux vivent avec moins de 200 L.E. par mois (environ 30 dollars). Des quartiers où la densité se situe aux alentours de 128,5 habitants par km2 ». Le journal annonce que le quartier de Boulaq Al-Dakrour, qui jouxte le quartier chic de Mohandessine au Caire, est le prochain danger. « Les deux quartiers sont séparés par une ligne de chemin de fer qui n’est pas une ligne de démarcation géographique seulement, mais une séparation entre deux mondes et deux époques. Celui des routes larges, propres et ses services, et celui des ordures et de drogue ».

L’Egypte à deux vitesses c’est celle aussi des débats houleux où rumeurs et informations se livrent bataille autour du sort de l’ex-président. Son état de santé qui, tous les matins, occupe les manchettes : « stable, hors de danger, mauvais état psychologique, déprime ». Les journaux se sont transformés en vrais thermomètres qui se basent sur des experts médicaux qui vont et viennent, afin de décider la possibilité de le juger ou pas, de le transférer à la prison ou pas. Tout cela sur fond d’un autre débat sur le pardon : « doit-on lui offrir le pardon ou pas ? ». La rumeur prend toute son ampleur, ce qui fait dire au journaliste Yousri Fouda, dans Al-Masry Al-Youm : « L’expérience a prouvé en matière de médias qu’il y a une relation interactive entre le manque d’information et la rumeur. Quand la première manque, l’imagination prend toute son ampleur ».

Sur le terrain, des milliers de gens n’ont pas le loisir de l’imagination quand ils passent des heures pour obtenir une bonbonne de gaz ou un peu de gasoil : « Suite aux crises de pénurie de gasoil et bonbonnes de gaz, Assiout a connu le lot le plus élevé d’événements. Un citoyen a été tué et cinq autres blessés suite à une altercation où ont été utilisées des armes à feu. Et des milliers de personnes ont coupé l’autoroute du désert pour protester contre le manque de bonbonnes ».

La bataille du 28 janvier entre l’Egypte « des chameaux » et celle de Tahrir qui revendique la démocratie, l’Etat de droit et la dignité est loin d’être finie.

Najet Bellhatem