Politique . Deux tentatives de « dialogue national » entre les anciennes et nouvelles forces politiques ont été engagées cette semaine, sans offrir un grand espoir de rapprochement sur une vision d’avenir commune.

Le dialogue se cherche

« Nous invitons tous les citoyens à participer au dialogue national afin de parvenir à un vrai changement et à un développement réel ». C’est par ces propos que le président de la conférence du dialogue national, Abdel-Aziz Hégazi, ancien premier ministre, a inauguré dimanche au Caire les travaux qui doivent être menés dans ce cercle.

Partis et mouvements politiques, y compris dans un premier temps les Frères musulmans, syndicats, organisations de la société civile, y ont tous participé aux côtés de nouvelles formations créées par les jeunes de la révolution du 25 janvier, ainsi que des personnalités issues des milieux intellectuels, artistiques et religieux. Tout le monde était là pour discuter des « grands défis » auxquels l’Egypte doit faire face durant cette période de transition. Il s’agit précisément du développement humain, social, économique et culturel, de la tolérance religieuse, de la promotion de la démocratie et des droits de l’homme et, enfin de la préservation des intérêts de l’Egypte dans les sphères internationales.

Mais faute d’organisation et de mécanismes du dialogue, la conférence a annoncé son échec dès ses premières séances. Une centaine de membres du PND (ex-Parti National Démocrate au pouvoir) ont été invités à participer aux travaux du dialogue. « En entrant à la salle de la conférence, nous avons eu l’impression qu’il s’agissait d’une conférence du PND. Les anciens de ce parti se sont installés aux premiers rangs avec les révolutionnaires. Ceci a provoqué notre colère. Nous avons tout de suite compris qu’ils cherchaient à faire échouer la révolution », lance Georges Ishaq, activiste et ancien opposant. « Je ne sais pas qui les a invités et sous quelle prétexte. S’agit-il d’un dialogue national ou bien d’une réconciliation avec l’ancien régime ? Et comment ces gens là peuvent-ils oublier qu’ils étaient à la base de la corruption politique, économique et sociale dont souffre le pays ? », s’indigne-t-il.

Le chaos règne dans la salle. Les révolutionnaires refusent d’entamer la deuxième séance qui doit traiter de l’Egypte de l’après-révolution avant que les ex-PND ne quittent la salle. Ils scandent des slogans hostiles à l’ancien régime. « Nous ne voulons pas du parti qui nous a tiré dessus à balles réelles » ; « C’est eux qui doivent partir, nous ne partirons pas ». Face au refus de certains PND de quitter la salle, les « nouvelles forces de la révolution » décident de se retirer de la séance et de suspendre leur participation au dialogue national.

« Les ex-membres du PND ne sont pas tous des assassins ou des corrompus », se défend l’ancien magistrat Mortada Mansour, qui avait été accusé d’implication dans l’agression des manifestants de la place Tahrir mais qui vient d’être innocenté par la justice. Amr Hamzawy, politologue et fondateur d’un nouveau parti, est lui contre le principe de l’exclusion : « La politique de l’exclusion est contraire à la démocratie et au principe du dialogue. Toutes les forces politiques, quelles que soient leurs divergences, devraient y participer ».

Problème de priorité

Parallèlement, un autre « dialogue » tentait sa chance. Il s’agit d’une conférence sur « la réconciliation nationale » lancée la veille, le 21 mai, sous la présidence du vice-premier ministre, Yéhya Al-Gamal. Celle-ci a pour thème principal l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Néanmoins, Al-Gamal assure que « les délibérations de cette conférence ne représentent que des recommandations non contraignantes qui n’engagent en rien l’assemblée constitutive qui serait créée par le prochain Parlement ». Une affirmation qui ne peut qu’accentuer la désillusion de beaucoup de politiciens qui se sentent marginalisés dans le processus de prise de décision, notamment en ce qui concerne l’adoption de nouvelles lois.

Mais il ne s’agit pas de la seule source de désillusion. « A quoi sert de débattre de la démocratie alors que la majorité des citoyens n’ont aucune sensibilisation politique et ne savent rien de leurs droits ? Il serait mieux de discuter comment assurer le retour de la sécurité dans les rues, de la lutte contre la pauvreté et le chômage, de l’instauration d’une justice sociale ou comment prévenir la crise économique qui plane à l’horizon », estime Hussein Abdel-Razeq, secrétaire général du parti du Rassemblement (gauche).

« Ce n’est qu’une perte de temps. Ni les différentes forces ne vont parvenir à un accord sur les questions traitées, ni les recommandations de ces discussions ne seront appliquées. Il paraît qu’il s’agit d’une manœuvre pour occuper les forces politiques par des conflits internes entre eux, au lieu de s’intéresser à la corruption ou de préparer les prochaines élections législatives », conclut à sa manière Hassan Hamdi, ancien parlementaire et membre des Frères musulmans.

Héba Nasreddine