Exposition . Salah Taher (1911-2007) a dû
flirter avec tous les courants artistiques de son époque jusqu’à parvenir à ses
propres outils d’expression abstraite. 450 œuvres mettent en lumière son
parcours, pour fêter son centenaire.
Le révolutionnaire des couleurs
100
œuvres célèbrent les 100 ans de l’anniversaire de Salah Taher
(1911-2007), pionnier de la 2e génération des artistes égyptiens. C’est ce que
propose la galerie Zamalek, qui a choisi
minutieusement 450 œuvres de la collection privée de la famille de l’artiste,
dont 100 œuvres figuratives datant des années 1960, variant entre esquisses à
l’encre de chine, aquarelles et acryliques.
La
plupart de ces œuvres sont exposées pour la première fois. Salah Taher, artiste prolifique et libéral, disait que « l’art
est éternel alors que la vie est éphémère ».
«
Jusqu’à l’âge de 96 ans, mon père rêvait toujours de sa prochaine œuvre. D’ailleurs,
ses tableaux ont une luminosité et une énergie, comme s’il les avait peints à
la fleur de sa jeunesse. Une production si diversifiée qui s’engage dans un
académisme total, jusqu’à arriver à l’apogée d’une abstraction absolue, passant
par les divers mouvements artistiques de l’époque, dont l’impressionnisme, le
fauvisme, le semi-abstrait, et surtout l’abstraction expressionniste », signale
le fils du peintre, Aymane Salah Taher.
Son
père, l’un des maîtres incontestés de l’abstraction expressionniste, a connu
volontairement une phase de bouleversement artistique vers 1956, à l’occasion
de multiples séjours passés aux Etats-Unis. A l’époque, il se révolte contre
les restrictions de l’art académique, plonge dans son monde imagé et fonde sa
propre école : une peinture mariant le classicisme, « l’apogée de son art », et
la nature, « sa principale source d’inspiration ». Une manière aussi de se
libérer des contraintes de la reproduction réaliste qu’il considérait comme «
l’ennemi de toute création ».
Suite
à cette libération, Salah Taher crée un monde
d’expressionniste abstrait capable de surpasser les
maîtres de l’abstraction. Il se fait remarquer notamment à travers ses œuvres
des années 1960, exposées actuellement à la galerie Zamalek.
Le figuratif esquissé avec souplesse et vigueur, lesquelles caractérisent la
touche d’un académiste, incarne une allure abstraite que Salah Taher parvient à manier différemment.
Des
silhouettes d’hommes et de femmes de Nubie se dressent de manière svelte. Taher a, en effet, dirigé l’atelier de Louqsor dans les
années 1940 et 1950. Voici, entre autres œuvres au cachet très égyptien, le
portrait classique d’une paysanne, un nu ou une femme du petit peuple, des
paysages ruraux, des scènes de vie des villageois de Gorna,
etc. Le tout s’imprègne de formes abstraites riches en compositions
géométriques, en couleurs criardes avec la présence d’une troisième dimension. «
L’esquisse exprime mieux les divers sentiments, selon mon père. A travers une
abstraction lyrique, mon père laissait à son pinceau la liberté de créer des
formes, des courbes et des lignes qui s’entrecroisent. Il parvenait à traduire
des relations variées à l’aide de couleurs vivantes qui font bouger la toile »,
déclare Aymane Taher, qui
qualifie son père de « révolutionnaire », lequel s’insurgeait par ses couleurs,
ses formes et ses lignes abstraites. Une symphonie visuelle où les touches
abstraites tourbillonnent à l’infini, à la recherche de leur émancipation.
C’est
dans cet infini que se perçoivent à présent les œuvres de Salah Taher. Un avant-gardiste qui, en quelque sorte, prévoyait
l’avenir du pays. « Si mon père était encore vivant, il aurait soutenu avec
enthousiasme la révolution du 25 janvier. Il a toujours dit que l’art abstrait,
par opposition à l’art figuratif, constitue l’une des plus grandes révolutions
de l’art et de la vie », confie Aymane Taher.
Salah Taher a grandi dans un milieu d’effervescence culturelle. Il
a vécu la fondation de l’Université du Caire, le déclenchement de la Révolution
de 1919, la proclamation de la Constitution en 1923, la construction du
Haut-Barrage, ou encore la sauvegarde des monuments de la Nubie … Il a côtoyé
des pionniers de l’art, tels Mahmoud Mokhtar, Ragheb Ayyad et Youssef Kamel, et
était particulièrement proche de la diva Oum Kalthoum
et des auteurs Naguib Mahfouz, Tewfiq Al-Hakim,
Mohamad Hassanein Heykal et
Mahmoud Abbass Al-Aqqad. Autant
de personnalités qui n’ont pas échappé au pinceau de Salah Taher,
nommé dans son temps le « prince du portrait », car il allait toujours «
au-dessous et au-delà du visage ».
Une
série de 30 portraits — de la phase académique — que son fils essaie de
rassembler à travers les collections privées et officielles, seront exposés au
mois d’octobre prochain à la galerie Ofoq.
Jusqu’au 15 juin, à la galerie Zamalek, de 10h30 à 14h30, et de 19h30 à 23h (sauf le vendredi). 11, rue Brésil, Zamalek. Tél. : 2735 1240
Névine Lameï