Peinture . La ville est
le protagoniste essentiel de l’exposition « In Visible Cities » (dans les
villes visibles) de Damon Kowarsky. L’occasion de revenir sur les aspects
littéraires de l’urbanité.
Voir ou penser voir ?
Un
décor simplement opposé à la campagne ? Un espace hétéroclite ? Un carrefour ou
un lieu de dangers, de vices abominables où toutes les rencontres semblent être
possibles ? La ville possède une symbolique forte, en littérature comme en
peinture.
L’association
culturelle Baad Al-Bahr a décidé de consacrer la 2e édition du festival
littéraire au thème Litterature and cities (la littérature et les villes). En
parallèle, une exposition intitulée In Visible Cities est organisée à la
galerie Machrabiya, signée par Damon Kowarsky.
Ce
rapprochement élaboré entre la ville dans la littérature et dans la peinture
pose des interrogations sur la perception de la ville par le peintre et par
l’écrivain. Sa représentation visuelle diffère-t-elle de sa représentation
textuelle ?
Sur le
plan visuel, Damon Kowarsky présente, à travers ses dessins au fusain, une
perspective fondée sur la mémoire et l’expérience : des réminiscences de ses
séjours dans plusieurs villes du monde : Le Caire, Damas, Chicago et Melbourne,
sa ville natale en Australie.
Le
thème de la ville est central chez Kowarsky depuis près de huit ans. Au premier
regard, un constat surprend dans l’œuvre de Kowarsky : les villes qui sont
dessinées semblent toutes les mêmes. On dirait juste des reproductions. Ainsi,
New York, avec ses gratte-ciel interminables, ressemble aux anciennes villes
débordantes de petits bâtiments comme Istanbul, Le Caire ou Damas. La ville,
symbole de modernité et source de fascination, sombre dans l’anonymat. L’on se
trouve projeté dans l’incertitude via un jeu de mots fait par l’artiste :
s’agit-il d’in visible (dans le visible) ou d’invisible (invisibles) cities
(villes) ?
Seulement similaires
Les
villes diffèrent certes par leur langue, leur culture, leur architecture et
leur structure (en briques ou en acier) mais en fin de compte, elles
remplissent toutes la même fonction : abriter l’homme. C’est peut-être cette
fonction commune qui unifie les villes, même si elles appartiennent à une
époque et à un espace différents ? Kowarsky insiste : « Ce sont les points communs
qui m’ont intéressé, mais seulement autant que leurs caractéristiques uniques
». Une manière de ne pas mettre tout l’urbanisme dans un même panier, sans pour
autant dédaigner les spécificités propres à chaque ville.
Une
longue contemplation des tableaux permet de détecter les liens qui sont tissés
entre les différentes villes : la ville est toujours assimilée à des formes
géométriques, à un jeu infini de lignes qui ne cessent de se superposer et de
s’enchevêtrer les unes dans les autres.
La
ville surgit avec la brutalité d’un quotidien moderne. « Il ne s’agit, ni de la
ville, ni de la masse, mais plutôt des masses en hauteur. Des lignes épurées
qui ont en commun la même atmosphère suspendue entre un passé lointain et un
futur mystérieux », explique Stefania Angarano. Une pâleur fantomatique
s’invite par les couleurs grisâtres dominantes évoquant la description urbaine
de Londres, faite par Charles Dickens dans Oliver Twist. Cela donne naissance à
des sentiments de malaise, de mystère et de solitude. On se rappelle la
citation de Francis Bacon (1561-1626) : « Magna civitas, magna solitude » (une
grande ville, une grande solitude).
D’ailleurs,
si par hasard une silhouette d’homme apparaît, elle ne cache jamais la ville,
vu la transparence du corps tracé. La ville et l’homme se découvrent et se
construisent mutuellement. Mais il semble que, dans ce rapport de force,
l’homme est perdant. Il est soumis à la ville, pas le contraire.
Aucune
fascination portée à la ville n’est ressentie, mais plutôt un constat triste
d’un paysage urbain en mutation. Cette mélancolie mêlée d’anxiété n’est-elle
pas aussi ressentie sur le plan littéraire ? Les tables rondes qui ont eu lieu
sous l’intitulé « Le côté caché de la ville » et « Futuropolis : la ville
virtuelle à l’époque du blog » animées par des critiques égyptiens et italiens
ont essayé de déchiffrer le côté énigmatique de la ville et d’aborder une
question centrale : ce qu’on perçoit de la ville est-il ce qui existe vraiment
dans la réalité ? Ou la ville est-elle l’expression de la désillusion ?
Lamiaa Al-Sadaty
In Visible Cities, jusqu’au 2 juin, à la galerie Machrabiya, de 11h à 20h, sauf le vendredi. 8 rue Champollion centre-ville.Tél. : 2578 4494