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Patrimoine .
Les travaux de fouilles sur le site Al-Lahoun, au Fayoum,
ont été arrêtés par le ministre d’Etat pour son état
déplorable. Les deux responsables de ce site se défendent.
Enquête.
Un arrêt et des questions
Des momies abîmées, des tombeaux détruits et d’anciennes
tombes ouvertes. Ces graves infractions ont poussé Zahi
Hawas, ministre d’Etat pour les Affaires des antiquités,
d’arrêter définitivement les travaux de fouilles dans le
site archéologique d’Al-Lahoun, dans le gouvernorat du
Fayoum. L’état du site, comme il a été mentionné dans le
rapport préparé par le Comité permanent des antiquités
égyptiennes dirigé par Atef Aboul-Dahab, chef du département
central des antiquités du Caire et de Guiza, est dans un
état plus que déplorable. Le comité, lors de sa tournée dans
le site des tombes découvertes dans le but de mettre le
point sur les dégâts causés, a découvert un tas
d’infractions. En effet, les tombes en question se trouvent
sur une colline dont les traces de fouilles sont claires. Le
visiteur peut voir des fossés partout montrant ces traces.
Des sarcophages en bois dont la plupart sont abîmés se
trouvent sur la colline ; voire, il y a des momies entourées
de cartonnages coloriés. Sur le site, on peut voir des
cadavres de chiens ! Les ouvertures des tombes ont plusieurs
dimensions à tel point que quelques-unes permettent l’accès
d’un ou de plusieurs individus. Dans le rapport présenté, 90
% des tombes ne sont pas fermées et ne sont pas sécurisées.
Et comme les tombes sont connectées entre elles, il est
alors facile d’avoir accès à la plupart d’entre elles par
n’importe quelle ouverture du site. « On peut accéder à
plusieurs tombes à travers une seule entrée », assure Atef
Aboul-Dahab, chef du comité. Ceci est l’exemple de la tombe
qui porte le numéro 51 où le comité a trouvé des momies
presque pourries et des sarcophages dont la plupart sont
abîmés. Même scénario dans les tombes 10 et 44. Pire, le
comité a découvert lors de sa surveillance du site une momie
d’un homme dans un sarcophage féminin. « On a trouvé deux
sarcophages appartenant à des femmes. Mais lors de leur
ouverture, on y a découvert une momie d’un homme », commente
Aboul-Dahab qui suppose que certaines momies ont été
probablement transférées dans d’autres tombes. Ou bien la
mission les avait extraites pour les photographier et elles
ont été remises dans d’autres tombes. « Tous ces sarcophages
ont été laissés en plein air sans la moindre restauration ou
enregistrement. Ils ont ainsi perdu leurs belles
inscriptions colorées », explique Aboul-Dahab.
Al-Aïdy se défend
En fait, les fouilles opérées sur ce site étaient dirigées
par Abdel-Rahman Al-Aïdy qui y opère depuis 2008 et qui y
avait découvert 76 tombes. Pour sa part, Al-Aïdy met en
cause la situation dangereuse dans laquelle a vécu le pays
pendant la révolution. « Nous étions en plein travail sur le
site jusqu’au 28 janvier 2011. A cette date, nous avons été
obligés de le quitter, à cause des conditions de la
révolution et l’absence totale de la sécurité et à cause du
chaos qui avait régné dans tout le pays », se rappelle ce
chef de la mission opérant à Al-Lahoun. Pour lui, la mission
comprend une équipe de restaurateurs très habiles et de
toutes les spécialités. Tout objet dégagé était enregistré
et était soumis à la restauration. De même, les membres de
la mission ouvraient les tombes progressivement. « Dès qu’on
terminait les travaux dans une tombe, on commençait à
traiter celle qui la suivait », se défend-il. D’après lui,
la plupart des tombes ont été dérobées et plusieurs
squelettes et momies dégagés ont été abîmés après la
révolution par des pillards qui ont profité de l’absence de
la sécurité dans la région. D’ailleurs, toutes les tombes du
site sont plutôt des puits funéraires ou des tombes-puits.
Elles n’ont pas de portes et elles devaient être sécurisées
par les gardiens et la police. Malgré ces conditions
difficiles, « nous avons découvert une très belle momie qui
a été transportée à l’académie de Rome pour y être exposée
l’an dernier. Si mes fouilles sont mauvaises, comme prétend
le rapport, les responsables des antiquités allaient-ils
sélectionner l’une de mes trouvailles à l’Académie de Rome ?
», se demande-t-il avec ironie. Al-Aïdy admet qu’une
expertise doit être effectuée par un autre comité neutre
formé plutôt de professeurs de différentes universités. Par
contre, il assure que les tombes ont été architecturalement
relevées et enregistrées.
Une surveillance plus méticuleuse
Suite à cette polémique, le ministère d’Etat pour les
Affaires des antiquités a décidé, pour mieux contrôler les
travaux des missions égyptiennes et étrangères, de former
des comités de supervision qui feront le tour de toutes les
missions afin de suivre de près les différentes étapes de
travail sur les différents sites, commençant par les
fouilles, les restaurations des pièces dégagées, les
consolidations des éléments architecturaux, et ce sans
oublier les enregistrements et la documentation de la zone
archéologique. Ces comités feront en fait des visites
successives à ces missions afin de présenter des rapports
d’évaluation au ministère.
En fait, avant, il s’agissait de contrôler uniquement les
missions étrangères. Le Conseil Suprême des Antiquités (CSA)
comptait sur ses inspecteurs qui accompagnaient les missions
sur le site. Ils avaient la tâche de présenter des rapports
d’évaluation de la mission, leurs opinions personnelles et
le système du travail de toute l’équipe archéologique du
point de vue archéologique et scientifique. Selon les
propres termes de Hawas, lors de l’une des célébrations,
l’inspecteur qui accompagnait la mission étrangère était
l’œil du CSA sur le site pendant les fouilles. Cette
condition ne portait pas sur les missions égyptiennes, parce
qu’elles représentent une minorité. Les plus fameuses sont
celles qui sont dirigées par le Dr Hawas lui-même, qui
opèrent à Saqara et à Thèbes. Reste alors la mission de
l’Université du Caire, dirigée par la Dr Ola Al-Aguizy et
celle d’Al-Lahoun, présidée par le Dr Abdel-Rahman Al-Aïdy,
qui a été arrêtée depuis quelques semaines. En dépit de tout
cela, Al-Lahoun reste l’une des plus importantes régions
archéologiques qui n’a pas encore livré tous ses secrets.
Les récents projets vont-ils diriger l’affaire vers la bonne
direction ?
Doaa
Elhami
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Al-Lahoun en
quelques lignes
« Lahoun » est une nomination
dérivée d’une expression de l’ancienne Egypte signifiant «
l’embouchure du lac ». La région est riveraine de l’actuel
Bahr Youssef qui débouche dans le lac
Qaroun. Le plus important indice d’Al-Lahoun
est la pyramide de Sénousert II
(1880-1874 av. J.-C.). La pyramide est bâtie sur un
monticule en briques crues. Elle représente la méthode de
construction centrale, mise au point sous le Moyen Empire.
En effet, son édification se basait sur l’utilisation de
murs de soutènement rayonnant à partir du centre et
renfermant un remplissage de briques crues. Ensuite, le
corps a été revêtu de l’extérieur de pierres, aujourd’hui
disparues. Cette couche de pierres taillées donnait un effet
comparable à celui des pyramides entièrement bâties en
pierres de taille. Son altitude est de 48 mètres de hauteur
tandis que sa base atteint les 106 mètres. Quant à son
entrée, elle est inhabituelle : alors que l’entrée de toutes
les pyramides se trouve normalement sur la face
septentrionale, l’accès de la pyramide de
Sénousert II est fait par deux
puits proches de la face méridionale. C’est une nouvelle
méthode utilisée afin de dissimuler la salle funéraire du
roi. Le sarcophage de granit rose y a été découvert ainsi
qu’une table d’offrandes en marbre. Parmi les trouvailles
les plus surprenantes de cette salle, est la présence de la
statue dorée de Cobra qui pourrait être une partie de la
couronne royale.
Dans les alentours de la pyramide, ont été
dégagés des mastabas et des
caveaux de presque toutes les époques. Parmi ceux-ci, le
puits funéraire de la princesse Sat-Hathor-Iounet
qui contenait de très beaux bijoux du Moyen Empire, exposés
actuellement au Musée égyptien. A l’est de la pyramide se
dresse modestement le temple funéraire. L’ancienne ville
renferme au moins trois quartiers, qui étaient traités par
Flinders Petrie. Séparés par des murs, ils sont l’acropole
ou citadelle destinée peut-être au pharaon lui-même, le
quartier oriental, avec de grandes demeures d’environ 60 x
40 m entourant une cour et comprenant jusqu’à 70 ou 80
pièces, et enfin le quartier occidental, avec des résidences
uniformes et plus petites d’environ 10 x 10 m, comportant de
4 à 12 pièces. Cette agglomération était habitée par des
prêtres et des fonctionnaires desservant la pyramide.
La ville est enfin fameuse par les centaines de papyrus
hiératiques connus par leur nom de « papyrus
Kahoun ». Ils portent des textes
littéraires, mathématiques, médicaux, d’art vétérinaire,
sans compter les documents officiels et ceux concernant le
temple.
Doaa
Elhami
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