Al-Ahram Hebdo, Littérature | Ahmad Al-Fakharani, La Cité des baisers

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Labib Al-Sebai
 
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Hicham Mourad

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 Semaine du 18 au 24 mai 2011, numéro 871

 

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Littérature

Tel un Petit prince égyptien, le jeune Ahmad Al-Fakharani ne fait référence qu’à l’imagination. Dans son nouveau recueil de contes Mamlaket assir al-toffah (le royaume du jus de pommes, aux éditions Nahdet Misr), le rêve, le surnaturel et le merveilleux s’intègrent tout naturellement dans la vie de tous les jours.

La Cité des baisers

Il n’y a pas de loi pour les baisers, surtout pour les baisers imprévus. Les baisers perdent leurs propriétaires après un moment, mais ne vieillissent pas, et ne se fanent pas non plus, ils partent dans une ville qu’on nomme la cité des baisers.

Les baisers ne s’oublient pas. Ils portent avec eux les lèvres de leur propriétaire. Ils vivent comme des ombres à des lèvres de couleurs rosées. Tristes de nature, ils sont passionnés de vie, mais préfèrent la mort.

Le dernier baiser parti là-bas se nommait « passion », un baiser dont les deux parties savaient parfaitement qu’elles étaient sans prolongement et ne pouvaient fabriquer un baiser éternel.

« Passion » était intelligente. Elle sut par elle-même sans qu’on ait besoin de le lui dire qu’elle était un baiser sans prolongement. C’est pourquoi, elle s’en alla par elle-même à la cité des baisers bien que ses propriétaires aient continué à fabriquer de nouveaux baisers.

Le gouverneur de cette cité ne savait pas prononcer la lettre C. Dès qu’il la vit, il comprit combien intelligente elle était, car c’était le premier baiser qui avait préféré émigrer vers sa cité avant d’être polluée par la tristesse et les souvenirs malheureux. Elle savait son destin parfaitement bien.

Le gouverneur qui ne savait pas prononcer la lettre C la nomma porteuse d’eau.

« Passion » alla le premier jour au lac du sirop. Elle le goûta et le trouva plein de sel. Elle sortit un flacon de sucre de l’étagère de son cœur et le déversa dans le lac. Elle poursuivit cette action plusieurs jours.

Le gouverneur de la cité qui ne savait pas prononcer la lettre C apprit cela. Il lui fit la remarque en disant : toute chose ici doit être salée, afin que les baisers oublient le goût du sucre. Car ceci fait renaître à la vie des histoires mortes à l’extérieur des murs de la cité, histoires qui blessent les baisers plus que toute autre chose.

Pourtant « Passion » ne trouva pas cette réponse à son goût et elle jeta à nouveau du sucre dans le lac du sirop. Le gouverneur qui ne savait pas prononcer la lettre C apprit qu’elle avait enfreint ses ordres et il l’emprisonna dans une bouteille qu’il jeta dans une mer de sel.

« Passion » demeura dans la bouteille des années innombrables jusqu’à ce qu’elle ait atteint une plage déserte. Cette plage était l’endroit secret d’un petit enfant qui avait du mal à compter les étoiles. Il y venait pour fuir son ancien baiser perdu.

Le garçon trouva la bouteille qui contenait « Passion » et il l’ouvrit. « Passion » en sortit encore plus belle qu’un matin sans nuages, comme si le fait d’être enfermé dans la bouteille l’avait gardée en dehors du temps.

Le garçon fut ébahi de voir « Passion » sortir de la bouteille. Il se souvint de son baiser perdu alors et elle lui rappela un garçon qui savait embrasser. Ils devinrent rapidement amis. « Passion » devint sa compagne sur cette plage déserte.

Elle comprit que son problème insoluble était sa confusion dans le compte des étoiles. Mais elle lui apprit le secret que connaissaient par habitude les baisers de la vie. C’était un secret d’une grande simplicité : s’étendre sur le dos très relaxe et ne penser à rien d’autre qu’à son baiser perdu.

Ils firent cela ensemble. Alors à chaque fois qu’ils comptaient une étoile, elle tombait dans leurs bras. Elle savait parfaitement que ce n’était pas lui qui savait embrasser, mais il le lui rappelait uniquement. Le garçon savait que ce n’était pas cela son baiser perdu, mais elle le lui rappelait uniquement. Et ils furent joyeux de voler à nouveau et de jouer avec des étoiles qui leur tombaient dans les bras. Ils ne pensèrent à rien d’autre.

Un de ces beaux matins, un navire qui vendait du sel se cogna contre la plage. Ses marins et son capitaine durent y atterrir.

Les jours se succédèrent. Les marins et le capitaine ne partirent pas. Ils créèrent même des marchés qui se remplirent de clients pour vendre le sel.

La plage ne fut plus déserte. Pourtant, le garçon croyait ferme que c’était sa plage car il était le premier à l’avoir découverte. Il décida de la récupérer pour retrouver avec « Passion » leur jeu.

Le capitaine se réveilla un beau matin pour retrouver que tout son sel avait été englouti par l’eau. Toutefois, le capitaine connaissait la magie et sa colère était brûlante tellement qu’elle fit sécher le sel complètement. Il reprit son ancienne forme.

Le garçon ne désespéra pas. Il envoya de nombreux cerfs-volants qui captivèrent quatre clients le premier jour, puis ils devinrent quatre le deuxième jour jusqu’à atteindre dix le troisième jour. Les clients eurent peur de s’approcher du marché. Le capitaine utilisa sa rancœur qui ressemblait à un corbeau et envoya ce dernier manger les cerfs-volants du garçon.

Mais le garçon ne désespéra pas et décida que sa guerre aura lieu avec le capitaine en personne. Il se faufila vers les sacs de sel qu’il dispersa entièrement en plein visage du soleil. Ce dernier ne cessa d’éternuer durant trois jours. Lorsqu’il recouvrit ses esprits, le soleil décida de se venger du capitaine qui vendait le sel. Il lui donna 300 raclées. Cependant, le capitaine avait l’esprit pratique, il vendit alors le sel de ses blessures qu’il nomma « sel du soleil ». Il rencontra un énorme succès et les clients affluèrent de toute part.

Le garçon décida de se rendre. Mais « Passion » fit sortir le flacon de sucre et le mélangea parfaitement au sel. Ainsi, elle détruisit la marchandise du capitaine pour toujours. Personne ne lui acheta plus rien. Il décida donc de partir, mais il enleva sur son navire « Passion ».

Le navire avait amarré pour remettre le sel à la cité des baisers. La cité qui avait chassé « Passion » parce qu’elle avait enfreint les ordres d’un gouverneur qui ne savait pas prononcer la lettre C. Le garçon se déguisa en marin et se faufila sur le navire du capitaine. Il avait appris qu’il avait pour intention de vendre « Passion » dans des pays lointains après avoir remis son sel.

Le navire arriva à la cité des baisers. Ils rencontrèrent le gouverneur qui ne savait pas prononcer la lettre C, pour qu’il goûte à un échantillon du sel. Mais il sentit l’odeur de « Passion ». Bien qu’il ne sache pas prononcer la lettre C, il n’oubliait jamais une odeur. Il demanda si elle était à bord du navire. Le capitaine lui dit : Oui, mais je compte la vendre dans des pays lointains à un prix qui me permettra de ne plus faire le métier du sel.

Le gouverneur demanda à la voir. Et lorsque « Passion » fut remise entre ses bras, il lui dit : Le sucre que tu as déposé dans le lac du sirop a fait revivre de nombreuses histoires à la vie. Nombreuses font mal ou nombreuses sont mortes dans la cité. Une seule histoire a été sauvée, mais les baisers préfèrent le destin du baiser sauvé.

Le capitaine comprit que le gouverneur qui ne savait pas prononcer la lettre C allait sauver « Passion » d’entre ses mains, ce qui signifiait une grande perte pour lui. Il brandit donc son épée pour enlever « Passion ». Mais le garçon qui s’était déguisé dans les habits d’un marin lui jeta à la tête un grand dôme et il tomba raide mort. Les baisers encerclèrent les marins. Ils les préférèrent à toute vengeance pour leur capitaine.

« Passion » dit au gouverneur : Je connais un remède qui te permettra de prononcer la lettre C, puis elle lui donna un beau baiser. Il se maria avec elle après avoir réussi à prononcer la lettre C. C’était le premier baiser de la vie du gouverneur de la cité des baisers. Il n’en avait pas reçu de baisers auparavant car il ne savait pas prononcer la lettre C.

Quant au garçon, il demeura perdu dans la cité des baisers. Il en reçut de nombreux baisers car il savait embrasser avec adresse. Mais il ne cessa de rechercher son baiser perdu.

Traduction de Soheir Fahmi

 

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 Ahmad
Al-Fakharani

en 1981. Après avoir fait des études en pharmacie à Alexandrie, il se tourne vers la littérature. Il a travaillé comme journaliste à l’hebdomadaire Akhbar Al-Adab et il travaille actuellement au site électronique de la maison d’édition Nahdet Misr. Son premier recueil de nouvelles est Decorat bassita (décors simples) en 2007, puis il écrit la nouvelle, Fi kol alb hikaya (dans chaque cœur, une histoire) en 2009 Dar Al-Ein, et Mamlaket assir al-toffah (le royaume du jus de pommes) aux éditions Nahdet Misr 2011.

Les personnages de Dans chaque cœur, une histoire ont des rêves. Ils savent que la plupart de ces rêves ne verront pas le jour, néanmoins ils continuent à rêver. Tandis que dans son nouveau recueil de nouvelles, il va à l’encontre de toutes les écritures « jeunes du moment », en rendant hommage au rêve, à l’imaginaire et au conte merveilleux qu’il maîtrise avec succès.

 




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