Austérité .
Les familles dépensent moins pour affronter la crise
suscitée par la période transitoire. Hommes de religion,
activistes et responsables lancent un appel pour
sensibiliser les citoyens mais les conséquences sont à
double tranchant.
Moins consommer : des effets négatifs
«
S’imposer des privations pour relancer l’économie et se
passer du superflu pour surmonter la crise », telle est
l’initiative lancée récemment par l’écrivain Fahmi Howeidi
dans le quotidien Al-Shorouk. Un appel qui a eu un écho
retentissant dans la société. Un appel qui est aussi mis en
doute par certains : la baisse de la consommation étant un
des principaux facteurs de la crise actuelle. En proposant
aux citoyens de réduire leurs dépenses et de changer leur
style de vie, cet appel a ouvert un débat pourtant habituel.
« Cela fait trente ans que nous nous serrons la ceinture !
Dans les années 1980, on a adopté cette politique sous
prétexte de réforme économique. A partir de 1995, c’était
une nécessité pour faire face à la récession. Et avec
l’arrivée du deuxième millénaire, on n’a pas arrêté de nous
parler de crise économique mondiale. Quand va-t-on donc
ressentir un soupçon de prospérité alors que ceux de ma
génération vont bientôt atteindre la quarantaine ? »,
s’interroge Islam, ingénieur de 37 ans. Il exprime ainsi
l’état d’anxiété qui règne en Egypte en ce moment et qui
fait l’objet de discussions dans la rue, les cafés, les
moyens de transports ainsi que sur Facebook. « On a cru que
la révolution allait être cette lanterne magique qui
mettrait fin à nos souffrances. Mais, il va falloir encore
attendre pour récolter les fruits du changement », avance
Iyad, 25 ans, journaliste.
Sur un site consacré à ce débat sur Facebook, Riham, 20 ans,
étudiante, répond : « Peu importe. Si aujourd’hui on doit
réduire notre train de vie, au moins il y a une lueur
d’espoir car toute la mafia du régime qui s’est emparée des
biens du pays est actuellement derrière les barreaux. Les
prochains responsables vont sans doute avoir peur de vivre
ce même sort humiliant ».
Les chiffres assurent que l’Egypte a perdu à la suite de la
révolution du 25 janvier 70 milliards de dollars à cause à
la chute de la Bourse qui a fermé ses portes durant deux
mois, sans compter les pertes dans les secteurs du tourisme
et des investissements, qui semblent cependant être limitées
sur le long terme.
Nouvelle épreuve
Aujourd’hui, nombreuses sont les institutions qui lancent
des appels pour que toute la population se serre la
ceinture. Une fatwa promulguée par cheikh Youssef Al-Qaradawi,
président de l’Union internationale des oulémas musulmans,
stipule qu’il est préférable cette année de consacrer
l’argent des grand et petit pèlerinages pour soutenir
l’économie nationale. Les Egyptiens dépensent en effet près
de 2 milliards de L.E. par an pour effectuer ces rituels :
la même somme dont l’Egypte aurait besoin cette année pour
combler ses besoins financiers.
Karima, dentiste de 65 ans, qui a l’habitude d’aller faire
le petit pèlerinage (omra) tous les ans, a décidé d’annuler
sa visite aux lieux saints cette année, le montant des frais
s’élevant à 12 000 livres. « On ne sait pas ce qui nous
attend les prochains jours. Mon fils a été licencié ainsi
que mon neveu. Je pense que je vais économiser l’argent du
petit pèlerinage afin d’aider mes proches en difficulté »,
confie-t-elle.
Face à la crise, tout le monde se mobilise. Ce vendredi,
dans certaines grandes mosquées, les imams ont commencé à
réagir. Dans son prêche, l’imam de la mosquée de Moustapha
Mahmoud, située à Mohandessine, a appelé de son minbar les
citoyens à mener un train de vie austère durant cette
période pour permettre au pays de se lever économiquement.
Il n’a pas hésité à citer l’exemple du prophète Youssef qui
a réussi à sauver l’Egypte de la famine à un moment décisif
de son histoire.
Un discours qui a eu un impact important chez certaines
familles qui ont décidé de réviser et de réarranger les
priorités de leur budget. Abir, 42 ans, employée, a décidé
de ne pas acheter à ses enfants de nouveaux vêtements cet
été. Soha, 27 ans, a décidé de ne se rendre ni à la
Côte-Nord ni à Alexandrie durant les vacances. Hicham, 36
ans, un comptable qui avait l’intention d’acheter une
nouvelle voiture, a décidé de remettre son projet à plus
tard. Un exemple comme un autre mais qui illustre l’état
d’esprit de la population ces temps-ci.
« Ce n’est pas une chose facile d’apprendre à être économe.
Certains pays ont déjà adopté cette démarche et ont réussi à
relancer leur économie », assure Amani Kandil,
socio-économiste. Elle ajoute que dans les pays
industrialisés, les peuples sont habitués aux astuces leur
permettant de réduire leurs dépenses avec flexibilité en cas
de crise. En Europe, l’année dernière, face à la crise
mondiale, les Européens ont réduit leurs dépenses ... mais
pas n’importe lesquelles cependant.
Car ces restrictions doivent avant tout être imposées aux
institutions gouvernementales. « Il faut que le gouvernement
commence par donner l’exemple. Il est temps de mettre fin au
gaspillage et aux dépenses futiles », avance Howeidi.
Difficile d’admettre qu’un ex-ministre égyptien possédait 6
voitures pour son usage personnel et 96 autres pour les
personnes qui l’entourent, ce qui avait perdre à l’Etat 35,5
millions de L.E. Une accusation dont fait l’objet
l’ex-ministre des Finances, Youssef Boutros-Ghali, en fuite
au Liban.
Le gouvernement donne l’exemple
Aujourd’hui, il semble que la rationalisation de la
consommation soit devenue le mot d’ordre. Le ministre de
l’Electricité a entamé une politique austère en ce qui
concerne la consommation d’énergie. Celle-ci vise à éteindre
la lumière dans toutes les institutions gouvernementales
durant la journée et à utiliser les ventilateurs à la place
des climatiseurs. Une décision que le ministère de
l’Education a commencé à appliquer dans les écoles. Au
ministère de la Main-d’œuvre, on a demandé aux
fonctionnaires de ne plus utiliser les réchauds ni les
bouilloires électriques qui consomment énormément
d’électricité. Les lampadaires illuminant les rues seront
éteints après minuit. Un autre appel diffusé à la radio
sensibilise les citoyens pour consommer moins d’eau. Et pour
les salaires ? Les hauts fonctionnaires de l’Etat ont à leur
tour choisi de réduire leurs salaires pour répondre à cette
politique. Le cheikh d’Al-Azhar, Dr Ahmad Al-Tayeb, en est
un exemple. Il s’est passé de son salaire en tant que cheikh
d’Al-Azhar dès qu’il a été nommé à ce poste et ce, jusqu’à
ce jour. Mais encore faut-il en avoir les moyens ...
Une association, Citoyens contre l’inflation, a lancé une
nouvelle campagne appelant les citoyens à se serrer la
ceinture. A travers son site sur Facebook et des spots
diffusés dans les médias, ainsi que des conférences, ce
mouvement veut créer une nouvelle culture. « Les réserves
stratégiques des denrées alimentaires ont atteint leurs
limites. Une situation qui exige que les gens se rendent
compte du danger : nous devons tous y faire face. On est
menacé d’une intifada des affamés », confie Mahmoud
Al-Asqalani, président de l’association.
Ce mouvement a lancé plusieurs appels aux citoyens durant
les cinq dernières années pour boycotter la viande et le
yamich du Ramadan. Aujourd’hui, il sensibilise de nouveau
les citoyens pour changer leurs habitudes de consommation. «
Notre campagne portera des messages courts et des conseils
pratiques aux citoyens et applicables dans leur quotidien.
L’objectif sera de réduire la consommation de moitié. Une
cuillère de sucre pourrait avoir la même fonction que deux
ou bien un demi-kilo de viande peut être suffisant », avance
Al-Asqalani, tout en assurant que c’est aussi un moyen de
pression sur les commerçants qui ont commencé à profiter de
la situation en haussant les prix. Pourtant, ces incitations
sont à double tranchant : en réduisant la consommation des
ménages, la croissance économique ne peut que se détériorer,
ce qui aura un impact sur les salaires ... et le cycle
vicieux de la régression risque ainsi de s’installer
durablement. La reprise de la consommation est en effet bien
souvent jugée nécessaire à le reprise de l’économie.
Sport et médias, gravement touchés
Cette austérité frappe également d’autres domaines. Ahli, un
des plus grands clubs de football soutenu par un nombre
important d’hommes d’affaires, ne fait pas exception à la
règle. Les responsables ont décidé de transférer les
assistants étrangers de l’entraîneur Manuel José dans un
autre hôtel moins cher que le Marriott, cinq étoiles, où ils
séjournaient. Seul l’entraîneur bénéficiera de ce séjour
dans cet hôtel de grand luxe.
La raison est que toutes les compétitions qui devaient avoir
lieu après la révolution ont été annulées. L’équipe est donc
privée de ses revenus provenant des matchs et des émissions
en direct, et ce, sans compter les problèmes des sponsors et
des publicités. « Une idée a été proposée, celle de louer
des appartements aux assistants comme moyen de réduire les
dépenses », avait déclaré un responsable qui a requis
l’anonymat.
Le monde artistique est l’un des plus touchés par la crise
économique. Selon Walid Aboul-Séoud, critique d’art, les
revenus des stars vont connaître cette année une baisse de
50 %. Durant le Ramadan qui est le mois de la concurrence
artistique, la donne va sans doute changer cette année. «
Cette année, celui-ci ne va pas dépasser les 20 feuilletons,
contre 55 l’année dernière », confie Aboul-Séoud. Tareq
Nour, propriétaire d’une agence de publicité et d’une chaîne
satellite qui travaille seulement durant le mois du Ramadan,
assure que les feuilletons vont être gravement touchés par
la baisse des pubs car leur prospérité est directement liée
à celle des spots publicitaires. De son côté, le département
de production à la Télévision égyptienne a déjà annulé le
contrat de quatre feuilletons qui allaient être diffusés
durant le Ramadan prochain.
La restriction est à l’ordre du jour. Tel est l’appel de
l’association Citoyens contre l’inflation. Mais il reste à
savoir si la population va suivre et si les conséquences de
l’austérité seront réellement positives sur l’économie. Pour
les économistes, le doute n’est pas permis : seule une
reprise de la consommation pourra faire sortir l’économie de
ces moments difficiles.
Dina
Darwich