Insécurité . Eglises brûlées à Imbaba, conflits religieux à Qéna, pagaille dans les matchs de foot ou encore « bataille du chameau ». Les violences se sont multipliées depuis la chute de Moubarak et l’armée reconnaît que des forces de l’ancien régime restent actives.

Les anciens du PND dans la ligne de mire

Il n’existe aucune preuve concrète de complot, mais les membres de l’ancien Parti National Démocrate (PND) qui a gouverné l’Egypte pendant des décennies sont pointés du doigt et accusés sans hésitation. Et alors qu’il ne s’agissait que de doutes sans preuves concrètes ni accusation officielle, voilà enfin que l’armée égyptienne a décidé de mettre fin à ces incertitudes. Le Conseil suprême des forces armées, qui dirige le pays depuis la chute de l’ancien président il y a trois mois, a déclaré en début de semaine disposer d’informations sur l’existence d’un plan monté par les anciens responsables du PND aujourd’hui dissous. Effectivement, l’armée égyptienne l’a dit ouvertement et a menacé d’utiliser tous les moyens pour réprimer les « groupes déviants » qui menacent la sécurité et la stabilité de l’Egypte.

C’est que les attaques visant les commissariats de police, les hôpitaux ou les lieux de culte se sont multipliées depuis le départ de Moubarak. Le Conseil militaire a été contraint de gérer une situation potentiellement explosive lors d’affrontements entre musulmans et coptes à Imbaba, la semaine passée. Ces violences ont été perçues comme une résurgence non seulement des islamistes, mais surtout des anciens alliés de Moubarak. Dans un communiqué, le Conseil suprême des forces armées a estimé que les difficultés économiques et les problèmes de sécurité que connaît l’Egypte sont orchestrés par des ennemis « à l’intérieur et l’extérieur du pays ». De même, le conseil a « averti les groupes déviants qu’il utilisera toutes ses ressources pour combattre et éradiquer totalement ce phénomène dès que possible ».

Le texte ajoute que des sanctions sévères sont à l’étude, y compris l’application de la peine capitale pour la première fois depuis la révolution de janvier. De plus, un rapport officiel, publié ce mercredi par une commission d’enquête formée par le Conseil national pour les droits de l’homme, accuse des membres de l’ancien régime de Hosni Moubarak d’avoir provoqué les affrontements.

Mais qui sont vraiment ces anciens du PND ? A quoi veulent-ils parvenir et dans quel but ? Autant d’interrogations auxquelles répond le politologue Amr Hachem Rabie qui explique que lorsqu’on parle des anciens du PND, on parle d’un groupe de personnes qui depuis toujours s’est habitué à corrompre et violer la vie et les droits des Egyptiens. « Tous ceux-là, et ils sont nombreux, ont été inspirés depuis la création du PND en 1978. Ils ne peuvent pas effacer leur passé après un jugement qui porte sur la dissolution du parti », dit-il avant d’ajouter : « Ces anciennes figures du PND cherchent à détruire le pays après la révolution. C’est une sorte de vengeance surtout qu’un grand nombre d’entre elles sont arrêtées par la justice, et ceux qui sont encore libres attendent leur tour ».

Diviser la société

Ils le savaient donc très bien : si l’on veut détruire la révolution, il faut jouer avec la religion pour diviser la société entre chrétiens et musulmans. Quant aux preuves, il ne faut pas aller les chercher trop loin. Au lendemain du drame d’Imbaba, les témoins ont assuré que Adel Labib, un chrétien « riche » propriétaire d’un café dans le quartier, a commencé à tirer sur la foule depuis un bâtiment voisin. Ce proche du PND est aujourd’hui soupçonné d’être le cerveau des émeutes. L’homme aurait aussi lancé la rumeur sur la jeune musulmane retenue contre son gré par l’Eglise.

La Sûreté d’Etat n’est non plus à l’abri de ces accusations. En effet, cet appareil, dissous le 15 mars dernier, a été accusé à plusieurs reprises d’utiliser des « baltaguis » (hommes de main) pour s’en prendre aux manifestants de la place Tahrir mais aussi pour déclencher des conflits religieux.

L’ancien service de sécurité a été en partie purgé, mais beaucoup se demandent ce que sont devenus les quelque 3 000 officiers et le million d’informateurs qui travaillaient pour cette branche de la police. Des révélations ont aussi apparu sur l’implication d’anciens membres des services de Sûreté de l’Etat dans les événements confessionnels de Qéna, ce qui témoigne de la détermination de certains éléments contre-révolutionnaires à saper les acquis de la révolution du 25 janvier en s’attaquant à son talon d’Achille, les divergences communautaires.

Il est peut-être vrai que la dissolution du parti qui monopolisait le pouvoir sous le président Hosni Moubarak constitue une avancée « historique », mais beaucoup reste encore à faire. Suite au démantèlement du PND, de nombreuses voix s’élèvent pour interdire à ses anciens membres, du moins les cadres et tous ceux qui ont été élus aux dernières élections de 2010 par la fraude, l’exercice de la politique pendant cinq à dix ans. Cette idée commence à faire son chemin en Egypte, mais les faits réels contredisent les déclarations et rumeurs circulant à propos de la concrétisation d’une telle mesure.

Pour Rabab Al-Mahdi, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire (AUC), la dissolution « doit s’accompagner d’une interdiction pour les cadres du PND de se présenter aux élections pour un certain temps ».

L’affaire semble être logique mais certains spécialistes voient les choses d’un œil différent. En effet, pour certains, même si les anciens du PND ont tout tenté pour faire échouer la révolution, cela n’empêche de reconnaître que ces problèmes existaient bien auparavant. « Nous souffrons depuis longtemps de vraies difficultés comme l’extrémisme religieux. Une grande partie de la société a été élevée avec une conscience religieuse falsifiée, ce qui les a poussés à déverser leur colère sur l’autre. Ces sentiments sont actuellement en train d’exploser », affirme, d’ailleurs, le politologue Abdel-Ghaffar Chokr. « Il faut absolument que l’on apprenne à faire face à la réalité pour résoudre ces problèmes et ne pas faire de ce qu’on appelle les anciens du PND un bouc émissaire expliquant tous nos maux », conclut-il.

Chaimaa Abdel-Hamid