Arts de la Rue .
A travers une manifestation mensuelle Al-Fan midane (l’art
sur la place), un collectif d’artistes égyptiens, formé au
lendemain de la révolution, cherche à réinventer le rapport
avec le public et à défendre la liberté d’expression en tout
lieu et à toute heure.
Rendez-vous face au palais !
Tous
les premiers samedis du mois, dans maints gouvernorats
d’Egypte, les artistes descendent dans la rue, avec comme
mot d’ordre : se réapproprier l’espace public. Au Caire, le
lieu de regroupement est en face du palais de Abdine,
autrefois siège permanent de la famille royale.
Festive et revendicatrice, la journée « Rue libre », du
samedi 7 mai, était la deuxième du genre. Le collectif
d’artistes veut briser les murs, faisant appel à quelques
pointures anciennes ou nouvelles du monde de la performance.
Plus de 70 formations culturelles indépendantes et quelque
150 artistes optent pour les arts de la rue, comme pour
compenser 30 ans d’Histoire. « On n’avait pas le droit de
descendre dans la rue et de se mêler au public. Sous
Moubarak, la sécurité nous mettait tout le temps des bâtons
dans les roues et ne nous accordait guère d’autorisation
pour ce genre de manifestations », commente le
marionnettiste Mohamad Fawzi, lequel a tenu avec d’autres un
atelier de poupées sur la place. Des boîtes vides et un amas
d’objets hétéroclites servent à confectionner des
marionnettes que l’on s’amuse à faire danser, ensemble, ou
rire des enfants du quartier.
L’espace
de la rue devient un espace de jeu et d’enjeu pour
réinventer la relation avec le public, à la manière d’autres
collectifs d’artistes de par le monde — tels Maismenos au
Portugal et Voïna en Russie — ou encore à la manière de
l’art urbain des années 1960. (Maismenos dénonce la récente
aide du FMI pour le Portugal, en réalisant des peintures
murales principalement. Et Voïna présente des performances
mises en scène dans la rue, afin de dénoncer la corruption
et le manque de liberté d’expression) En fait, les arts de
la rue actuels ont aussi des parentés avec les mouvements
militants qui ont marqué l’Histoire du siècle dernier. En
Russie, avec la révolution d’octobre, les artistes quittent
les salles pour s’adresser directement au peuple et
participer à la transformation de la société. Et en Egypte à
l’heure actuelle, le même désir se fait de plus en plus
urgent. Les professionnels s’associent aux amateurs et
sollicitent les réactions du public. « Peu importe la
qualité de ce que l’on présente, l’essentiel c’est d’être
là, de faire des choses qui sortent du cœur et de nouer une
conversation avec les gens ! A chaque phase ses diktats.
Avant, je descendais dans la rue pour protester ; maintenant
je le fais pour sauver ce qui peut être sauvé, pour
expliquer ce qui se passe », dit le peintre Mohamad Abla,
qui lui aussi a animé un atelier, durant la journée Rue
libre d’Al-Fan midane. Abla dessine les gens, les attire par
des couleurs vives, taille leurs portraits, discute … Il
adore ces dialogues qui se nouent à l’improviste, entre
inconnus, ces rencontres d’un instant.
Les
thèmes s’inspirent de l’actualité, les formes sont
empruntées au cirque, au cabaret, au journal vivant … Un
terrain vide, rassemblant les mimes, jongleurs, conteurs et
vendeurs, sépare les deux théâtres de fortune installés sur
la place de Abdine, aux frais des participants. (Le
théâtre en plein air et celui sous la tente). La voix de
l’interprète et compositeur engagé, Moustapha Saïd, nous
provient du premier théâtre. Il joue une chanson sur la
justice datant, selon lui, d’il y a 130 ans, de l’époque du
khédive Saïd ! Les paroles semblent toujours d’actualité,
donnant lieu à une liesse participative. Aux bords de la
place, les habitants du quartier lointain et informel d’Al-Nahda
sont venus camper. Ils ont été chassés de leurs appartements
loués durant la révolution pour des raisons incongrues et
viennent ici pour se faire entendre. Ils communiquent avec
le chanteur non voyant, lequel exprime leur détresse, avant
de reprendre son luth et d’entamer un poème en dialectal de
Tamim Al-Barghouti : « Ya masr hanet wé banet, kolaha kam
yom » (peu de jours, l’Egypte, et le mal se dissipera). On
ne veut pas disjoindre l’art et la vie ; bien au contraire
les préoccupations sociales se conjuguent au goût de la
fête.
Plus loin, le hip-hop éveille à la danse et les rappeurs
bling-bling surprennent leurs camarades de classe. « Je les
côtoyais tous les jours au lycée, je ne savais pas qu’ils
pouvaient faire autant de choses ! », s’exclame l’un des
jeunes. Le rap est une musique de révolte, alors que la
majorité de la production musicale parle amour, rappelle
l’un des spectateurs à l’allure plus intellectuelle. Car la
place est ouverte aux spectateurs prévenus et aux passants
de hasard, au public averti et au public vierge. Le mélange
est assez intéressant, comme le fait remarquer la jeune
plasticienne Horriya Al-Sayed : « Au départ, les habitants
d’Al-Nahda qui sont venus faire un sit-in jugeaient qu’on
était insoucieux et nous répétaient qu’on faisait la fête
alors qu’ils ne trouvaient pas où loger ! Après, on leur a
demandé de dessiner leur maison de rêve et d’exprimer leurs
sentiments ; ils ont pris part au jeu et n’avaient pas l’air
de le regretter ».
Juste un
acte de vandalisme sur papier … .
Dalia
Chams