Vice-président de la Cour de cassation,
Hicham Al-Bastawissy
est candidat aux prochaines élections
présidentielles. Présent parmi les révolutionnaires, il
présente aujourd’hui les grandes lignes de son programme
électoral.
Magistrat ... et pourquoi pas président ?
Président de la République arabe d’Egypte ? Un titre auquel
il n’avait jamais aspiré. Son ambition était plutôt
d’être capable de mettre en place la justice. Une évidence
pour un ancien étudiant de la faculté de droit et fils d’un
avocat.
Aujourd’hui, Hicham Al-Bastawissy cherche encore à faire
régner la justice, mais autrement. Il annonce sa candidature
pour les élections présidentielles. Une décision qui a, sans
doute, changé sa vie. Avec un emploi du temps bien rempli,
ce passionné de Heykal, du cheikh Al-Ghazali et de Johann
Strauss se réveille tous les jours à 7h du matin pour
travailler sur son programme électoral, faire des rencontres
et des entrevues pour soutenir sa campagne ici et là. La
journée ne se termine qu’à 2h du matin. Mais aussi, il a dû
faire des concessions. « Je me retrouverais dans
l’obligation de céder mon poste de juge, un métier que
j’admire depuis toujours », souligne-t-il.
Hicham Al-Bastawissy fait partie des conseillers connus par
leur honnêteté et qui se sont opposés à la corruption du
pouvoir. L’année 2005 en était témoin : des juges ont remis
en question les résultats des élections législatives,
affirmant que les mécanismes de supervision par les
instances judiciaires n’avaient pas été mis en place de
façon efficace. Ils ont exigé même une enquête sur les
fraudes électorales et réitéré leur exigence d’une
supervision judiciaire complète du processus électoral.
Cependant, deux de ces juges ont payé cher leur demande, à
savoir Mahmoud Mekki et Hicham Al-Bastawissy, qui ont été
accusés de déshonorer le système judiciaire en parlant de
fraude : ils ont été envoyés devant un comité disciplinaire.
Mekki a été acquitté et Bastawissy, atteint d’une crise
cardiaque, a été réprimandé.
C’est vrai que cet acte qu’on a appelé « la révolution des
juges » n’a pas vraiment changé la scène politique
égyptienne à l’époque, mais il a implanté quelque chose de
nouveau dans l’esprit d’Al-Bastawissy. « En 2007, de
nombreux politiciens, présidents et membres de partis
politiques m’avaient demandé de me présenter aux élections
en 2011, en affirmant qu’ils étaient aptes à rassembler des
signatures pour me soutenir. A l’époque, j’étais sûr que
cela ne servirait à rien, puisque les élections n’étaient
pas honnêtes », annonce-t-il sans hésitation. D’ailleurs,
c’était la genèse de sa volonté de briguer un jour les
élections présidentielles.
Etant donné la situation dans le pays, il part pour
travailler au Koweït. Un acte désigné, par certains, comme
une preuve de loyauté de cet homme qui a refusé de continuer
à travailler dans une ambiance corrompue. D’autres
conçoivent son départ au Koweït comme une sorte de « fuite
». « C’est la démocratie. Personne ne peut avoir
l’approbation de tous les gens. Mais en tout cas, ils
connaîtront la réalité avec le temps », affirme-t-il en
toute confiance.
Al-Bastawissy réfute complètement le fait de qualifier la
révolution du 25 janvier de miracle. Selon lui, le peuple
égyptien était depuis 200 ans en quête de démocratie.
« La révolution n’est pas née du jour au lendemain, mais
elle est le résultat d’un enchaînement de faits, avec
surtout la corruption et le mépris du peuple »,
énumère-t-il. Il n’a pas donc été surpris par la révolution.
« Je m’attendais à cette révolution depuis 2008, et je l’ai
même mentionnée dans un article que j’avais publié dans le
journal Al-Badil. Et j’y avais souligné qu’elle aura lieu
suite à une révolution au Maghreb arabe », affirme-t-il. Son
point de vue avait comme référence principale le rapport
entre le peuple et le président. « En Egypte, critiquer le
président a toujours été tabou ; ce qui explique la cause
pour laquelle toutes les manifestations ou les mouvements
étaient surtout dirigés contre les ministres ou le
gouvernement et pas contre le président en personne. Au
Maghreb arabe, par contre, le peuple n’avait pas un lien
aussi solide avec le président, étant donné qu’il a subi le
plus l’influence de la culture française. Et donc, une fois
que le peuple tunisien s’est révolté, la boussole a été
ajustée pour que le peuple égyptien se remette en question
et fasse sa révolution ».
Après la révolution, plusieurs personnes lui ont demandé à
nouveau de présenter sa candidature aux élections
présidentielles. « J’ai accepté quand j’ai senti que je
pouvais présenter une perspective nouvelle au pays ». Une
décision qui a recueilli le consentement de toute la
famille, sauf l’un de ses fils. « Il était inquiet vu les
risques inhérents à un poste pareil. Mais, il a changé
d’avis maintenant, je l’ai convaincu qu’il y a toujours un
prix à payer ».
Père de trois garçons connus pour être studieux et
indépendants tout au long de leur parcours éducatif : un
ingénieur et deux licenciés de droit, l’on s’interroge sur
le bouleversement que pourrait subir leur vie si Al-Bastawissy
est élu président. « Aucun », affirme-t-il directement. Et
d’ajouter : « Le futur président et ses enfants mèneront une
vie normale. Et comme il sera choisi par le peuple, c’est ce
dernier qui le protégera ». Et son épouse ne sera-t-elle pas
la first lady de l’Egypte ? « Il n’existe pas de poste
pareil en Egypte », conclut-il avec un sourire. Une question
s’impose : Qu’est-ce qui garantit l’honnêteté des prochaines
élections présidentielles ? « Deux choses : la volonté
politique tout d’abord. Je crois que le gouvernement et le
Conseil des forces armées veulent des élections honnêtes. La
deuxième chose est la surveillance populaire et le contrôle
international des élections », répond Al-Bastawissy, qui
avait souligné dans la presse que le premier ministre Essam
Charaf a « rendu la tâche difficile au futur président ». «
C’était une manière de louer Charaf qui a un tas de
problèmes à résoudre. J’ai voulu attirer l’attention des
gens sur ses efforts. J’ai eu le sentiment que certains le
critiquent et ont gardé cette habitude de ne jamais se
montrer satisfaits par rapport à ce que fait le gouvernement
».
En outre, il considère que l’attitude du Conseil suprême des
forces armées est compréhensible dans le contexte actuel
car, selon lui, l’armée n’est pas censée avoir une
expérience politique. « Ce sont les intentions qui comptent.
Le Conseil des forces armées et le gouvernement de Charaf
cherchent à réaliser les objectifs de la révolution ». Mais
les bonnes intentions sont-elles suffisantes ? « Ce sont les
intentions qui comptent le plus. Ensuite, le dialogue
rectifie les erreurs ».
Le dialogue a été le noyau de toute chose dans la vie de
Hicham Al- Bastawissy. « Rien ne m’a été imposé, dans ma
vie, et c’est pourquoi je n’ai rien imposé ni à mes enfants
ni à ma femme ».
Ainsi il considère que le rôle du futur président ne
consistera pas à proposer un programme électoral détaillé,
mais plutôt d’en présenter les grandes lignes et le reste
sera à modifier de manière à réaliser la volonté du peuple.
« La démocratie n’est pas une urne électorale. En outre, un
président proposant un programme détaillé risque de se
transformer en dictateur », affirme-t-il. Les grandes lignes
de son programme électoral ? « Il sera fondé,
essentiellement, sur trois principes inspirés du projet de
la révolution, à savoir liberté, dignité humaine et justice
sociale. En outre, il est divisé en deux parties ayant comme
noyau l’homme : le changement et le développement »,
explique-t-il. Et d’ajouter : « Le point de départ pour
bâtir un pays sur une base démocratique est la participation
publique, défendre les droits de l’homme, mettre en place
des mécanismes pour empêcher la corruption. Pour ce faire,
il faut opter pour la décentralisation du pouvoir, le
changement de plusieurs lois comme celles relatives à
la libre-circulation des informations et l’indépendance de
l’autorité judiciaire, etc. ». Al-Bastawissy considère que
le développement économique doit côtoyer le développement
social. « A titre d’exemple, la formation des ouvriers et
des handicapés va les transformer en une énergie productrice
qui aura des répercussions positives sur l’économie du pays,
mais aussi sur la psychologie de cette catégorie de la
société ».
Bien que certains pensent que le développement en Egypte est
confronté à des entraves redoutables, surtout après les
violences confessionnelles au quartier d’Imbaba. Al-Bastawissy
semble optimiste. « Nous n’avons ni troubles ni tensions
interreligieuses, mais un malentendu entre les deux camps.
C’est le résultat d’un régime qui mettait l’accent sur les
différences entre les deux camps, musulman et chrétien. Il
ne faut pas oublier aussi que certains éléments ne cessent
d’intervenir : le reste du régime déchu, certains régimes
arabes qui cherchent à avorter cette révolution de peur
qu’ils ne soient contaminés à leur tour, et aussi Israël,
qui a intérêt à ce que le régime de Moubarak retourne ».
Il se souvient du jour où il avait assisté à une conférence
sur la démocratie au Qatar, il y a trois ans. « L’un des
collègues arabes avait souligné que l’Egypte est à l’origine
de tous les régimes dictatoriaux du monde arabe. Et, nous
voilà, nous cherchons à instaurer la démocratie »,
sourit-il.
Le dossier israélien est aussi l’un des problèmes épineux de
la politique égyptienne. « Nous allons respecter les accords
de paix signés avec Israël, mais il faut reprendre certaines
clauses qui n’ont pas eu le consentement des Egyptiens à la
tête desquelles les clauses qui concernent le Sinaï »,
dit Al-Bastawissy. Il n’hésite pas à exprimer son point de
vue sur les rapports arabo-israéliens. « Israël doit
renoncer à sa judaïté. Ce n’est pas juste qu’au moment où le
monde entier appelle à la fondation d’Etats civils dans la
région, Israël demeure un pays religieux ». Et l’Etat civil
en Egypte, comment le conçoit-il ? « Unique en son genre »,
affirme-t-il en réfutant l’opinion de certains qui parlent
de l’exemple turc.
La France, l’Allemagne, l’Autriche … la liste des pays à
visiter pour rencontrer les Egyptiens vivant à l’étranger
est longue. Mais au cas où Al-Bastawissy ne serait pas nommé
président, que ferait-il ? « Je poursuivrai mon travail au
niveau national via les institutions nationales et les ONG,
il y a beaucoup de choses à faire pour notre pays ».
Lamiaa Al-Sadaty