Justice .
La commission d’enquête sur la révolution du 25 janvier a
publié son rapport définitif sur les abus policiers. La
responsabilité de Moubarak et de l’ancien ministre de
l’Intérieur est mise en avant.
L’enquête accablante
«
L’entière responsabilité de la mort des manifestants pendant
le soulèvement pacifique du 25 janvier, dont le but était de
renverser le régime, est imputée à Hosni Moubarak ». C’est
la conclusion du rapport final de la commission d’enquête
sur la révolution rendu public cette semaine. Après deux
mois d’investigations, la commission, formée par l’ancien
premier ministre Ahmad Chafiq, pour faire la lumière sur les
agressions dont les manifestants de la place Tahrir ont fait
l’objet, dresse le bilan définitif des manifestations : 864
morts et 6 460 blessés recensés jusqu’au 16 février dernier.
Ceci sans compter 26 officiers et agents de police tués. «
Ces policiers ont été tués hors de la place Tahrir, devant
des commissariats ou dans les prisons », lance Omar Marwan,
secrétaire général de la commission et président de la Cour
d’appel du Caire.
La commission comprenant un panel de magistrats comme Adel
Qoura, ancien président de la Cour de cassation, Mohamad
Amin Al-Mahdi, ancien président du Conseil d’Etat, Iskandar
Ghattas, ancien ministre adjoint de la Justice, Mohamad
Badran, professeur de droit à l’Université du Caire, et
Nagwa Khalil, présidente du Conseil national des recherches
sociologiques et criminelles, a présenté son rapport
définitif au ministère de la Justice. La commission s’est
basée sur l’analyse des témoignages et des preuves relatifs
aux affrontements entre policiers et manifestants au cours
de la période comprise entre le 25 janvier et le 11 février.
Le rapport, qui souligne aussi la responsabilité de l’ancien
ministre de l’Intérieur, Habib Al-Adely, note que les forces
de sécurité ont eu recours à la force excessive et aux tirs
à balles réelles contre les manifestants pacifiques. De
même, des véhicules de police ont renversé et tué
intentionnellement des civils. « Des tireurs d’élite d’une
unité de lutte anti-terrorisme appartenant au ministère de
l’Intérieur se sont positionnés sur les toits de certains
bâtiments autour de la place Tahrir comme celui de
l’Université américaine du Caire pour tirer sur les gens »,
explique Marwan. Il ajoute que ces fusillades ont duré
plusieurs jours et Moubarak n’a pas ordonné l’arrêt des tirs
à balles réelles, ce qui confirme son implication et sa
responsabilité dans ce carnage. Selon le rapport, les
tireurs ont visé les manifestants à la tête et à la
poitrine. Les hôpitaux ont signalé un grand nombre de
blessures par balles au niveau des yeux. « Des balles
perdues ont également tué de nombreux civils qui regardaient
les manifestations depuis les fenêtres de leurs immeubles »,
explique Marwan.
La publication du rapport intervient au moment où l’ancien
président Hosni Moubarak est placé en garde à vue pendant 15
jours suite à des accusations sur l’utilisation de la
violence contre les manifestants. L’ex-ministre de
l’Intérieur de l’ancien régime, Habib Al-Adely, est lui
aussi emprisonné, accusé d’avoir tué les manifestants. En
outre, les deux fils de l’ex-président, Alaa et Gamal, ainsi
que plusieurs autres figures de l’ancien régime sont détenus
eux aussi ou jugés pour répression et corruption.
Le rapport de la commission d’enquête, établi sur la base de
rapports médicaux officiels, de témoignages et de vidéos, a
révélé que certains symboles du Parti national démocrate
dissous, des membres du Parlement dissous et des agents de
police avaient planifié les marches pro-Moubarak lors
desquelles les manifestants pacifiques de la place Tahrir
ont été agressés par des mercenaires, qui ont utilisé des
chameaux, des charrettes tirées par des chevaux, des blocs
de pierre, des matraques, des armes et des cocktails molotov.
Le rapport maintient cependant la confidentialité des noms
des instigateurs de cette bataille connue dans les médias
sous le nom de bataille des chameaux mais le juge Omar
Marwan indique que la commission a remis au procureur
général une liste d’une dizaine de noms de responsables
accusés d’être impliqués dans la répression. « Nous ne
sommes pas un tribunal, notre travail est de collecter les
informations et les faits et de les remettre aux
responsables de la justice ».
Le rapport évoque un autre épisode troublant de la
révolution, l’ouverture des prisons. « Un certain nombre de
prisons comme celle de Wadi Al-Natroun et d’Abou-Zaabal, qui
abritaient des prisonniers de la cellule terroriste du
Hezbollah, ont été intentionnellement ouvertes pour faire
sortir les prisonniers et effrayer l’opinion publique »,
explique encore Marwan.
Le rapport énumère les raisons qui ont déclenché la
révolution du 25 janvier. Parmi celles-ci le projet de
transmission héréditaire du pouvoir. Bien que ce projet ait
été accepté par la majorité parlementaire et même par
l’opinion publique mondiale, le peuple égyptien le rejetait
complètement, notamment l’élite intellectuelle et
l’institution militaire.
La commission recommande, dans son rapport composé de 500
pages, l’établissement d’une nouvelle Constitution et la
suppression de toutes les lois restreignant la liberté, y
compris la loi sur les droits politiques, pour garantir des
élections justes et honnêtes supervisées par les magistrats.
La comission recommande également une mise à jour du système
de sécurité pour faire respecter les droits de l’homme.
Ce rapport final de la commission d’enquête est une
condamnation claire et franche de l’ancien régime. Où ira ce
rapport à présent et que peut-il changer ? Hicham Serag,
vice-procureur, explique : « Le rapport sera remis au
procureur général et traité avec le plus grand sérieux.
C’est un élément important dans les procès qui sont en cours
contre les figures de l’ancien régime ». L’avocat et le
militant politique Adel Mekki explique, lui, que dans les
procès ordinaires, le Parquet demande une enquête minutieuse
sur l’incident. Cette enquête est obligatoire pour le juge
qui examine le procès. Mais dans une affaire importante qui
touche tout le pays, l’enquête faite par un groupe des
juges, de professeurs de droit, prend une importance
particulière. « A mon avis, le procureur général et le
tribunal prendront ce rapport comme une preuve et pas à
titre indicatif seulement », exprime Adel Mekki. Il ajoute
que si la Cour accepte tous les faits cités dans le rapport,
l’ex-président Hosni Moubarak et l’ex-ministre de
l’Intérieur, Habib Al-Adely, risquent la peine de mort en
vertu de la loi égyptienne pour meurtre et tentative de
meurtre avec préméditation. Une dizaine de responsables sont
condamnés dans le rapport avec des faits et des preuves,
soit directes ou indirectes. Mais Mekki pense que le rapport
a omis une question très importante, c’est la décision de
l’ancien régime de faire voler deux avions de chasse
au-dessus de la place Tahrir pour effrayer les manifestants.
C’est un acte contraire à toutes les conventions
internationales signées par l’Egypte. En fait, le procureur
général, Abdel-Méguid Mahmoud, a renouvelé de 15 jours la
détention provisoire de Moubarak en attendant l’achèvement
de l’enquête sur son implication dans des affaires de
corruption et de gaspillage de fonds publics.
Ola
Hamdi