Conférence .
Economiste et éditorialiste, Guy Sorman
estime que l’Egypte doit sortir de l’économie informelle et
planifiée. Des points de vue parfois contradictoires et
souvent détachés de la réalité.
Imposer des règles et laisser faire
Guy Sorman est spécialiste
économique des pays en développement. Invité à s’exprimer
sur les « événements » qui ont secoué l’Egypte — c’est ainsi
que l’Institut Français qualifie la révolution du 25 janvier
—, il n’a pas cherché à l’expliquer ou à se lancer dans des
pronostics sur l’avenir de l’Egypte. Si pour lui un pas non
négligeable a été franchi et qu’aucun retour en arrière
n’est possible, il estime qu’il ne peut « qu’interpréter ce
qui s’est passé, cette révolution n’est pas la mienne, je
n’apporte qu’un regard extérieur », une position appréciée
par l’audience, lasse des théories grandiloquentes sur « le
printemps arabe ».
Auteur de Les Enfants de Rifaa
sur les « restes » de la pensée de
Tahtawi, Sorman est
souvent qualifié d’ultra-libéral.
L’expression est probablement un peu forte et bien que ses
points de vue soient quelque peu décalés de la réalité
économique égyptienne, son analyse est pertinente.
Qualifiant l’économie égyptienne de « décolonisation
égyptienne », Sorman regrette
que Le Caire n’ait pas suivi la voie du Brésil ou de l’Inde.
L’Egypte, en effet, « a gardé son système d’économie
planifiée hérité des années Nasser ». C’est une des raisons,
selon lui, pour lesquelles le taux de croissance égyptien
est bien loin des 8 à 10 % de certains autres pays en
développement de par le monde. En libéral, il ajoute que «
l’espoir d’un peuple réside dans le taux de croissance ». Et
en dessous de 4 %, pas d’espoir ! Et c’est ce qui mène à la
révolution …
Deuxième nuisance inhérente à l’économie égyptienne : le
poids des paperasses et de la bureaucratie. Une étude a
ainsi montré que pour ouvrir une boulangerie en Egypte, il
fallait compter à peu près deux ans de formalité
administrative : un frein majeur à l’entreprenariat. Certes,
les formalités doivent être allégées et se faire de manière
plus transparente. Mais l’exemple
du pain est mal choisi. Il fait partie de ces produits
possédant un statut particulier dû, notamment, à la
faiblesse de la production de blé en Egypte en comparaison à
la demande. Sans subventions et sans contrôle étatique sur
le pain, personne n’est en mesure de prévoir les
conséquences sociales provoquées par la flambée des prix
ainsi soumis aux lois de l’offre et la demande. Le pain est
l’exemple même de produits qui doivent rester sous le giron
de l’Etat, simplement pour des questions d’intérêt public.
Sorman
a achevé sa vision de l’économie égyptienne en souhaitant
voir disparaître l’économie informelle. « C’est parce que
Mohamed Bouazizi n’avait pas de
papier l’autorisant à exercer son métier que la révolution
tunisienne a commencé », dit-il. Il ajoute que si
Bouazizi avait été en règle,
rien ne se serait passé. Pour éviter ce genre d’épisode
tragique, il faut supprimer l’économie informelle. L’analyse
n’est pas fausse mais elle est simpliste.
Bouazizi s’est suicidé car on
lui avait confisqué son outil de travail. C’est justement
que l’Etat tunisien lui reprochait de ne pas avoir de
papiers pour son commerce. Si la police l’avait laissé
tranquille dans son « informalité » il n’aurait peut-être
pas commis son dernier geste tragique. C’est en souhaitant
imposer à cet homme des papiers — et donc des règles
formelles — que la police tunisienne a provoqué
l’irréparable. C’est en souhaitant supprimer l’informel que
la révolution tunisienne a commencé et il serait une erreur
de considérer que la cause est l’informalité et non la
volonté de la supprimer.
« La sortie de l’économie informelle est une nécessité en
Egypte », affirme Sorman. C’est
bien mal connaître les opportunités de commerce qu’a fait
naître l’absence de règle. Le cas des chiffonniers est ici
un exemple flagrant, tout comme l’étaient leurs élevages «
informels » de porcs. Le libéralisme c’est le laisser-faire,
les règles sont ses limites. Les deux sont, pour
Sorman, nécessaires. Pourtant,
seule une analyse détaillée d’une économie nationale peut
permettre de fixer une frontière adéquate entre les deux.
Alban
de Ménonville