Moubarak . L’ancien
président se retrouve face aux tribunaux. Quelles raisons ont poussé les
militaires à le traduire en justice alors que beaucoup s’attendaient à le voir
passer ses derniers jours sans être inquiété ?
Le vrai début de la chute
«
Votre nom ? », interroge l’enquêteur. L’accusé répond : « Mohamad Hosni
Moubarak ». « Profession ? Ex-président de la République arabe d’Egypte »,
répond l’accusé. Pendant plusieurs heures, le président déchu s’efforce de
répondre à des accusations dans le cadre d’une enquête sur la répression des
manifestations de janvier et février derniers.
Moubarak
est accusé d’implication dans la mort de manifestants, estimés à 800 personnes,
au cours des 18 jours de révolte qui ont renversé son régime. Moubarak fait
également l’objet d’une autre enquête pour des affaires de corruption et de
gaspillage de fonds publics.
Habillé
en tenue de sport après avoir été admis à l’Hôpital international de Charm
Al-Cheikh en raison d’une légère crise cardiaque, Moubarak est accompagné de
son avocat Farid Al-Dib. C’est ce dernier, dit-on, qui lui aurait conseillé de
se rendre à l’hôpital pour échapper à une éventuelle détention.
La
station balnéaire de la mer Rouge qu’il avait choisie, lors de la dernière
décennie, comme deuxième résidence et où il recevait les dirigeants du monde
entier lui sert aujourd’hui de résidence surveillée. Moubarak a en effet été
placé en détention provisoire pour 15 jours dans le cadre de l’enquête.
Une
première dans l’histoire de l’Egypte et de la région qui voient un ancien
dirigeant poursuivi par la justice. Le choc est grand, même chez les jeunes manifestants qui avaient
occupé la place Tahrir pendant deux semaines.
La
plupart avaient supposé que l’ancien président serait amené à passer une
retraite tranquille dans sa villa luxueuse de Charm Al-Cheikh : « Une sortie
sécurisée » qu’il aurait négociée avec l’armée avant son départ.
Les
militaires, qui dirigent le pays depuis le 11 février, s’abstenaient de toutes
critiques à l’égard d’un homme qui a servi dans leurs rangs et semblait,
jusqu’à la semaine dernière, engagé par une sortie plus ou moins « respectueuse
» de l’ancien plus haut gradé de l’armée.
Que
s’est-il alors passé pour que la donne change dans la nuit de mardi dernier ? Personne
dans le cercle fermé de ces militaires au pouvoir ne veut se prononcer. Du côté
du procureur, on parle de la mise en place d’un dossier qui aurait permis cette
poursuite judiciaire. Le ministre de la Justice a par ailleurs affirmé que
personne « n’est au-dessus de la loi ».
Dans
certains cercles politiques, l’on évoque le fameux enregistrement sonore
diffusé par la chaîne satellite saoudienne Al-Arabiya. Dans cette première
intervention publique depuis sa chute, Moubarak dénonce des campagnes de
diffamation à son encontre et défend sa réputation. A-t-il ainsi rompu l’accord
secret qu’il avait conclu avec l’armée ? En quittant ses fonctions, il aurait
accepté de rester loin du jeu politique et de se contenter d’une retraite loin
de la capitale.
Mais
cette diffusion audio, lancée sur un ton de défi et de menace, a finalement
abouti à une prise en main du dossier par la justice. Un des gardes qui a
travaillé aux côtés de Moubarak estime, d’après ses propres sources, que
l’armée a précipité l’interrogatoire pour décourager les manifestants et éviter
des manifestations à Charm Al-Cheikh.
D’après
un policier haut placé qui parle sous couvert d’anonymat, « c’est l’armée qui,
jusqu’à ce jour, protégeait l’ancien président et lui avait donné des garanties
dans ce sens ».
La
menace d’une marche vers la villa de Moubarak, un mauvais moment pour la
diffusion de la bande sonore et des rapports montrant que ses fils Alaa et
Gamal auraient à nouveau payé des voyous pour attaquer les manifestants,
ajoutés à une forte pression sur l’armée, ont ainsi conduit à des mesures
punitives contre le clan Moubarak. Aujourd’hui, Moubarak, son épouse et leurs
deux fils sont plus que jamais remis en question.
La
famille qui a régné pendant plusieurs décennies aurait eu des intérêts
lucratifs dans le pétrole et le gaz et obtenu des pots-de-vin géants et des
commissions pour permettre aux entreprises de faire des affaires dans
l’économie égyptienne.
Personne
ne connaît exactement la somme d’argent illicite que Moubarak possède vraiment,
mais les estimations ne cessent d’augmenter et les Moubarak auraient envoyé des
milliards de dollars dans des comptes bancaires à l’étranger, où il est
difficile de les récupérer comme l’estime Hossam Issa, un avocat à la tête
d’une commission qui essaie de traquer la fortune de Moubarak (lire page 6).
Ils
font face à un avenir sombre et des accusations graves qui pourraient être
passibles de 10 à 25 ans de prison et la peine de mort pour Moubarak lui-même,
conformément aux articles 230 et 231, qui stipulent que toute personne incitant
ou assassinant par préméditation est passible de la peine de mort.
Jusqu’au
bouclage du journal, Moubarak était toujours dans cet hôpital en forme de
pyramide dans la ville huppée de la mer Rouge et les préparatifs étaient en
cours pour son transfert vers un hôpital militaire près du Caire, probablement
pour purger le reste des deux semaines de détention provisoire.
La
justice avait, en effet, demandé au ministère de l’Intérieur le transfert de
l’ancien président à l’hôpital de la prison de Tora, où ses fils Alaa et Gamal
sont incarcérés, mais le ministère a jugé que cet hôpital n’était pas
suffisamment équipé pour faire face à une dégradation rapide de son état de
santé. L’ancien raïs, qui dit-on craint de quitter l’hôpital de Charm de peur
de se retrouver auprès de ses fils dans la « ferme », devait être entendu par
la justice hier.
Dimanche,
le ministère de la Justice a interrogé de nouveau les deux fils dans la prison
de Tora, où ils campent en détention aux côtés de nombreux autres piliers du
régime déchu.
Réveillés
loin de la vue agréable de la mer Rouge, le sort des Moubarak ne fait plus de
doute. Soit leur défense prouvera, faute de preuves solides, qu’il n’y a aucune
raison de les mettre en garde à vue et réclamera leur remise en liberté et leur
retour en résidence surveillée en attendant un complément d’enquête. Soit ils
seront déférés au terme des jours de détention devant la Cour pénale. Un long
processus qui pourrait finir par une condamnation des trois.
Un
dernier scénario, et qui semble plus probable, c’est que la poursuite des fils
et leur jugement soient menés
indépendamment du père. Ils purgeront ainsi les peines décidées par la
justice. Le père, lui, fera l’objet d’une longue enquête, mais sans jugement
qui sauvera sa face et permettra à l’armée d’échapper à la pression. Parce que
celle-ci « ne veut pas l’humilier », comme dit l’un des anciens gardes de
l’ex-président. Un processus infini jusqu’à ce que Dieu décide de son sort !
Samar Al-Gamal